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samedi 3 avril 2010

Marie-Christine Bernard ne cesse de surprendre

«Ces histoires voyagent dans le temps et l’espace, entre la France du XVIe siècle et le Québec du XXIe, en passant par les Provinces maritimes du XIXe et la Gaspésie des années 1920. On y observe que la différence dérange, toujours, partout, et fait de ceux qui la portent des êtres, sinon invariablement honnis, du moins inévitablement suspects.» (p.11)
C’est ainsi que Marie-Christine Bernard, prix France-Québec 2009 pour «Mademoiselle Personne», présente «Sombre peuple», son premier recueil de nouvelles. Treize textes qui voyagent dans le temps et l’espace, s’installent dans les Maritimes, au Saguenay et en France à une époque lointaine. Madame Bernard aime les bonds dans le temps pour se dépayser et nous étonner. Ses textes démontrent que la bêtise humaine n’a ni époque, ni lieu en particulier et qu’elle a souvent des conséquences tragiques. Il semble que de tout temps, ce fut le propre, pour ne pas dire la caractéristique des humains, que d’ostraciser ceux et celles qui dévient de la norme. Même qu’elle n’hésite pas à débusquer la bêtise dans l’actualité régionale.
«Cela s’intitulait : « Eschatologie populaire : essai sur la pensée apocalyptique sous Jacques Tremblay ». Le Jacques Tremblay en question, maire de Chicoutimi, n’aurait évidemment compris que dalle à cet article, étant donné qu’il n’était que notaire de formation. En plus, il militait encore pour la prière en début d’assemblée municipale, affirmait aller à confesse régulièrement, clamant qu’il n’était pas question qu’il prenne le risque de se présenter devant Dieu sans être absolument certain d’avoir l’âme propre.» (p.18)
La réalité dépasse la fiction, on ne cesse de le répéter.

Cas limites

Marie-Christine Bernard aime les originaux, ceux et celles qui deviennent des révélateurs, montrant les travers de nos sociétés. Ce peut-être un maire qui se croit drapé du manteau de Dieu, ou Salomon Cohen, un intellectuel qui lit des romans d’amour en secret.
Cette différence, on la porte en soi ou sur soi. Ce peut être la beauté de Penelle qui attire tous les regards des hommes ou encore la couleur de la peau. Cromwell, un esclave en fuite, trouve refuge auprès de Juliette, une fille ostracisée par la communauté parce qu’elle souffre de strabisme. Ces parias trouveront l’amour, mais ils le paieront chèrement.
«On se disait que son œil gauche regardait le Diable. On racontait qu’elle avait envoyé son homme ad patres avec l’aide du Malin. On se signait, on crachait par terre sur son passage. On la tolérait, dans sa cabane miteuse aux abords du village, parce qu’il n’existait pas de preuves que son homme fût mort et parce que, par conséquent, elle demeurait la bru du bootlegger, le tout-puissant Adolphe Robichaud, qui avait le pouvoir absolu sur tout le monde, ou presque.» (p.119)
Le texte le plus consistant du recueil, celui qui donne le titre à l’ensemble.
Pas de côté

Cette marginalité peut venir de l’âge, d’un fantasme, d’une sorte de glissade dans le temps pendant le Carnaval de Québec ou encore d’une bonne volonté qui provoque une tragédie dans «Michou».
Marie-Christine Bernard, encore une fois, révèle un sens de l’observation remarquable, une finesse qui s’exprime dans le détail et lui permet de plonger dans différentes époques. Nous lisons chacune de ses nouvelles avec émotion, une sorte de crainte qui nous tient en haleine en souhaitant éviter le pire.
Elle montre aussi un sens remarquable de la chute. Souvent les finales étourdissent et surprennent. Elle nous déroute et nous fait prendre conscience que ce ne pouvait être autrement. Signalons «Vie et mort de Louis-Seize Stone». On ne porte pas un tel prénom sans en subir les conséquences.
Marie-Christine Bernard possède une dextérité que peu d’écrivains peuvent se vanter d’avoir. Toujours une surprise que de la lire et de découvrir une nouvelle facette de son talent. Curieuse de tous les genres, elle aime se faire exploratrice pour notre plus grand plaisir.
« Sombre peuple » de Marie-Christine Bernard est publié aux Éditions Hurtubise.
http://www.editionshurtubise.com/catalogue/1878.html

dimanche 28 mars 2010

Carole Massé fouille l’âme humaine

«L’arrivée au monde» de Carole Massé présente la vie dans ce qu’elle a de plus terrible et de plus déroutant. Une fable tragique poussée à son paroxysme.
Ce texte m’a souvent fait penser à «La petite fille qui aimait trop les allumettes» de Gaétan Soucy par son univers, la manière de voir et de penser de ces enfants qui doivent réinventer le monde pour se protéger de la folie du père.
L’écriture est réduite à l’essentiel. Chacun des mots compte et garde tout son poids. Les phrases sont ciselées telle des strophes et se transforment en chant envoûtant. Un arrêt sur l’enfance qui oriente toute l’existence et marque la vie adulte. «L’arrivée au monde» n’est pas la même pour tous. 

Prisonnière

Une femme n’en peut plus. Jaloux, possessif, son mari la séquestre dans une maison de campagne.
«À cette époque, le jour, elle nous courrait après pour nous engouffrer entre ses bras en pleurant de joie. Le soir, le serrurier courait après elle pour l’emprisonner contre lui en riant aux larmes. Il lui interdisait de sortir.» (p.19)
Elle réussit à s’enfuir en promettant de revenir chercher les enfants. Ils attendent, espèrent, subissent les ordres du père sans trop comprendre ce qui arrive.
«C’est au retour de l’homme, le soir, que notre père actuel est né. Glacial, distant, impitoyable. Il changea la serrure et porta la nouvelle clé en pendentif. Déchira sous nos yeux, une à une, les photos de notre mère.» (p.20)
Il quitte le matin, après les avoir enfermés dans la grande maison, ne revient que tard le soir. Ils courent d’un étage à l’autre, sans pouvoir s’arrêter. Des écureuils qui se débattent dans une cage sans jamais aller nulle part.
«Ainsi courons-nous nus dans un espace sans frontière, accessibles au regard mais protégés, selon notre père, des voleurs, menteurs, dissimulateurs de tout acabit.» (p.25)
Il les écrase, les étouffe et les coupe de tout.

Le rêve

Le père s’enfonce dans sa folie et l’alcool à tous les soirs. Les enfants décident de faire quelque chose. Leur survie est en jeu. Ils le savent d’instinct. Il faut mettre hors d’état de nuire cette bête dangereuse.
«Aussitôt Jade, José et moi nous retirons dans notre chambre et complotons son exécution. Nous fixons le moment : quand il sera trempé de larmes, rempli d’alcool, ronflant dans son caca.» (p.33)
Le geôlier est proprement exécuté. Ils se débarrassent du corps au fond du lac et personne ne les embête.
«Nous fixons l’onde où la momie sombre lentement. Ni prières ni pleurs de notre part. Nous ne croyons plus en Dieu. Nous ne croyons plus en la Vérité. Nous ne croyons plus en l’innocence de l’Homme. Nous connaissons le mal.» (p.41)
C’est ainsi quand on vit en marge du monde, au-delà du bien et du mal.
Découverte

José et la narratrice partent découvrir l’extérieur qu’ils connaissent si mal. Jade refuse de quitter la maison. Elle a trop désiré ce départ pour le vivre réellement. Surtout, elle se sait marquée dans sa chair et dans son esprit.
«À notre tour, nous leur ferons porter nos misères passées, notre enfance assassinée. Jusqu’à ce que, devenus invivables, nous recevions d’eux ce baiser traître et vengeur que nous avons donné à notre père. Alors je préfère rester. Et avec un pâle sourire aux lèvres, elle referme doucement la Porte entre elle et son futur.» (p.43)
José rencontre une femme. Il est si affamé d’amour ce garçon qu’il ne peut subir un autre abandon. Il préfère le suicide.
«Sur le plancher, froissée, une lettre de rupture de Stella. Sous le drap qui recouvre le lit, le corps nu de mon frère, les bras lacérés de coups de canif qu’il s’est donnés sans retenue. Il s’est vidé de son sang. Sur son oreiller, un message pour Jade et moi.» (p.46)
La narratrice réussira à faire une vie à peu près normale. Elle retrouve sa mère, écrit à sa sœur, n’arrive pas à s’ancrer vraiment dans son existence. Elle survivra grâce à l’écriture peut-être… Mais que peuvent les mots devant une enfance qui a été broyée?
Un drame impossible et pourtant tellement vrai. Un récit tragique et bouleversant. Magnifique!

«L’arrivée au monde» de Carole Massé est publié chez VLB Éditeur. 
http://www.edvlb.com/carole-masse/auteur/mass1063