Hélène Rioux a entrepris en 2007, avec «Mercredi soir au Bout du monde», une saga qui nous conduit aux quatre coins de la planète. «Âmes en peine au paradis perdu» est le second volet de cette entreprise impressionnante. L’ensemble comprendra quatre ouvrages.
Je me précipite dès que je vois que l’écrivaine effectue un pas dans son exploration. Chose certaine, quand Hélène Rioux aura mis un point final à cette aventure, je reprendrai le tout, pour me laisser emporter par ses personnages et cette pérégrination dans le monde de maintenant.
Dans «Âmes en peine au paradis», nous retrouvons des figures que nous avions appréciées dans «Mercredi soir au Bout du monde». Julie a perdu son grand amour et arrive difficilement à refaire surface. Doris est morte, mais elle continue de hanter le personnel et les clients du «Bout du monde». Tous survivent avec la douleur ancrée dans leur chair et leur âme. La vie est marquée par la mort. Les deux vont main dans la main.
«Parfois la mort arrive aussi, à la sauvette, en catimini, et sa prestation n’a rien de spectaculaire. Inaperçue, elle règle son affaire vite fait et puis s’en va. Non, ce n’est pas comme dans les films de guerre aux actualités télévisées.» (p.22)
Présence
Ernesto Liri, le musicien qui a connu la gloire et la grande vie a presque cent ans. Il souhaite réaliser un dernier rêve en Toscane, là où tout a commencé. Il ne sait plus que ressasser des souvenirs. Julie souhaite biffer son passé de danseuse nue comme on se défait d’une vieille robe en s’engageant comme serveuse au Bout du monde. Béatrice croise un homme étrange qui veut réécrire «La divine comédie» de Dante. Il a besoin de l’aide d’une lectrice pour connaître l’état du monde.
«À présent, quelqu’un devait prendre la relève, se charger de l’époque contemporaine, le vingtième siècle et au-delà, qui formerait le cœur de l’œuvre. Cette personne lirait pour lui les journaux, les romans, les essais, tout ce qui lui tomberait sous la main.» (p.56)
La littérature s’infiltre partout dans le roman d’Hélène Rioux. Dante, Proust, Sade et aussi des auteurs de romans de type Arlequin qui se servent d’écrivains fantômes. Que nous soyons en Italie, à Montréal, à Cabarete ou à Séville, les personnages ont eu des contacts, se sont croisés et se sont perdus comme veut la vie. Ils trouvent des frères ou des sœurs malgré des époques lointaines.
Quête
Les personnages dérivent comme des plaques tectoniques qui se heurtent ou s’éloignent imperceptiblement. Chacun cherche une direction ou un paradis perdu. Pour y arriver, certains retournent aux grandes œuvres qui ont marqué l’humanité et la civilisation.
«Nous ne sommes pas, n’avons jamais été dans une vallée de roses. Le paradis est un espoir nostalgique, on croit s’en souvenir sans toutefois l’avoir jamais connu, le paradis est une illusion. L’histoire des villes, c’est comme l’histoire du monde. Celle de l’humanité. Aucune histoire n’est morale, nous sommes tous bâtis sur des ruines, nous fleurissons sur des charniers. Les cris, dit-on, restent longtemps enfermés dans les pierres, quand on est attentif, il paraît qu’on peut les entendre. Nous sommes bâtis sur ces pierres, sur ces cris. Nos maisons, nos os se lamentent, la nuit surtout. » (p.203)
Cela s’appelle la culture ou les cultures. Cela s’appelle le monde contemporain où toutes les frontières sont abolies, où la planète n’est plus qu’un seul et vaste territoire. «Âmes en peine au paradis perdu» est une oeuvre touffue, plein de découvertes et de surprises. Tous cherchent l’amour, une épaule et un peu de chaleur. C’est peut-être ce qui caractérise les hommes et les femmes.
Un roman d’une intelligence remarquable qui fouille dans les obsessions humaines. Un portrait de fraternité, d’entraide, d’affinités littéraires, de rencontres qui changent le cours des choses, de fils qui se rejoignent et se cassent aussi. Une aventure unique, originale et fascinante. Le monde selon Hélène Rioux est dur, difficile, mais combien humain et attachant. Il peut être tout aussi envoûtant, grisant que désespérant.
«Âmes perdus au paradis perdu» d’Hélène Rioux est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/544.html