Il n’est jamais facile d’approcher un mythe. Marjolaine
Bouchard semble aimer ces défis et a réussi à nous captiver en tournant autour
d’Alexis le Trotteur et du Géant Beaupré. Ces deux romans nous plongent dans un
milieu, une époque, une manière de vivre, des destins qui sortent de
l’ordinaire. Elle tente l’exploit en approchant Lili St-Cyr cette fois, une
effeuilleuse mythique dans l’esprit de plusieurs, une femme qui a fait soupirer
Montréal à une époque révolue. J’avoue que je ne connaissais rien de cette icône.
C’était un nom, une image que j’ai croisée dans certains romans.
Immense défi que
celui-là. Monde méconnu, un peu sordide, du moins dans l’imagerie populaire
qu’aborde Marjolaine Bouchard. Les cabarets, l’alcool, les truands, les mauvais
garçons, la prostitution nous viennent à l’esprit, l’exploitation et la
violence. Comment échapper aux clichés même s’il y a toujours une certaine
vérité derrière ces lieux communs.
L’enfance d’abord,
la petite fille. Après tout, je ne cesse de le répéter dans mes chroniques,
tout vient des premières années qui font l’adulte que nous sommes et que nous questionnons
pendant toute une vie.
Une enfance normale.
Pas d’agressions, de violence. Une mère un peu sévère et un père aimant.
Malheureusement, un accident rend le père impotent et tout bascule. Ce sera les
déménagements successifs, une scolarisation un peu délaissée, une vie où tout recommence
tout le temps. La jeune Marie prendra goût à cette errance, aux départs et à ces
vies différentes. Je me reprends. C’est un peu plus compliqué que ça. Sa mère
n’était pas sa mère. En fait, celle qu’elle croyait sa mère était sa tante. Un
peu d’histoire. Un milieu religieux, sévère. Nous avons connu ça au Québec. L’histoire
d’amour d’une jeune femme qui sort de l’adolescence tourne mal. La voilà
enceinte. Il faut sauver la face, la
réputation de la famille. La tante, qui a mari, s’occupe du bébé et se fait
passer pour la mère. Sa vraie mère est sa tante. Vous comprenez ? On a échangé
les mères et la réputation est sauve. Nous avons eu des cas semblables au
Québec à l’époque où le curé contrôlait les naissances.
La mère tante
couturière fabrique de beaux vêtements et la jeune Marie regarde, écoute, rêve.
Elle aime les vedettes de cinéma qui font la une des revues. Surtout Greta
Garbo qui sera un modèle et Marylin, la grande Marylin Monroe. Devenir une
vedette, attirer tous les regards, être le centre de toutes les attentions,
être la plus belle des belles. La richesse aussi. Une tante un peu excentrique fait
oublier la réalité, la misère et les difficultés, laisse croire que l’on peut
s’arracher à une vie étouffante pour plonger dans la féérie.
Lili St-Cyr en fera son
objectif, sa passion. Toute sa vie tourne autour de l’image, de l’apparence, le
paraître, les bijoux et les vêtements. Elle ne se refusera rien et y dilapidera
des fortunes.
Parcours singulier
La jeune Marie Van
Schaack suit des cours de danse, s’acharne, veut devenir comédienne et briller
sur les écrans. Elle doit gagner sa vie et devient effeuilleuse tout
naturellement. Pas une fille comme les autres, de celles qui se déshabillent pour
se déshabiller, répétant machinalement les mêmes gestes devant un public mal
dégrossi. Lili en fera un art. Elle invente des scénarios, incarne des
personnages, évoque les grandes séductrices de la mythologie. Une chorégraphie
où la nudité ne sera qu’illusion, un moment éphémère. Elle se rhabille surtout.
La fameuse scène de la baignoire où elle se retrouve nue dans son bain au début
du spectacle pour enfiler ses vêtements avec grâce et finesse. Elle deviendra
la muse, celle qui envoûte les hommes, fait rêver, attire les mauvais garçons
comme les riches. Elle donnera un cachet particulier à ce genre de spectacle, un
raffinement qui étonne tout le monde.
Elle changera
plusieurs fois de nom, vivra des amours tumultueuses, violentes parfois, sera
toujours attirée par les mauvais garçons ; entretiendra un appétit insatiable pour
le luxe, les vêtements signés par les plus grands couturiers, les bijoux et les
œuvres d’art. Elle ne se privera de rien, dilapidera tout, aura toujours besoin
d’argent.
Sa vie est marquée
par les voyages, les dépenses excessives, une belle complicité avec sa
grand-mère, une fidélité à sa famille et ses amis. Elle ne pouvait se priver du
jeu, des rôles, du regard des hommes. Il lui fallait rêver, devenir une autre
tout le temps pour fuir la réalité.
Elle finira dans la
réclusion, la solitude, aux côtés d’un mari handicapé. Qui vit par l’image
périt par l’image. Une fin de vie sordide où elle tentera d’échapper au
vieillissement par les drogues.
Société
Le roman de
Marjolaine Bouchard témoigne du passage d’une société traditionnelle, marquée
par l’empreinte de la religion, des religions devrais-je dire, remplie de
préjugés vers une société moderne où les femmes se libèrent et peuvent faire
l’amour sans la fatalité de la maternité. Lili St-Cyr n’y trouvera plus sa
place. Elle a incarné pourtant, au sommet de sa gloire et de sa popularité, la
femme libre, celle qui capte tous les regards, suscite tous les désirs. Une
femme-enfant peut-être, capricieuse qui ne vit que dans l’instant. Une comète
dans un monde qui n’a cessé de se dégrader avec le temps. Elle était
différente, fantasque, imprévisible, aura fait tourner toutes les têtes à
Montréal et aux États-Unis, connue des procès, les premières pages des
magazines.
Pas facile de cerner
une séductrice qui se voyait comme une image ou qui pensait vivre dans un film.
Lili St-Cyr n’a pas échappé au destin des étoiles filantes qui marquent
l’imaginaire et permet d’inventer les mythes.
L’esquisse d’une époque,
d’un Montréal chaud qui a bien changé avec l’arrivée de Pax Plante et Jean
Drapeau. Une femme souvent imprévisible, qui aimait séduire et avait bien du mal
avec le quotidien de l’amour. Elle a défendu sa liberté en le payant cher, est
demeurée peut-être une petite fille qui cherchait à être le centre du monde. Une
femme fragile que la réalité décevait et qui voulait la transformer pour être un
soleil, un astre autour duquel tout tourne. Elle aura réussi. Elle a fait sa
place dans l’imaginaire, nous en parlons encore.
Lili St-Cyr, de
Marjolaine Bouchard est paru chez Les
Éditeurs réunis, 27,95 $.
Ce qu’elle a écrit :
Les pérégrinations de la famille dans tout
le pays, c’était comme la migration des gitans dont papa Ben parlait, ces
joyeux voyageurs qui se moquaient de l’argent et du travail, et dansaient en
chantant l’amour et la liberté. À leur image, elle apprit à se détacher, à ne
développer aucun sentiment d’appartenance, à tout quitter sans regret. Au fond,
elle aimait bien les voyages, et les déménagements avaient l’avantage de la
retirer de l’école un certain temps. (p.17)
.
C’était un jeu : ne dévoiler que ce qu’il
faut, lentement, très lentement. Le moment crucial, le climax où la nudité
serait exposée ne devait durer que quelques secondes, et encore, tournée dos au
public ou de trois quarts, cachée derrière des plumes ou bras croisés sur
l’essentiel, pour ne pas brider l’imagination du spectateur, lui permettant
d’aller plus loin que la réalité. (p.163)
.
Heureusement, ils avaient seulement le droit
de regarder, pas celui de toucher. Ils devaient conserver l’immobilité du
voyeur. Ce devait être à sens unique : ils ne pouvaient être ni aimés ni
désirés d’elle. Elle leur offrirait la vue de son corps, mais sans jamais leur
appartenir. Là résidait son ultime contrôle. Gentiment, elle se moquerait
d’eux, en leur infligeant une soif insatiable. (p.173)
.
— Oui, mais c’est un monde fermé, immobile.
Je veux vivre uniquement pour l’extase, le plaisir. Les doses calculées, les
amours modérées et les demi-tons me frigorifient. J’aime la surabondance,
j’aime faire exploser le mercure du thermomètre. (p.240)
.
D’accord, les femmes avaient droit de vote
et droit de parole, elles sortaient des maisons pour entreprendre des études et
des carrières afin de ne plus dépendre financièrement des hommes. Ça, elle
l’avait toujours encouragé, elle en était un exemple vivant ! Mais toutes ces
nouvelles féministes qui dénigraient le striptease et les concours de beauté…
Pourtant, la stripteaseuse usait d’un réel pouvoir en bouleversant les vieux
clichés, en choquant, parfois de façon très provocante, les codes de la société
La stripteaseuse renversait les rôles, c’est elle qui prenait les commandes. En
menant le jeu, elle n’était plus une femme passive et soumise. (p.401)
http://www.lesediteursreunis.com/cataloguedetail/199/Lili+St-Cyr.html