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lundi 10 février 2014

Benjamin se trouve enfin une place

J’ai lu une version de cette histoire, il y a quelques années, alors que je donnais un atelier sur le roman au Camp littéraire Félix. C’était encore un projet, une esquisse. J’avais aimé cette histoire et malheureusement, Marie Clark, n’avait pu se présenter à la session. J’ai découvert son personnage de Benjamin dans Mémoire d’outre-Web, un roman paru en 2011. Le personnage a fait son entrée en scène en 2008, avec Mes aventures d’apprenti chevalier presque entièrement raté. Benjamin avait huit ans alors, était un hyperactif et faisait face à l’incompréhension de ses parents. Marginalisé à l’école, il se réfugiait dans un monde imaginaire, devenait un chevalier.
Tous sont des adultes maintenant plus ou moins adaptés, se croisent de temps en temps. Benjamin n’arrive pas à trouver un lieu, un espace où il pourra donner une forme à sa vie. Le travail ne le trouve pas comme il le répète. Le hasard, une femme exaspérée par son fils, fait que la roue tourne. Il offre à la jeune mère au bord de la crise de s’occuper du garçon. Une heure. Ce sera le début de l’aventure. RX (pour René-Xavier) jure qu’il vient d’une autre planète et Benjamin a toujours été un extraterrestre. Il se revoit peut-être aussi au même âge.
Ils se retrouvent tous les jours et décident de construire un vaisseau spatial dans la ruelle. Une activité qui attirera les laissés pour compte. Benjamin devient un père substitut, un grand frère, un guide.

Qu’est-ce qu’ils ont, les pères ? me suis-je demandé en pensant au mien, qui a déserté la famille quand j’avais quatre ans. Je me suis entendu répondre que je pouvais le faire en attendant de trouver du travail. (p.16)
Marie Clark ne résiste pas au plaisir de suivre ses personnages dans des péripéties pour le moins singulières. Benjamin, à trente ans, a fui Miranda qui est devenue travailleuse sociale. Un amour d’enfance, un amour qui ne veut pas s’éloigner. Il n’arrive pas à croire que quelqu’un puisse l’aimer, qu’il a tout ce qu’il faut pour faire un bout de chemin en couple. Il préfère fuir plutôt que d’affronter ses peurs. La vie fera qu’il aura des choix à faire en s’occupant de RX, en étant bousculé par ce petit bout d’homme, en rencontrant des cas lourds qui s’accrochent à lui. Bien oui, les marginaux attirent les marginaux, c’est connu.
RX a l’imagination fertile et il s’invente un monde pour échapper au quotidien. Il a été abandonné par son père et sa mère en a plein les bras. Benjamin permet au jeune garçon de s’ouvrir, de prendre conscience de ses forces et de ses problèmes. Tout va vite. Nous sommes dans un roman après tout.

Il m’a frôlé maladroitement les poils du bras de sa petite main carrée. Un geste difficile pour les muscles constamment bandés d’un guerrier. Je ne savais pas trop comment interpréter sa dernière phrase, mais mes yeux, ma gorge se sont quand même mis à picoter. Le silence qui a suivi était inconfortable. (p.33)

Et de grands escogriffes rôdent autour de ce vaisseau qui n’a rien de spatial, finissent par former une bande singulière. Des éclopés qui vont de famille d’accueil en famille d’accueil, de problèmes en situations dramatiques. Benjamin devient le coeur de ce groupe qui constitue une famille avec un grand-père et quelques mères. On appelle cela une famille reconstituée ou bricolée. Il y a aussi les gangs de rues qui s’affrontent, les règlements de compte. Malgré tout, ce sont des garçons et des filles qui ne demandent qu’un peu d’attention et d’amour.
Certaines figures séduisent rapidement. Emma ou le Princesse en particulier. La violence couve dans ces quartiers où les jeunes vivent des sévices et des agressions, connaissent des guerres ethniques et tribales.
Marie Clark nous plonge dans un univers rude, difficile, mais elle transcende rapidement le sordide par l’imaginaire. Les agressifs, les poqués saisissent leur chance même si rien n’arrive facilement. Et ça marche. On y croit. On aime y croire. Même que les adultes sont forcés de tout remettre en question. Benjamin prend conscience de ses qualités de rassembleur et finira par devenir une famille d’accueil où les jeunes viendront pour faire des projets et vivre la fraternité, l’entente et acceptent leurs différences. Il y a de l’espoir chez Marie Clark. La lumière du soleil perce rapidement les gros nuages. Benjamin deviendra un adulte.
Certains peuvent trouver ce roman naïf ou un peu idyllique, mais j’aime ça. La joie, l’amour, le partage sont accessibles, il suffit de vouloir, de pouvoir saisir sa chance. L’écrivaine rompt avec les romans du genre qui se complaisent souvent à décrire l’insupportable et l’horrible. Les agressions, les sévices sont évoqués, mais jamais elle ne s’attarde au côté sordide du monde. C’est ce qui fait le charme de ce roman plein d’imaginaire, de personnages étranges qui se débattent avec leurs démons.

Parce qu’il faut bien, ai-je terminé dans ma tête, qu’au moins un être vivant, quelque part, dans l’univers, trouve une place minimale en lui pour l’inadmissible en nous. Parce que la vie humaine se résume à ça, me suis-je encore balbutié, une lutte constante, à la fois contre l’inadmissible de soi et pour son intégration. Une soif qui fait vivre et qui tue. (p.167)

L’acceptation de soi, la résilience. Tous s’en réchapperont, enfin presque tous. Même  le bébé phoque, un trisomique, pourra croire qu’il est normal. Une histoire belle de soleil, de rebondissements, de personnages méfiants qui finissent par se laisser approcher.
Un plaisir de lecture.
Peut-être que Marie Clark nous permettra de les retrouver dans un autre lieu, un autre espace. Après tout, c’est la troisième fois qu’elle nous fait le coup. Les marginaux fascinent cette écrivaine et Benjamin lui permet de suivre des jeunes largués par la société parce qu’ils ne correspondent pas au modèle courant. Ici, tous se retrouvent malgré leurs différences et leur passé, arrivent à faire un bout de chemin ensemble. On en veut encore.

Le lieu précis de ma colère de Marie Clark est paru chez XYZ Éditeur, 196 pages, 21,95 $.