MARJOLAINE BOUCHARD, après
avoir fréquenté des personnages historiques, décide de faire confiance à son imaginaire
en plongeant dans une période récente du Québec, soit celle précédant la
Révolution tranquille. Elle nous entraîne à l’intérieur des murs d’un couvent, celui
des sœurs du Bon-Conseil de Chicoutimi. Un lieu qui va rappeler bien des
souvenirs à des femmes d’une certaine génération qui ont hanté ces salles de
classe pendant des années avant de devenir institutrices. Je pense notamment à
Nicole Houde qui a sillonné les couloirs de ce couvent sans pour autant arriver
à être « maîtresse d’école ». Une période où la religion enrobe les moindres
gestes et se fait omniprésente dans les enseignements des matières scolaires. Qui oserait
de nos jours commencer un cours par une prière ?
Je ne suis pas un
lecteur de romans historiques. J’ai souvent l’impression de lire à peu près le
même ouvrage. C’est trop souvent fait rapidement et les auteurs s’enfoncent
avec une complaisance étonnante dans les clichés. C’est peut-être pourquoi j’ai
pris du temps à m’aventurer dans Les
portes du couvent de Marjolaine Bouchard même si j’ai tout lu de cette
écrivaine.Je n’ai jamais été un admirateur de Michel David, encore moins de Daniel Lessard. Un réflexe, des préjugés, peut-être…
Et j’avais de bonnes raisons pour me tenir un peu loin. J’ai passé un été à lire comme un forcené. Être membre d’un jury littéraire important a ses exigences.
J’ai toujours eu du plaisir pourtant à lire Marjolaine Bouchard et quand est paru le deuxième tome de son triptyque, je ne pouvais plus me désister. J’ai pris une grande respiration avant de plonger.
Et j’avais de bonnes raisons pour me tenir un peu loin. J’ai passé un été à lire comme un forcené. Être membre d’un jury littéraire important a ses exigences.
J’ai toujours eu du plaisir pourtant à lire Marjolaine Bouchard et quand est paru le deuxième tome de son triptyque, je ne pouvais plus me désister. J’ai pris une grande respiration avant de plonger.
Pendant plusieurs
pages j’ai boudé un peu. Un entêtement, un désir de ne pas aimer ce genre
d’ouvrage. Celui ou celle qui suivent mes chroniques savent que j’aime les
romans où l’on doit travailler souvent pour comprendre où veut nous entraîner
l’auteur. Surtout, j’aime une écriture qui me secoue et qui me fait me demander
dans quelle embarcation je viens de monter. J’ai cherché à trouver des défauts
à ce texte. Une écriture un peu convenue, de longues descriptions, des
répétitions souvent. Tout pour ne pas suivre sœur Irène aux Escoumins et la
petite Flora qui survit à la perte de sa famille.
Peu à peu, Marjolaine
Bouchard a eu le dessus. La vlimeuse a réussi à faire tomber toutes mes
résistances et à me mener par le bout du nez. Je me suis surpris à me passionner pour le
quotidien d’une fillette qui commence sa scolarité et celle d’une religieuse
qui enseigne la musique.
AVENTURE
Joseph-Albert
Blackburn a un faible pour la bouteille même s’il fait des efforts pour sortir
sa famille de la misère. Un séducteur qui a fait tourner les têtes dans
sa jeunesse, un homme qui se décourage souvent, bat sa femme et la laissera handicapée.
L’incendie de la maison familiale emporte toutes les sœurs de Flora qui se
retrouve chez son oncle et sa tante. Le père s’est volatilisé après le drame
tout comme son fils Julien qui promettait à sa petite soeur de former un cirque
et de partir à la conquête du monde.
Il s’installe
d’abord à cinq pas de la silhouette, écarte un peu les jambes, en plaçant le pied droit derrière. Il empoigne fermement un
couteau par le manche et le lance. Sans que ses pieds ne bougent, tout son
corps s’engage vers la cible. Le poignard file en exécutant un tour sur
lui-même et toc ! la lame se pique non loin de la tête dessinée. Un autre
couteau suit rapidement et se plante, cette fois, près de la cuisse. Puis un
troisième ne tarde pas à se ficher près de l’épaule. Flora observe, les yeux
ronds, pendant que Julien récupère ses lames pour recommencer les manœuvres,
aussi vite, aussi précis. Après cette démonstration, il explique : il
prépare un numéro d’envergure, un grand spectacle dont les gens raffoleront.
Cependant, il lui faut davantage de couteaux, de l’équipement plus sophistiqué,
entre autres une grande cible tournante sur laquelle il placera une partenaire.
(p.78)
Tout le monde a le
sens du spectacle dans la famille Blackburn. Peut-être un héritage du père qui
a chanté dans un groupe pendant sa jeunesse et de la mère Marie-Alice qui joue
du piano et chante avec une justesse étonnante.
COUVENT
Flora possède une voix d’ange que sœur Irène voit
s’épanouir avec plaisir. Cela n’empêche pas la jeune fille de rêver au retour
de son frère, de vouloir partir sur les routes, d’attirer
les regards des spectateurs. Elle possède aussi une imagination fertile et
raconte des histoires qui captivent tout le monde. Le réel se transforme, même les pires drames de sa famille, quand
elle se lance. Une fabulatrice formidable.
Marjolaine
Bouchard a le sens du rebondissement. Bien sûr le genre veut cela, mais on se
laisse prendre par les petites intrigues, les chagrins, les conflits qui ne
manquent jamais dans un couvent. La petite fille rêveuse qui enjôle tout le
monde avec sa voix d’ange ne peut que séduire. Elle peut aussi mentir.
Elle apprend curieusement que le mensonge peut la faire parvenir à ses fins.
Tout le contraire de l’éducation que l’on veut lui inculquer. Et il y a sa
cousine Jeanne, la parfaite aux comportements si étranges.
Si Flora mettait
des mots sur son sentiment envers sa cousine, les mots eux-mêmes tantôt
sentiraient le bon pain chaud et réconfortant de tante Blanche, tantôt
goûteraient l’amère huile de foie de morue qu’elle est forcée d’avaler tous les
jours, vu sa maigreur. Mais Flora manque de mots, et ses tortillements
d’anguille sous les fortes caresses de Jeanne expriment ce manque. (p.122)
Et puis j’ai parcouru
les deux gros volumes de cette fresque sans reprendre mon souffle. Même quand
on perd le personnage auquel on s’est attaché pendant une centaine de pages pour
en suivre un autre, même quand on oublie Flora pour basculer dans le quotidien
des religieuses, les questionnements de sœur Irène sur sa vocation, des conflits qui ne manquent jamais de surgir dans une classe. Ça devient une aventure
palpitante. On aime croire que Julien va surgir un matin sur sa moto pour
emporter la petite fille sur les routes du Saguenay jusque dans le lointain
pays de Charlevoix. On rêve avec Flora de s’inventer un autre monde plein de
musique et de chants, de lanceurs de couteaux et de jongleurs.
LE QUOTIDIEN
Marjolaine
Bouchard a l’art de faire vibrer le quotidien, d’incarner une époque révolue.
Bien sûr, j’ai connu ce genre d’éducation chez les frères Maristes. Ils m’ont
permis de découvrir les mystères de la science, les beautés de la littérature
et de la musique. Je me souviens du frère Lambert qui a eu la bonne idée de
nous faire écouter de la musique classique. Ce fut une véritable révélation. Si
tous les étudiants se faisaient un devoir de détester cette musique, j’ai
aimé cela. Le frère Lambert a ouvert une fenêtre et après, j’ai pu apprivoiser
les œuvres des grands compositeurs. Il y avait
le théâtre aussi, les petits rôles que nous nous partagions entre amis.
Et aussi la poésie que l’on découvrait à petites gorgées. Cela m’a mené tout
naturellement vers l’écriture. Ce sont les frères Maristes de Saint-Félicien
qui ont éveillé le lecteur boulimique que je suis devenu et l’écrivain qui
tente toujours d’aller plus loin dans son exploration.
Bien sûr, j’ai
pensé souvent à La passion d’Augustine
de Léa Pool en suivant Marjolaine Bouchard. On peut faire des liens. Nous
sommes un peu dans les mêmes lieux, mais l’écrivaine y apporte sa touche, sa
manière de voir. Elle a surtout un extraordinaire sens de l’observation pour décrire
les gestes du quotidien. Une précision chirurgicale.
J’ai lu d’un seul
élan les quelques 600 pages de cette aventure et me suis répété que j’aurais dû
attendre pour bondir tout de suite dans le troisième volet, la suite et
dernière étape des aventures de Flora et d’Irène dans un Québec révolu, une
époque qui avait ses grandeurs et dont, malheureusement, on a retenu que les
aspects les plus scabreux. Malgré des cas malheureux, des dizaines de garçons
et de filles ont découvert un autre monde dans ces salles de classe un peu
étouffantes.
Marjolaine Bouchard réussit à rendre palpitante une
époque, des principes d’éducation qui feraient hurler tous les jeunes de
maintenant. Surtout, il ne faut pas résister comme je l’ai fait. Le pouvoir de
raconter des histoires, Marjolaine Bouchard le partage avec sa petite Flora. Elle
aime s’inventer des aventures pour en faire de gros romans, pour transformer la
vie peut-être et la rendre plus douce.
LES PORTES DU COUVENT (TÊTE
BRÛLÉE et AMOURS EMPAILLÉES) de MARJOLAINE BOUCHARD est
paru chez LES ÉDITEURS RÉUNIS.
https://www.lesediteursreunis.com/cataloguedetail/311/les-portes-du-couvent.html