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dimanche 3 mai 2009

Bruno Roy témoigne d’une vie exceptionnelle

J’aime les journaux d’écrivains et prends toujours grand plaisir à plonger dans leur intimité. Certains sont devenus célèbres par cette écriture au quotidien. Je pense à Anaïs Nin qui a tenté de tout raconter dans son journal, même le plus intime. Ou Julien Green qui a fait de sa vie une véritable saga en publiant l’un des journaux les plus volumineux de l’histoire de la littérature. Que dire de l’expérience de Jean-Pierre Guay, au Québec? Son périple est devenu une ascèse pathétique et une aventure particulièrement douloureuse.
Bruno Roy se confie, parle de sa vie, de ses questionnements, de ses hésitations et ne cesse de reconstituer son existence par l’écriture dans le quatrième tome de son «Journal dérivé». Après l’espace de «la lecture», de «l’écriture» et «de la vie publique», voici «l’espace privé».
«Ai-je préféré la vie de l’esprit à la vie elle-même?», se demande l’écrivain dans sa présentation. «Je ne le crois pas. Écrire ne consiste pas à reproduire la vie et ses connaissances, mais à l’inventer pour mieux lui donner un sens.» Le journal est là pour fournir de multiples réponses.

Vie inventée

Cette «vie inventée» nous entraîne dans l’intimité de l’écrivain. Comme s’il nous faisait une petite place dans sa maison de Roxboro ou au lac Baker où la famille passe ses étés. Nous y retrouvons son épouse Luce et ses filles Isabelle et Catherine. Des amis aussi, des parentés littéraires, des rencontres marquantes. Il témoigne de nombreuses retrouvailles, de ses engagements à l’Uneq où il a été un président marquant. Bruno Roy, lecteur boulimique, envoie aussi beaucoup de lettres aux écrivains pour commenter leurs ouvrages. En retour, il reçoit énormément de courrier.
Comme dans le troisième tome de son journal, il s’attarde à ses combats, sa lutte avec les Orphelins de Duplessis, une bataille mémorable où il a contribué à donner un nom à ces enfants enfermés dans des asiles. Lui-même orphelin, il s’en est réchappé par miracle.
«Une partie de mon imaginaire s’est alimentée à la seule observation des comportements «originaux» qui ont accompagné mon séjour à l’hôpital psychiatrique. Qu’en est-il resté? Quel impact cela a-t-il pu avoir sur mon comportement, sur mon évolution personnelle et, ultimement, sur la constitution de mon identité? En d’autres mots, par quel miracle la folie des autres est-elle restée un objet étranger, incapable de m’atteindre dans mes retranchements les plus intimes?» (p.106)
Le privé et le public se croisent dans l’œuvre de cet écrivain singulier qui a dû se construire et se défendre contre les vicissitudes du monde. Son essai intitulé «Naître, c’est se séparer» prend ici son sens et sa plénitude.

Identité

Une quête d’identité soutient l’œuvre de Roy, que ce soit dans son journal personnel ou dans ses œuvres de fiction. Un questionnement qui fait qu’il est, qu’il existe, qu’il s’est forgé une personnalité par l’écriture, l’enseignement, les rencontres qui ont bousculé sa vie. Gaston Miron entre autres.
«D’ailleurs, ce qui faisait de moi un être commun, c’était mon expérience institutionnelle: ce qui aujourd’hui fait de moi un être unique, c’est que j’ai rencontré le langage; ou est-ce lui qui est venu vers moi? Oui, je suis bien vivant, même sans enfance, même sans père ni mère. L’identité, c’est son espace intérieur, c’est-à-dire sa propre ressemblance. Car le vrai drame, c’est d’être absent à soi-même.» (p.150)

Une invitation

Être toujours en mouvement, Bruno Roy nous accorde le privilège d’arpenter son espace intérieur en frère. Il témoigne de ses amours, de ses déceptions, de ses engagements et garde surtout un extraordinaire instinct de vie qui fait de son journal un document précieux. Un voyage de plus d’une trentaine d’années qui risque d’ébranler le lecteur qui cherche un sens à son existence.
Bruno Roy nous force à nous situer dans l’espace de la vie et il s’avère un compagnon essentiel. Nous retrouvons trop peu de témoignages du genre dans un monde où le potinage devient la matière des émissions dites culturelles. Bruno Roy vit avec le doute, porte une parole vivante, plonge en soi pour mieux surprendre le regard de l’autre dans l’aventure d’être homme.

«Journal dérivé», L’espace privé 1967-1970 de Bruno Roy est paru chez XYZ Éditeur.

jeudi 1 juin 2006

Bruno Roy demeure un grand humaniste

Peu d’écrivains publient les réflexions qui surgissent des rencontres et des soubresauts de tous les jours.
Jean-Pierre Guay a osé «cette littérature sans parachute», tentant par tous les moyens de coller à sa pensée et à l’émotion quotidienne. Il s’est fait beaucoup d’ennemis avant de basculer dans le mysticisme. L’ensemble du journal de Jean-Pierre Guay est publié aux «Écrits des Forges».
Nous étions une centaine à suivre cette démarche émouvante, semble-t-il. Bruno Roy était du nombre et il publie son «Journal dérivé» par segments depuis 2003. L’aventure débute avec le volet «Lecture», suit «L’écriture» et, dans un troisième temps, plonge dans «L’espace public». «L’Espace privé» paraîtra sous peu.
Bruno Roy a connu un cheminement exceptionnel. Enfermé dès son plus jeune âge dans un asile, cet orphelin de Duplessis s’est retrouvé pratiquement analphabète à l’âge de quinze ans. Il a pourtant trouvé le moyen de soutenir une thèse de doctorat sur la chanson québécoise.
«J’ai été un enfant qu’on a détourné de son enfance. Je suis né contre les valeurs morales d’une époque. J’ai grandi en l’absence d’une mère et d’un père restés inconnus. Interné illégalement dans un hôpital psychiatrique de sept ans à quinze ans, je suis devenu écrivain», lance-t-il dans un cri en présentant le volet «Écrire».

Langage

C’est par le langage et l’écriture que Bruno Roy s’est extirpé de l’anonymat qui pèse si lourd sur les épaules d’un enfant amputé de son passé. «Journal dérivé» couvre trente ans de vie, de réflexions et d’engagements, présente cet humaniste et homme d’action exceptionnels.
«L’espace privé» devrait émouvoir, même si le lecteur s’est familiarisé avec son monde dans «Mémoire d’asile», «Consigner ma naissance» et «Les calepins de Julien».
Bruno Roy est aussi à l’origine de la série «Les orphelins de Duplessis» présentée à la télévision. Encore là, il a dû faire reconnaître ses droits d’auteur. Dans «Écrire», il raconte ses démêlés avec le producteur et l’écrivain Jacques Savoie qui contestaient son apport au scénario et aux dialogues. Pas très édifiant!
Ce spécialiste de la chanson québécoise, il a écrit des textes pour Chloé Sainte-Marie, est un pédagogue généreux, intègre malgré les obstacles; un homme de paroles qui multiplie les engagements dans les syndicats d’enseignants, à l’Union des écrivaines et des écrivains du Québec et auprès des Orphelins de Duplessis.
«Écrire m’a appris à me défendre. Les mots sont encore pour moi des armes de précision. Je pense que je dois au milieu de l’éducation d’avoir aiguisé ma conscience critique», précise-t-il en ouverture de son troisième volet.

Durs combats

Les déceptions furent nombreuses pour les orphelins, particulièrement pour Bruno Roy, leur porte-parole. Malgré des excuses, Lucien Bouchard et l’Église sont demeurés sourds devant les revendications de ces largués de la société. Il a fallu que Bernard Landry devienne premier ministre pour qu’ils obtiennent des indemnités individuelles. Dix ans de démarches!
Bruno Roy, comme président de l’Union des écrivains et des écrivaines du Québec, a réclamé pendant plus d’une décennie que la littérature québécoise occupe une place plus grande dans les institutions d’enseignement et les médias. On ne semble pas l’avoir encore entendu.
«Journal dérivé» fait revivre cette période où le Québec fonce vers la modernité, tente de se donner un visage. Nationaliste convaincu, Roy décrit ces années avec une justesse qui échappe au temps.

Lecture

Autant lire à petites gorgées toutefois. Les pages sont denses. Le découpage par thème rend l’ensemble un peu aride et peut décourager un lecteur impatient. Même si, personnellement, j’aurais préféré le «Grand tout» pour accompagner l’homme qui réfléchit, s’attarde dans des lectures ou s’engage dans des luttes épuisantes, l’aventure demeure unique.
Enseignant, poète et écrivain, il n’a cessé de chercher le chemin le plus fréquentable, de multiplier les expériences. Bruno Roy parcourt le Québec et aime rencontrer les jeunes dans les écoles pour parler littérature et création. Il était à Chicoutimi, il y a quelques semaines et de «Voie d’échange» sur le Saguenay, l’été dernier.
Heureusement, il y a des Bruno Roy au Québec qui choisissent l’intégrité et la réflexion pour se forger une identité. C’est rafraîchissant en ces périodes fangeuses où Vincent Lacroix de Norbourg et les inventeurs de commandites font les manchettes. Bruno Roy fait croire en l’humanité. 

«Journal dérivé»; Bruno Roy»; «La lecture», «L’écriture», «L’espace public», 1970 à 2000 sont parus chez XYZ Éditeur.