Nombre total de pages vues

Aucun message portant le libellé Éditions de la Courte échelle. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Éditions de la Courte échelle. Afficher tous les messages

dimanche 14 juillet 2013

Faut-il mentir pour survivre dans la société ?



Qui, dans la vie, n’a pas eu à forcer la vérité ou à mentir pour se tirer d’une situation plus ou moins fâcheuse? François Jobin, dans Mensonges et autres tromperies, s’attarde à un sujet qui fait les manchettes depuis des mois avec la Commission Charbonneau. Cette enquête, aux rebondissements qui prennent souvent les allures d’un feuilleton, illustre très bien cette propension que nous avons à vivre en bon compagnonnage avec la dissimulation, la tromperie et la duplicité.

La vie serait bien terne si elle ne reposait que sur les faits dits objectifs et ce que l’on nomme la vérité. Les menteries et la fabulation donnent du piquant au quotidien. On pourrait comparer les mystifications aux épices qui rehaussent la saveur d’un plat autrement terne.
«Le menteur, en revanche, crée de toutes pièces un univers qui doit présenter les apparences de la réalité. Cela est beaucoup plus exigeant et, d’une certaine manière, le rapproche du divin. Et puis, il y a la mémoire, cette mémoire à laquelle on ne peut jamais se fier parce qu’elle confond parfois souvenir et ouï-dire. Alors, on comble le trou par un mensonge parfois inconscient.» (p.7)
L’écrivain visite l’enfance, l’âge adulte et des moments qui secouent la monotonie du quotidien. En guise d’introduction, il relate le menu larcin d’un écolier. D’un côté les faits, la réalité et le même événement raconté par un écrivain qui embellit le récit et travestit les personnages, surtout celui de la mère. Écrire serait l’art du mensonge et de la falsification. Qui peut lui donner tort?
La vie n’est pas en reste et se plaît à provoquer les pires tragédies dans un grand éclat de rire on dirait. Cette facétieuse ne se laisse jamais distancer par les manœuvres humaines. Et si l’existence était le plus terrible des mensonges…

Exploration

J’ai particulièrement aimé «La fin du monde» ou le narrateur accompagne sa mère atteinte d’un cancer incurable. Elle a toujours affirmé qu’elle ne voulait pas qu’on lui dise la vérité. Ses proches font en sorte que jamais le mot cancer ne soit prononcé.
«Alors commença la rumba du mensonge: nous affichions une bonne humeur sucrée à vous soulever le cœur, tu as l’air bien aujourd’hui, tes couleurs reviennent, on dirait que tu te remplumes, tes joues sont moins creuses, tes cheveux commencent à retrouver leur éclat, c’est bon signe, viens t’asseoir dans le fauteuil, ça va te faire du bien de bouger, oui c’est vrai, tu as encore du mal, mais c’est normal puisque tu dois subir une autre intervention, tiens, prends ton médicament, tu n’as pas faim?» (p.79)
Comment être certain de tromper tout le monde et soi-même? La mère sait qu’elle va mourir et que sa famille ment autour d’elle. Qui berne les autres? J’aime quand l’écrivain soulève un doute et nous abandonne avec une question.
«Une affaire de famille» nous plonge dans un secret que partage toute une communauté. Lise Tremblay a exploré ce monde de façon magnifique dans La héronnière. Jobin atteint un sommet en narrant une sordide histoire d’agression sexuelle, utilisant tous les registres de l’humour et de la gravité.

L’écrivain aurait avantage à brider un peu son penchant pour l’humour cependant. Il noie un potentiel dramatique dans «Écarlate» en dressant la liste de tous les produits réputés bons pour la santé. Cette énumération étourdissante fait en sorte de banaliser une fin plutôt absurde.

Et ce rire

Avec un sens de la caricature inné, l’auteur montre nos travers et nos manies. Son regard pétillant vous entraîne dans ces grands et petits moments de la vie qui tournent souvent à la tragédie. Parce que le rire est proche du drame, on le sait. Si Jobin aime l’humour, le trait un peu appuyé, il ne faut pas se laisser duper. La plupart du temps, il vous plonge dans des situations où le rire se fait grinçant. Il fait preuve d’une finesse remarquable dans «Encore une histoire de mensonge» où une femme timorée et religieuse s’initie au mensonge et en fait un art qui peut se comparer à la broderie.
Mensonges et autres tromperies peut être un plaisir de lecture pendant les semaines tranquilles de juillet où la plus grande des mystifications serait de croire que la vie prend les couleurs de ces jours de nonchalance et de bombance.

«Mensonges et autres tromperies» de François Jobin est paru aux Éditions de La courte échelle.

jeudi 11 octobre 2007

Stanley Péan bouscule notre réalité

Stanley Péan, avec «La nuit démasque» et le «Cabinet du Docteur K», a entrepris de rassembler des nouvelles qu’il a éparpillées dans différentes revues ou rédigées pour une lecture publique. «Autochtones de la nuit» vient compléter ce cycle avec une vingtaine de textes. La plus ancienne nouvelle remonte à 1993 et l’ensemble du recueil a été écrit à partir des années 2000. Le tout offre une unité remarquable.
Stanley Péan a une prédilection pour les jeunes qui décrochent et basculent dans l’envers de la société bien pensante. À peine sortis de l’enfance, ses personnages s’égarent dans la nuit pour survivre de rapines, de prostitution et d’expédients. Agressés par des proches, leurs blessures ne se cicatrisent jamais, les poussant dans une marginalité et une violence terrible. Des êtres qui se battent pour manger et qui risquent leur corps à chaque instant, des univers que l’on retrouve dans les bulletins d’information ou qui font les manchettes des journaux.
L’écrivain nous entraîne dans ces zones troubles, effleure des pulsions que nous n’aimons guère évoquer, se faufile derrière le sensationnalisme, aborde des drames que les dirigeants refusent souvent de considérer et ne savent comment aborder. Un monde dur, violent où toutes les perversions dominent et broient les âmes. Une société malade, gangrenée qui va vers sa perte peut-être…
«Les plus anciens s’en souviennent mieux que moi. Terrible fut notre débandade le matin où nos châteaux en Espagne s’écroulèrent tels des châteaux de cartes. Secoués depuis leurs fondations par le chant fatidique de mille trompettes, les tours chancelèrent, frappées de plein fouet par la riposte inévitable des laissés-pour-compte que nous avions dédaigneusement condamnés à vivre dans les soubassements infects de l’empire. Paniqués, certains d’entre nous ont préféré sauter dans le vide plutôt que d’être pulvérisés dans l’irrémédiable effritement.» (p.12)

Réussite

Il y a ceux qui ont tout fait pour réussir et qui transgressent des frontières pour se prouver qu’ils sont vivants et ressentir de vraies sensations. Dans «Sévices amoureux», un homme d’affaires paie un tortionnaire pour violer et torturer la femme qui menace de le quitter.
«La véritable surprise se trouve sous le coupe-vent: cet attaché-case de design italien, elle le reconnaîtrait entre mille, elle l’avait elle-même offert à Richard à Noël, il y a sept ans. À l’intérieur, un contrat au bas duquel son mari avait apposé sa griffe. Dans la pénombre, elle déchiffre difficilement les termes de l’entente, mais n’en a plus vraiment besoin pour déduire les tenants et aboutissants de sa séquestration. Elle tressaille au son de cette voix qu’elle a appris à redouter au fil des derniers jours et qui, pour la première fois, s’adresse directement à elle.
- J’ai été naïf de penser que ta thérapie était finie et que t’étais prête à retourner à la maison. Ça a l’air que t’es plus coriace que la moyenne. Tant pis, va falloir que M. Champagneur prenne son mal en patience!» (p.142)

Part de soi

Stanley Péan n’hésite pas à puiser dans sa vie pour étayer sa fiction. Les voyages entre Québec et Montréal font partie de son quotidien, le Saguenay surgit ici et là, la musique de jazz colle à ses personnages et crée un monde envoûtant.
Il faut s’attarder particulièrement aux «interludes» où l’auteur reprend son souffle, rêve la vie, évoque des circonstances qui font que des amours s’étiolent en ne laissant que quelques impressions. Une méditation sur l’impossibilité de retenir le temps qui va sans jamais se retourner.
«Nous trinquerons une dernière fois, mon amour, à nos spectres que nous traînons de dérive en dérive. Je t’embrasserais peut-être encore, chastement, en te retenant au creux de mes bras maigres comme pour écraser ta beauté contre ma poitrine. Ensuite… Ensuite, avant que la nuit s’impose, irrévocable, il me faudrait continuer ma route, aller de l’avant.» (p.228)
Doué pour créer des atmosphères, à la manière de Miles Davis, son musicien préféré, Stanley Péan sollicite tous nos sens. De plus, dans ses histoires, il a cet art de retourner la situation par une fin qui laisse au bord du précipice.

«Autochtones de la nuit», de Stanley Péan est publié aux Éditions de la Courte échelle.