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dimanche 6 septembre 2009

Francine D'Amour livre des secrets d'écriture


«Pour de vrai, pour de faux», présente dix nouvelles de Francine D’Amour, des textes précédés de préambules ou suivis d’apostilles qui permettent au lecteur de rôder autour de l’écriture et d’en surprendre les origines. Une sorte de «Making off» de l’écriture.

Il faut toujours une étincelle, une rencontre qui capte l’attention avant de passer à l’acte d’écrire. Francine D’Amour permet à son lecteur de voir un texte germer et s’imposer. Tout peut devenir matière à nouvelle. Un étudiant qui se démarque, un drame qui change tout quand la vie n’est que soleil et sourires pendant un été d’escapades et de promenades à bicyclette.
«Voilà. L’essentiel en cinq cents mots. Huit fautes (une faute par soixante-deux mots et demi). Une histoire si triste racontée par un garçon si facétieux que je ne l’ai jamais oubliée. Des siècles plus tard, je me la suis appropriée. Elle compte deux mille trois cent quatre-vingt-onze mots. Disons que j’ai ajouté un peu de chair autour de l’os. Mais sans cet os, mon Bouchon n’aurait jamais vu le jour.» (p.16)
L’écrivaine rôde du côté de ses œuvres antérieures, évoque les chattes Mascara et Aurore qui se sont imposées au fil des pages.
«Grâce à la plume de leur maîtresse, Aurore et Mascara sont devenues des personnages. Dans Les dimanches sont mortels, la mère s’appelle Jasmine, la fille, Jérômine. Et elles habitent au bord du fleuve dans « un vieux chalet mal rafistolé» auquel on arrive (histoire de confondre le lecteur lavallois) «par le rang de l’Équerre» et d’où on « devine au loin la silhouette du pont Mercier». Si elles se contentent de jouer leur propre rôle de « pachattes » dans ce premier roman, il en va autrement dans Les jardins de l’enfer, où Aurore exprime ses opinions sur tout un chacun et étale ses états d’âme dans de longs monologues intérieurs. Telle une femme de marin, elle se morfond en attendant le retour de sa Bien-aimée, qui l’a abandonnée en la confiant à la garde de jeunes gens odieux et indolents – des « lézards », ainsi qu’elle se plaît à les surnommer.» (p.45)
Lola et Jonas se distinguent dans la galerie des félins qui deviennent des personnages. Il y a une étude à faire sur la présence des chats dans la littérature québécoise. Songeons à Jacques Poulin, Yves Beauchemin. Lise Tremblay, Nicole Houde et plusieurs autres.

Monde connu

Dans «Pour de vrai, pour de faux», le lecteur attentif retrouve la maison du bord de l’eau qui a servi de décors à «Retour d’Afrique», l’éternel fiancé et des souvenirs d’enfance qui se modifient avec le temps. Et un jour tombe le verdict, le mot cancer est prononcé. Le sourire disparaît. Madame D’Amour doit subir des traitements, rencontrer une psychologue qui finit par l’affoler. Ses colères, ses peurs basculent dans des cauchemars qui coupent le souffle. L’angoisse s’installe, les cheveux tombent. La romancière a l’impression de marcher sur un fil qui va se rompre à chaque respiration.
«J’étais furieuse, j’ai dit qu’on le faisait exprès, qu’on m’avait prise en grippe, que j’étais la bête noire de la clinique et qu’on me le faisait payer. Bref, j’ai fait une scène devant tout le monde. Et tout le monde s’est senti mal à l’aise. J’ai crié, j’ai pleuré. Si bien qu’Yves, l’un des deux « officiants », si délicat et si habile d’ordinaire, a raté la veine dans laquelle il allait introduire le cathéter.» (P. 152)
Avec chacune de ses nouvelles, l’écrivaine nous fait visiter son univers, se confie avec un sourire. Comme si nous nous tenions derrière son épaule et que nous la regardions transformer la réalité avec ses phrases. Nous touchons l’intime, les confidences, des secrets que l’on partage rarement. À la fin, le lecteur ne sait trop ce qu’est la réalité ou la fiction, le vrai et le faux. C’est là le miracle de la littérature.
Un recueil généreux, plein d’humour malgré les épreuves. Une écriture miroitante comme l’eau de la rivière des Milles-Iles qui traverse plusieurs des ouvrages de Francine D’Amour.

« Pour de vrai, pour de faux » de Francine D’Amour est paru aux Éditions du Boréal.

Alexandre Lazaridès brise des secrets de famille


Un homme tente de recoller les morceaux de son enfance dans «Adieu, vert paradis» d’Alexandre Lazaridès.
 L’Égypte, la fin des années quarante, une société où les traditions dominent. Les hommes ont tous les droits et les femmes restent des servantes. Le maître travaille à l’extérieur, se permet des aventures, pendant que la femme entretient la maison et se consacre aux enfants. Nous avons connu une société semblable au Québec avant la Révolution tranquille. La religion guidait tous les gestes et les curés surveillaient. Malheur à ceux, surtout celles, qui faisaient un faux-pas.
L’enfant, écrit Alexandre Lazaridès, n’arrive à parler de lui qu’à la troisième personne, comme s’il fallait être étranger à soi pour mieux se raconter. Cette façon lui permet de mettre des mots sur l’inavouable et de tout dire.
Le père devient le complice de son fils aîné qu’il pousse vers une carrière athlétique. Il sera un haltérophile, un champion olympique. Il veut surtout en faire un mâle dont on craint les muscles. La mère, une très belle femme, tient tête à son mari. Continuellement. Tout passe par la parole, la seule arme qu’elle possède. Le petit la voudrait pour lui et entreprend une guerre sans merci avec le père et le grand frère. Il apprend à dissimuler, à garder le silence sur certaines choses, à trahir aussi quand il est certain de faire mal.
«Occuper le moins de place possible, donner l’illusion de ne pas être là, voir sans être vu, c’est l’un des passe-temps préférés de l’enfant ; il excelle à s’éclipser dans les coins les plus inattendus, à faire le mort derrière les meubles ou les fauteuils, et surtout sous son lit ; son imagination se réveille, tout devient mystérieux et fait battre son cœur. Il prend aussi l’habitude de marcher sans faire de bruit, pour convaincre chacun et lui-même de son inexistence.» (p.43)
En devenant invisible, il surprend des scènes qui le traumatiseront.

Le viol

Caché sous son lit, il assiste au viol de la bonne par le père qui la cède ensuite à son fils aîné. Les «vrais hommes» agissent ainsi. Une situation incroyable.
«Le lit grince sous le poids d’une masse beaucoup plus lourde qui vient de s’affaler dessus ; la petite bonne ne cesse de gémir, d’implorer à voix étouffée « non,, non, s’il vous plaît, maître ». Elle ne se tait qu’après avoir poussé un cri déchirant qui est bâillonné net. Puis, il y a des ruades qui passent vite du trot au galop, de plus en plus continues et  brutales ; le matelas posé sur des lames métalliques fatiguées se creuse et s’enfonce à chaque coup au-dessus de l’enfant prisonnier de sa cachette, saisi d’épouvante à l’idée de ce qui a lieu là-haut ; il ne peut rien voir que par les yeux de son imagination affolée, et elle ne voit que l’inimaginable.» (p.166)
La pauvre fille est déshonorée, condamnée dans cette société archaïque. Elle finit par se suicider.

Le drame

Ce n’est qu’à la mort de la mère que le fils comprendra que son père a violé sa mère alors qu’elle avait dix-sept ans. Pour échapper au déshonneur, elle a épousé son agresseur, lui faisant regretter son geste à chaque jour. Cette guérilla a duré jusqu’à la mort du père.
«Une fois tombé le masque de celui dont j’étais né, j’ai acquis la conviction que ma mère avait été contrainte d’épouser son violeur parce qu’elle était enceinte de lui, et que c’était cela, le mot de l’énigme qu’elle cachait derrière la porte condamnée de sa jeunesse, l’astre maléfique autour duquel avaient gravité nos vies, l’intrigant « fardeau trop lourd pour un fils » qu’elle avait décidé de porter toute seule quoi qu’il advint.» (p.336)
Le lecteur sort de ce roman le cœur dans la gorge, l’âme de travers. Si les secrets marquent une vie, ils préparent peut-être une carrière d’écrivain qui se donne le droit de tout dire.

«Adieu vert paradis» d’Alexandre Lazaridès est paru chez VLB Éditeur.