Notre époque occulte ce rendez-vous gênant et a bien du mal avec ce moment inéluctable qui fait glisser un homme ou une femme vers la fin. «Il est parti», «elle nous a quittés», «il s’en est allé» dit-on, comme si la personne venait de prendre l’avion pour des vacances dans le Sud.
Les «soins palliatifs» et les maisons pour «personnes en phase terminale» camouflent cette réalité. Tellement que des citoyens s’opposent parfois à l’ouverture d’un tel lieu près de chez eux, préférant l’anonymat d’une chambre d’hôpital pour l’agonie d’un proche.
La multiplication des métaphores cache la maladie, la douleur et la peur qui accompagnent cette ultime rencontre. Et, avec l’incinération et autres cérémonies expéditives, le corps reste absent. Les rituels de passage perdent leur sens, les rites inventés au cours des siècles pour apprivoiser la mort et accompagner le défunt, se noient dans l’oubli.
Enquête
Jacques Lazure, dans de courts textes, flirte avec ces moments qui permettent à la mort de s’approprier le corps. Ces nouvelles, parfois dérangeantes, souvent émouvantes, entraînent le lecteur dans des univers étranges qui prennent souvent la forme d’une enquête policière. Les personnages cherchent des preuves et des façons de survivre à la mort ou d’en finir. Ils tentent d’apprivoiser, surtout, cette angoisse qui nous habite et que personne ne veut confronter. Ce moment attendu comme une délivrance ou que l’on va combattre avec acharnement, recourant à une véritable artillerie médicale.
Cette fin, elle peut surgir de façon brutale et violente. Un accident bête ou encore de la main d’un détraqué. Ce peut être un choix aussi. Le suicide, dit-on, devient de plus en plus fréquent chez les personnes âgées. Il est la principale cause de décès chez les hommes de moins de quarante ans au Québec. Est-ce la rançon de l’espérance de vie qui ne cesse d’augmenter? Et pourquoi ce tapage devant un centenaire, dans les médias… Comme si cette personne possédait le secret de l’immortalité qui fait rêver les humains depuis Ovide et Platon. Pourtant, tout le monde le sait, la vie est marquée par les ratés du corps, la maladie et les douleurs. Le pire surgit avec la maladie d’Alzheimer qui provoque une absence au réel. Le cancer aussi ne cesse de hanter notre société. Et que dire du SIDA qui menace des populations entières.
Percutant
Lazure devient percutant quand il se colle aux derniers souffles du vivant et multiplie les points de vue.
«Un geste, celui de caresser, la seule approche possible, la seule approche permise. C’était la première fois qu’il prodiguait des soins aussi attentifs, qu’il écoutait l’autre aussi intensément. Comme si, voyant la mort passer, il osait, pour la première fois, lui demander de s’arrêter pour la scruter et comprendre. Comprendre vraiment? Il n’y avait rien à comprendre. Et quand le mourant soupira pour de bon, quand il relâcha tous ses muscles en ouvrant la bouche, quand il se tourna vers le mur, rien n’avait changé pour Pierre. C’était simplement un mort de plus, rongé par la maladie, dans un hôpital qui en verrait d’autres.» (p.45)
Des questions
Tout n’est pas d’un même tonus dans les vingt-quatre textes d’«Objets de guérison». Jacques Lazure est percutant quand il oublie ce recul «scientifique» ou cet effort d’objectivité et qu’il devient témoin. Il aurait fallu étirer le temps jusqu’à le figer presque dans une nouvelle comme «Mourir et naître», peut-être le texte le plus percutant de l’ensemble. La mort, celle que l’on peut surprendre dans un lit d’hôpital, se regarde dans le silence et le recueillement. Reste que le questionnement est nécessaire même s’il ne fait pas applaudir les foules. Un «Mort Story» n’aura jamais la cote à la télévision. Et pas une entreprise n’aura la témérité de filmer un agonisant dans un lit pour faire la promotion d’un médicament. Le spectateur, celui qui a tout vu et tout entendu, ne le tolérerait certainement pas.
«Objets de guérison» de Jacques Lazure est publié chez VLB éditeur.