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jeudi 10 mars 2022

EDEM AWUMEY VIENT ENCORE NOUS BOUSCULER

RETROUVER EDEM AWUMEY est un bonheur. Je suis devenu l’un de ses lecteurs en 2009, avec Les pieds sales où l’écrivain s’attardait au sort des migrants qui cherchent un lieu et un espace pour respirer et s’installer. Depuis, ses ouvrages bousculent subtilement. Awumey ne se défile jamais devant les grands déchirements qui bouleversent les populations, les manigances des exploiteurs et des profiteurs, les turbulences qui secouent la planète et menacent la civilisation. Nous en sommes là. Tout ce que nous faisons ou ne faisons pas nous pousse vers le précipice. Plus que jamais, nous avons à décider de l’avenir de l’humanité. Cet écrivain né au Togo, un immigrant comme tant d’autres, a séjourné à Paris avant de s’installer au Québec. Depuis, il ne cesse de nous secouer, de nous sensibiliser à ce qu’il faut faire pour avoir un futur. 

 

 

Encore une fois, Edem Awumey nous emporte quelque part dans un pays qui, sans être nommé, se situe sur le continent africain. Une ville chaude, grouillante, propre à la lenteur. Tout pour chercher l’ombre, la fraîcheur d’un ventilateur et le bonheur de prendre un verre en se sentant vivant, humain, là, à la bonne place et parfaitement à l’aise dans toutes les dimensions de son corps. 

Dans quelques heures, ce sera la fête et les discours vont marquer l’ouverture du Musée de la révolution verte. Le gardien de cette toute nouvelle institution, Toby Kunta, entend participer à l’événement, mais d’une manière que la direction et le pouvoir politique ne peuvent accepter. Il prend un journaliste en otage et demande une rançon à la multinationale qui a fourni des engrais et des pesticides aux fermiers, leur faisant miroiter des revenus mirobolants avec le coton transgénique. Résultats : les producteurs sont ruinés et la terre est devenue stérile. Il menace d’immoler son prisonnier et pour prouver son sérieux, le geôlier brûle des œuvres qui montrent la vie paysanne magnifiée, maquillée dans une sorte de parodie idyllique. 

 

En les découvrant un peu plus d’une heure plus tôt, j’avais pu, comme me l’avait révélé Ed quelques jours auparavant — ce qui d’ailleurs avait piqué mon intérêt, autrement je ne serais pas venu me jeter dans ce bourbier —, constater qu’en effet la série de photos de travailleurs de nos campagnes était titrée La Danse des paysans, un intitulé, précisait le texte de présentation de l’expo, emprunté à Pieter Bruegel, dit l’Ancien, peintre des plates campagnes flamandes. Bruegel ressuscité dans l’Ouest africain, il faut dire que la thématique centrale de ces photos était le bonheur paysan, épiphanie naïve et grotesque de la terre verte, de ses hommes et fruits. (p.15)

 

Les femmes et les hommes ont besoin de fictions pour oublier leurs problèmes et la réalité. Tous courent après la richesse et la multinationale a promis la fortune avec la culture du coton transgénique. Toby s’est laissé prendre par les bonnes paroles et a utilisé des pesticides et des engrais qui ont tué la terre héritée de son père. C’est arrivé un peu partout où les vendeurs de mirages ont embrigadé les fermiers. Des sols fertiles sont devenus des déserts où plus rien ne pousse. C’est peut-être la plus grande tragédie de notre époque. On voit ce phénomène dans l’Ouest canadien et américain. L’utilisation des engrais chimiques et des pesticides, la monoculture a tué de magnifiques espaces et de véritables paradis.

 

ATTENTE

 

Le gardien et l’otage attendent une réponse de la firme qui ne viendra jamais. Une multinationale et un pays plus ou moins autoritaire ne se laissent surtout pas ébranler par un kamikaze qui perturbe l’ordre des choses. 

Le dialogue s’engage entre le geôlier et le prisonnier, dans un huis clos de plus en plus étouffant. Les deux découvrent qu’ils ont beaucoup en commun. Toby est volubile et ne demande qu’à raconter les péripéties de son existence, surtout son grand amour pour Ruth, une militante écologique, qu’il a rencontré lors d’un séjour aux États-Unis où la compagnie voulait l’endoctriner et en faire un apôtre de la culture transgénique. 

Peu à peu, les deux deviennent des complices en quelque sorte. Fils d’immigrants allemands tous les deux, ils ont vécu de terribles déceptions et cherchent une direction à leur vie qui se délite.

La tension monte, la pression des autorités augmente, mais il y a surtout cette réflexion sur l’art, la représentation, l’œuvre artistique qui révèle ou maquille. 

 

Les paysans visiteurs du musée éphémère s’étaient donc figés devant ces regards peints qui leur renvoyaient — fabuleux miroir qu’est l’art! — l’image de leurs propres regards à eux, et ils avaient l’air de se dire, Quelle différence entre ces personnes enfermées dans une image et nous? Qui est libre? Eux ou nous? (p.123)

 

L’air devient irrespirable, le dénouement ne peut qu’être dramatique, mais la discussion des deux comparses reste pertinente et nécessaire. Qui veut voir la misère dans des portraits et les tableaux, l’exploitation, la folie et la démence de certains dirigeants? Qui s’attarde devant les photos des villes détruites en Ukraine, les bombardements et la mort de femmes et d’enfants? C’est pourtant ça notre réalité.

 

L’ART

 

 La propagande et le savoir du maquillage ne sont pas une invention contemporaine. On travestit fréquemment, en art, dans la fiction et les discours, l’exploitation de l’homme par ses semblables et les utopies qui nous font courir après les profits et les gains. Le pire étant certainement l’esclavage que l’on a pratiqué à grande échelle dans les États-Unis du Sud, ces Noirs qui ont été traités comme des bêtes, faisant la fortune des propriétaires terriens. Il y a souvent une intention ou une manipulation dans la représentation, un masque que l’on colle à la réalité pour la magnifier. 

Noce de coton propose un regard lucide sur notre monde, nos folles utopies et les marchands de bonheur qui ne cherchent que les profits. Ces grandes entreprises tiennent les gouvernements à la gorge, tuent, pillent, massacrent en laissant des peuples dans la pire des indigences. La situation en Ukraine où l’armée russe tire sur les foules nous dépeint toute cette barbarie. Que sera ce pays après les bombardements, la pollution terrible qui gruge tout, les désastres écologiques?

Encore une fois, Edem Awumey nous offre un roman grinçant, juste qui montre que l’art n’échappe pas à la manipulation et à la folie, que les populations, malgré des révoltes et des protestations, ne servent souvent qu’à accroître l’emprise des dirigeants et des spéculateurs. Un peu déprimant peut-être, mais sincère, senti et efficace. Je verrais très bien ce texte à la scène. Il y a vraiment un côté théâtral dans ce roman et l’adaptation pourrait se faire rapidement pour donner un spectacle fort et percutant.

 

AWEMEY EDEMNoces de coton, Éditions du Boréal, 256 pages, 27,95 $.

 

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/edem-awumey-11982.html

mercredi 29 août 2018

EDEM AWUMEY DÉRANGE PAS MAL

EDEM AWUMEY nous présente son sixième ouvrage avec Mina parmi les ombres. Une histoire actuelle où des femmes et des hommes luttent pour garder le peu de liberté qu’ils ont alors que leur pays est secoué par des extrémistes religieux qui imposent peu à peu leur volonté. Kerim Neto, photographe, a migré il y a une vingtaine d’années et vit à Montréal. Il rentre au pays situé quelque part en Afrique pour retrouver une amoureuse qu’il ne peut oublier. La jeune femme n'a jamais voulu quitter son pays et tente d’éduquer les enfants en leur enseignant à lire dans sa librairie. Mina a disparu et Kerim tente par tous les moyens de la retrouver.  

J’aime les écrivains migrants parce qu’ils osent s’aventurer dans le monde politique et dénoncer les dérives du pouvoir. Je pense à Dimitri Nasrallah. Avec son admirable Niko, il nous entraîne dans le sillage d’un jeune garçon qui fuit Beyrouth avec son père pour échapper à la mort. L’enfant se retrouve dans la famille d’une parente au Canada pendant que son père lutte pour sa survie et perd la mémoire. Roman bouleversant. Il récidive avec Les Bleed où il se faufile dans les couloirs de la dictature en se collant aux despotes qui commettent les pires horreurs pour imposer leur volonté. Ces « monstres » deviennent presque séduisants malgré les horreurs qu’ils peuvent commettre.
Sergio Kokis l’a fait bellement avec Saltimbanques et Kaléidoscope brisé où il s’attarde à la folie de ces hommes qui se croient investis d’une mission. Ces tyrans veulent incarner leur pays et bafouent toutes les libertés de leurs concitoyens. Daniel Castillo Durante l’a fait bellement aussi dans Un café dans le Sud. Je pourrais multiplier les exemples. 
Pourtant, les écrivains québécois n’osent pas souvent s’aventurer sur ce terrain. Bien sûr, il y a des exceptions. Louis Hamelin l’a fait d’une façon tout à fait particulière avec Autour d’Éva où il suit la poussée nationaliste au Québec et les luttes de certains pour contrer les manœuvres des grandes entreprises et protéger l’environnement. Yves Beauchemin a suivi la montée de la pensée indépendantiste dans sa série Charles le téméraire. Il ne faut pas oublier Monique LaRue qui le fait magnifiquement dans L’Oeil de Marquise où deux frères confrontent leurs idées politiques et sociales. Victor-Lévy Beaulieu s’y aventure de façon allégorique et répétitive dans plusieurs de ses ouvrages. Beaucoup d’écrivains choisissent plutôt les turpitudes individuelles et les crises existentielles au lieu des turbulences de la société. Peut-être aussi que la situation n’est pas assez dramatique au Québec. Et la critique, il faut le dire, a souvent été virulente envers ceux ou celles qui osaient se colletailler avec les problèmes sociaux et les idées politiques.

QUÊTE

Son amoureuse, Kerim la quitte et la retrouve, l’abandonne et la retrouve après des mois d’absence. Une relation passionnée, tumultueuse et difficile parce que les deux n’arrivent pas à se faire confiance. Il retrouve des amis, questionne, met ainsi les pieds dans les traces de sa jeunesse. Leurs idéaux ont changé, bien sûr. Les garçons et les filles qui pensaient changer le monde en montant sur scène avec le Théâtre des mouches ont pris des chemins singuliers. La réalité bouscule toujours les rêves et les défait souvent.

Après Le prophète de Gibran, Maître Baka nous avait proposé la création d’une troupe. Nous avions tout de suite accepté. Le premier défi fut de lui trouver un nom. Quelques idées saugrenues avaient fusé : la Troupe du Soleil, les Palabreurs, Divagations et compagnie, etc. Ce fut mon père qui nous suggéra le Théâtre des Mouches. Sur les planches, les jeunes, avait-il dit, sentencieux, soyez de petites bêtes enquiquineuses, soyez le fruit aux oreilles du silence et de la peur. (p.38-39)

Kerim est devenu photographe, Mina tenait une librairie au Port où elle enseignait la lecture et l’écriture à quelques enfants. Son frère Azad s’est peut-être pris pour Le Prophète de Khalil Gibran et s’est fait iman. Il enseigne le Coran à La Savane et devient de plus en plus populaire. Même que l’un d’eux, Beno, est devenu policier, collaborant avec un pouvoir qu’ils dénonçaient sur scène.
Comment retrouver Mina, la farouche et l’indépendante, la militante qui s’est toujours tenue près de ceux qui subissent les charges de la police et des militaires. Le photographe erre dans les rues, marche dans ses souvenirs, repense à ses amours, à ses infidélités, ses heurts avec le pouvoir qui surveille les dissidents. Tout est permis quand on évoque la sécurité d’État. Les arrestations se multiplient autour de lui.
 
REGARD

Kerim, comme photographe, fait voir ce que l’on ne voit pas de prime abord. Il donne des yeux en quelque sorte. Son père, un passionné de photo, l’a poussé vers ce travail difficile en lui cédant son vieil appareil. Un art qui a perdu son sens avec le numérique et surtout ces téléphones intelligents qui permettent de se mettre en scène. L’heure est au moi dans le monde, à ce je que l’on diffuse à outrance sur les réseaux sociaux. La photo est devenue un art narcissique qui ne sert plus à découvrir le monde. Heureusement, il y a encore des témoins qui nous apprennent à voir, permettent de découvrir une réalité qui ne cesse de changer autour de nous. Il faut des photographes et des cinéastes pour sonner l’alarme et montrer l’état de notre planète.

Au lieu des anonymes, ce fut elle qui passa, tournicotant, oisillon hors de son nid, devant l’objectif de mon antique Nikon, moment de grâce, cependant que mon père me répétait, Et si tu oubliais un peu les portraits, ceux par exemple que tu fais de ton amoureuse, et que tu photographiais nos instants d’abandon, tiens, par exemple ces zouaves qui viennent danser sur la terrasse du bar d’Amid au cœur de notre quartier ? Ces instants où les mouvements de leurs corps sur la piste trahissent ce que j’ose appeler une joie, un bonheur, aussi passager soit-il. Saisis la vérité dans leurs gestes, fils, les visages sont un mystère, un gouffre, une page trop saturée pour qu’on y décrypte quelque chose… (p.40)

Si écrire est lire avant tout le monde, photographier est certainement redéfinir le regard pour surprendre une autre dimension à notre environnement. Kerim est fasciné par les visages, les femmes surtout. Il traîne dans les marchés, les ruelles, s’approche des démunis. Tout en tentant de retrouver Mina, il réfléchit à son art, mais surtout à sa vie, à son incapacité à aimer et à se livrer à l’autre. Il s'est toujours caché derrière ce petit appareil.
Il se rend compte, en photographiant dans les rues et les lieux publics, qu’il exploite la misère. L’art peut aussi pousser vers les excès.

...et je me suis revu cinq ans plus tôt dans les venelles d’un bidonville de Manille, devant moi cette femme que j’avais voulu photographier et qui m’avait toisé, m’accusant de chercher à faire mon commerce avec sa face de miteuse, la femme criant presque, Dis-moi combien vont te rapporter ces photos avec nos faces curieuses ? Tu dégages ou je vais ameuter du monde qui va accourir pour te lyncher ! Et alors que je m’éloignais du piège, j’avais entendu sa voix de nouveau, Reviens ! De toute façon, qu’on me photographie ou pas ne change rien à ma condition. Tu me donnes quelques dollars ? (pp.247-248)

Kerim retrouve Mina, mais il aura surtout réussi à mieux se comprendre, à saisir l’importance de cette femme dans sa vie. Peut-être aussi que les deux se sont apaisés après ces épreuves.

SOCIÉTÉ

Le lecteur assiste à la montée des intégrismes religieux qui profitent de toutes les situations pour s’imposer. Les femmes sont les premières à subir les diktats de ces hommes qui se tiennent en haut de la pyramide sociale. Quand ils arrivent à assujettir les femmes et qu’ils les forcent à s’effacer sous un voile, ils peuvent respirer.
Ces battantes luttent et défendent leurs corps, protègent leurs enfants et portent en elles le goût de la liberté. Edem Awumey nous emporte dans un monde en ébullition, nous confronte avec des idées qui menacent les fondements de la civilisation. Les intégrismes religieux font régresser au temps où Dieu ou Allah décidaient des manières de vivre, se faufilaient dans les maisons pour régler les rapports intimes.
Des scènes terribles, des confrontations que les femmes gagnent quand elles décident de marcher vers les policiers en se dénudant devant la rangée des porteurs de matraques. Étourdissant, mais humain, senti, tendre aussi, cinglant et dérangeant.
Mina au pays des ombres nous pousse dans ces turbulences qui font souvent des images à la télévision. Rien cependant ne peut remplacer un roman qui nous fait voir et sentir avec tous nos sens. Parce que ces luttes, nous préférons souvent les ignorer et nous étourdir devant les pitreries d’un président américain qui ne sait plus quoi inventer pour basculer dans les absurdités d’Ubu roi de monsieur Jarry.


MINA PARMI LES OMBRES, un roman d’EDEM AWUMEY, Éditions BORÉAL, 2018, 258 pages, 29,95 $.


lundi 19 décembre 2011

Edem Awumey plonge dans l’envers du monde

J’attendais ce roman d’Edem Awumey avec impatience. «Les pieds sales», paru en 2009, m’avait profondément perturbé. Une chronique d’errance, de désespoir que vivent ceux qui quittent leur pays d’Afrique pour se retrouver en Europe, sans papier, sans identité, à la merci de tous les prédateurs. L’écrivain revient avec «Rose déluge», un roman terrible.

Somba entend tenir sa promesse faite à sa tante de ramener ses restes en Louisiane où elle a toujours rêvé de migrer. C’était sa folie, sa façon d’oublier peut-être la réalité de tous à Lomé, la capitale du Togo où l’auteur est né.
Le rêve de l’Amérique a habité l’enfance du jeune homme. Il était fasciné par ces grands bateaux mystérieux qui accostaient et sur lesquels disparaissaient des hommes et des femmes. Il partira et vivra les fantasmes de sa tante en emportant ses ongles et ses cheveux pour les enterrer dans un cimetière louisianais. Symboliquement les cheveux et les ongles sont censés conservés des liens avec l’individu, même au-delà de la mort.
«Une fois arrivé tu pourras te reposer un moment chez moi, rue Champlain, dans le Vieux-Hull, réfléchir à ce que tu veux faire, et, de toute façon, t’as plus personne à Lomé… Maintenant que Tante Rose n’est plus, tu dois penser à toi. Tu pourrais trouver à faire au Québec même si c’est pas donné quand t’as aucun papier. Mais on peut toujours voir…» Ensuite nous nous étions mis à réfléchir à la question du coffret encombrant et de son contenu, Élom avait dit qu’il fallait trouver le moyen de passer avec sans accroc aux douanes, surtout les canadiennes qui pouvaient regarder dans vos reliques à la loupe…» (p.23)

Rencontre

Sambo se retrouve au Québec avec un faux passeport. Comment se rendre en Louisiane sans attirer l’attention sur ce coffret, surtout après le onze septembre 2001.
Il croise Louise dans la gare d’autobus, une fille qui rêve de danse et de New York. Deux éclopés faits l’un pour l’autre. Ils se retrouvent dans un lit et c’est la jubilation des corps, les souvenirs qui fusionnent. C’est ainsi que nous découvrons le passé trouble et incroyable des deux amants.
La mère de Louise a été violée en Acadie. Son père a filé dans la nuit après son crime. Fille d’un violeur disparu sans laisser de traces. À Lomé, les enfants se vendaient aux riches visiteurs pour quelques sous. Maya l’albinos, une grande amie de Sambo, qui voulait être noire à tout prix, a été broyée par un gentil Américain.
«… Maya qui n’avait aucune raison d’avoir peur parce que le bruit disait, «Les Américains sont gentils», monta avec lui un soir de tempête, elle avait peut des tempêtes aussi accepta-t-elle la main protectrice de Joe, le hall de l’hôtel sous le regard impassible du réceptionniste et du préposé aux étages, la chambre, le lit fraîchement dressé, et Peace and Love lui effleura les cheveux, son doigt, love, lui caressa le cou, il lui souffla, peace n’aie pas peur, il déboutonna son pantalon, love, ne craint rien qu’il lui dit, peace, elle leva la tête et croisa le regard transfiguré de l’autre et elle comprit  et l’Américain, love, reçut une belle décharge électrique dans la bouche de la petite albinos il lui pressa brutalement la tête contre son bas-ventre peace…
…et au cœur de la nuit il débarqua Maya sur le trottoir, et l’après-midi suivant je la retrouvai couchée devant les entrepôts du marché, le regard vide face à la mer, elle faisait de la fièvre, la robe souillée de sang, au niveau de l’entrejambe, sous la robe contre sa poitrine trois billets de banque roulés…» (p.177)
Des exploités vendus, souillés, éliminés par des prédateurs sans âme. Tante Rose n’en pouvait plus de cette réalité et demandait à son neveu de l’aider à mourir. Ce qu’il fera.

Délire

Louise et Sambo parviendront en Louisiane après bien des difficultés et des délires. Tante Rose aura sa petite place au cimentière. C’est la seule embellie de ce roman qui vous tourne à l’envers.
Texte difficile, insupportable par moment. L’envers du monde, l’exploitation, la misère qui est transcendée par la fuite dans le rêve. Un voyage mythique, une sorte de promesse de paradis perdu à l’envers mais combien bouleversant. L’horreur, mais quel roman! Une puissance remarquable. La phrase déferlante d’Edem Awumey se défait et s’étire jusqu’à couper le souffle. Une descente aux enfers et une rédemption qui laisse sans mots.

«Rose déluge»  d’Edem Awumey est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/edem-awumey-1637.html