C’était
dans les années 70. Je suivais un cours portant sur «La guerre, yes sir» de Roch Carrier à l’Université de
Montréal. Pendant une discussion, Jean Cléo Godin, le professeur, a lancé comme
ça que pour écrire, d’une façon symbolique, il fallait tuer le père. Cette
phrase m’a hanté pendant des semaines est à l’origine de mon second
roman : «Le Violoneux», une histoire où le paternel joue un grand rôle. Et
voilà que monsieur Godin publie un récit sur le même sujet. Comme si le temps
se recroquevillait pour ressusciter une figure marquante.
Dans «Le mal de père», Jean Cléo Godin tente de
cerner sa vie, ses comportements, ses manières de faire et de voir. Quels ont
été ses liens avec ses étudiants et ses amis? Cette «page blanche», ce père qui
a eu la mauvaise idée de mourir si jeune peut-il tout expliquer? Qu’est-ce qui
fait que l’on prend telle direction dans sa jeunesse avec les conséquences que
l’on peut questionner.
«Dès le début de notre entretien, elle me demande
de lui parler de mon père. Je lui dis que, pour moi, mon père est comme une
page blanche : je n’avais pas encore mes trois ans lorsqu’il est mort, je
ne l’ai donc pas connu. Et nous parlons d’autre chose.» (p.12)
Belle image pour désigner ce père inconnu que le
professeur et écrivain cherchera toute sa vie sans en faire un drame ou une
obsession. Plutôt un manque, une absence à laquelle il s’est habitué.
«Je suis le fils inconnu, d’un père que je ne
connaîtrai jamais. Ça ne m’a pas empêché de connaître l’amour ni le bonheur de
fonder à mon tour une famille et de passer des années sans même penser à mon
père. M’est-il arrivé, par exemple, de rêver à lui ? Quand j’étais tout
petit, peut-être, mais je ne m’en souviens pas. C’est plutôt comme une
résurgence profonde. Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est que ça devienne
de plus en plus envahissant, voir obsédant, au fur et à mesure que je vieillis.
Est-ce cela (déjà!) retourner en enfance?»
(p.24)
Enquête
Jean Cléo Godin reconnaît des faits, des
comportements, des réactions qui s’expliquent peut-être par ce manque, malgré
des frères qui ont remplacé le père. Son frère André, qui le précédait de
quelques années, décédé de la tuberculose, restera une autre figure marquante,
pour ne pas dire obsédante.
Un récit émouvant, écrit dans une langue
magnifique. Jamais d’atermoiements, de complaisance, mais un regard lucide et
stimulant. Le regard d’un homme qui, après toute une existence presque, tente
de mettre les choses au clair.
Comme quoi on peut passer une vie avant de
comprendre « certains réflexes » et des comportements particuliers. Plusieurs
ne veulent pas y penser, mais les écrivains ne peuvent s’empêcher de tourner
autour de cette figure qui marque par son absence ou son omniprésence.
«Le mal
de père» de Jean Cléo Godin est paru aux Del Busso Éditeur.