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dimanche 25 octobre 2009

Laurent Laplante regarde dans le rétroviseur

«Par marée descendante» de Laurent Laplante met l’accent sur une période de la vie que l’on a tendance à mystifier. Combien de fois entend-on parler de l’âge d’or et de retraite dorée. Un temps de la vie qui se prolonge de plus en plus, créant des problématiques nouvelles. La télévision montre à répétition l’image de «ces jeunes vieux» qui partent découvrir le monde comme des adolescents. Malgré cette version édulcorée, ce versant de la vie est souvent marqué par la maladie, la solitude et l’isolement. Et quand il n’est plus possible de vivre dans une maison durement acquise, il faut s’adapter à la vie communautaire, s’installer dans un foyer en attendant le dernier voyage. Pas facile pour les individualistes que nous sommes.

Rétroviseur

C’est aussi la période des bilans, même s’il y a de moins en moins de gens pour écouter. Les enfants sont aspirés par le travail, la productivité, les divorces et les gardes partagées. Laurent Laplante «regarde dans le rétroviseur» comme il dit. Rappelons qu’il a été un observateur et un commentateur de l’actualité pendant toute une carrière journalistique fort active.
«Atteindre 75 ans en 2009 signifie que j’avais 11 ans lors l’armistice de 1945, 16 ans au déclenchement de la guerre de Corée, 25 ans à la mort de Duplessis, 33 ans lors de l’Exposition universelle de Montréal, 36 ans à la Crise d’octobre, 42 ans au soir de la première victoire électorale du Parti québécois…» (p.11)
Il a vécu la Révolution tranquille, la laïcisation de l’État ou ce qu’il en a résulté, l’arrivée de nombreux immigrants et la mondialisation, le féminisme et les tergiversations du Québec. L’auteur questionne sa vie, ses décisions, des idées qu’il a défendues pendant un certain temps.
Lecteur boulimique, ce solitaire s’est exercé à la lucidité pendant toute sa vie. Sans développer de thèses, Laurent Laplante nous permet de nous arrêter sur une tranche de l’histoire du Québec.
«Le XXe siècle aura mitonné ce qui semble une loi non écrite du Québec politique. Loi qui s’énoncerait ainsi : chaque génération délaisse le véhicule idéologique de la précédente pour inventer le sien. Une deuxième pourrait, moyennant nuance, s’ajouter : les partis idéologiques naissent d’un leader et s’écroulent à sa disparition.» (p.55)
L’aspect politique prend de l’importance dans la réflexion de Laplante. On ne fréquente pas le monde journalistique et les preneurs de décisions sans que cela ne laisse des traces.

Méfiance

L’auteur se méfie cependant de ses réflexes de journaliste et c’est pourquoi, peut-être, il a divisé son livre en deux volets. Il laisse courir sa réflexion et «Dans les marges de l’écriture», il s’interroge, réfléchit à ce qu’il vient d’énoncer. Un point de vue plus personnel, plus intime s’exprime alors.
Il voit juste, frappe fort malgré les masques et les décors de plus en plus impressionnants qu’apprécie la société. Les syndicats se sont embourgeoisés. Le mouvement Desjardins n’a plus rien à voir avec les coopératives des débuts. La télévision et la radio de Radio-Canada, si importantes dans l’émergence de la pensée au Québec, se vident de leur substance dans la course aux cotes d’écoute.
«Sauf au cours de la fin de semaine, Radio-Canada impose une macédoine infecte d’acceptable, de crétinisme, de beau, de guimauve d’ascenseur. Tout cela enveloppé dans son hypocrisie snobinarde et d’inattaquables principes. Après l’instruction sans effort, la culture rendue facile et la démocratie à sa plus courte distance de la démagogie… … Radio-Canada est gérée par des analphabètes qui ignorent la mission d’une radio d’État.» (p.118)

Réflexions

La pensée fait peur. Plus, elle ennuie. On la fuit, on la ridiculise. Il faut se détendre, s’amuser, regarder des pitreries au petit écran ou courir se gaver de la vulgarité de certains humoristes dans les salles.
Le journaliste tente d’éviter les travers de l’âge qui occultent le présent et donnent toute la place au passé. C’est fort heureux. Réflexion pertinente, juste, on aurait aimé qu’il pousse plus loin sur le monde politique et médiatique.
Laurent Laplante est un sage, un critique nécessaire qui a encore son mot à dire et il fait bon l’entendre, l’écouter discourir, parfois nous fustiger. Il en a le devoir.  

«Par marée descendante» de Laurent Laplante est paru aux Éditions MultiMondes.

dimanche 18 octobre 2009

Victor-Lévy Beaulieu retourne aux sources

Victor-Lévy Beaulieu, avec «Bibi», nous ramène dans son adolescence. La famille a quitté les arrières de Trois-Pistoles pour s’installer à «Morial-Mort». La tribu vit dans un appartement trop petit où Abel, l’alter ego de VLB, veut échapper à la vie de ses parents.«Moi, je ne suis pas comme vous autres, je suis venu au monde pour créer, pour rêver, pour dénoncer, je suis venu au monde pour connaître vraiment ce que le mot passion veut dire.» (p.103)
Le lecteur va des premiers pas d’Abel en littérature à une course folle dans le monde pour retrouver Judith qui lui a fait découvrir la sexualité et a cru en lui. Elle l’a fait exister comme écrivain avec son regard de lectrice.
Cette partie nous mène à Paris. Abel a remporté un prix littéraire et doit faire un stage chez Larousse en édition. Le texte gagnant a été la source, on l’imagine, de «Pour saluer Victor Hugo».
Abel n’a pas revu Judith depuis quarante ans et un matin, une lettre arrive dans sa maison de Trois-Pistoles. Un appel, un ordre. Il quitte tout, va de pays en pays comme le Petit Poucet pour retrouver la seule femme qu’il a aimée. C’est ainsi qu’il débarque en Éthiopie, berceau de l’humanité et peut-être aussi son tombeau.
«… - cette peur qui me fait suer, qui s’immisce sous l’attelage me recouvrant le bras et l’épaule gauches, infiniment douloureux ça devient : ça monte jusqu’à mes yeux, ça y plante plein de petites aiguilles empoisonnées, je ne verrai bientôt plus rien ni du ciel ni de la terre, je ne serai plus sur la terre battue qu’un petit corps mal recroquevillé et assailli par les essaims de mouches belliqueuses et buveuses de sang… -» (p.439)
Ces courses en Afrique permettent à Beaulieu de discourir longuement sur la misère, les coups d’États, les régimes despotiques et les génocides. Un continent exploité par des dictateurs sanguinaires, tous jouets des puissances mondiales. Ce n’est pas la partie la plus intéressante de cette saga.

Les parents

Victor-Lévy Beaulieu revient sur cette haine viscérale et obsédante qu’il entretient envers sa mère et son père. Signalons seulement le portrait qu’il fait de sa mère dans «James Joyce». Particulièrement troublant et dérangeant. Ses parents devenant un obstacle à ce qu’il veut être dans la littérature. Il doit rompre, les éloigner, les chasser. Cela devient vite hallucinant comme tout ce que touche ce romancier.
«Je les aguis, que je dis. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce qu’ils vous ressemblent : se confortent aux idées reçues, n’ont plus le pouvoir de penser parce que votre Église et toutes les autres les ont lobotomisés. Et tout ça pour jouir d’une vie éternelle, qui n’est rien de moins qu’une chimère. Quand on meurt, le corps pourrit, et c’est ça la vie éternelle : un petit tas d’ossements qui finit par disparaître complètement, rien d’autre.» (p.311)
Il s’attarde longuement à la poliomyélite qui l’a laissé sur une planche de bois pendant des jours. Ses lectures aussi, des réflexions sur le Québec et certains écrivains.
Roman du souvenir, du vieillissement, Abel fait le point sur le parti de soi qu’il a pris en choisissant d’écrire. Nous sommes loin du «James Joyce» et de «La Grande tribu» où l’écrivain atteignait des sommets inégalés.
«- ne te déjette pas de ton égoïsme, il n’y a que ça qui t’appartienne en propre, il n’y a que ça qui fait que tout ce qui t’appartienne en propre, cette étendue, cette profondeur, cette durée – toi, toi-même, uniquement toi, totalement toi-même -» (p.494)
La mort est évoquée dans une sorte de prière qui monte du fond de l’être. C’est particulièrement touchant. Abel souffre dans son corps frappé par la maladie, survit en vidant des bouteilles de whisky à petites gorgées, évoque la douleur de Kafka qui se sait perdu au sanatorium ou d’Antonin Artaud qui délire dans sa réclusion.
À la fin de cette errance, Abel est criblé de balles après avoir retrouvé Judith qui a mis en scène sa propre mort. Survivra-t-il ? Si Abel meurt, il ne faut pas attendre de suite à ces mémoires et j’en serais fort attristé.

« Bibi » de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 
http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=6

dimanche 4 octobre 2009

Dany Tremblay traduit l’innommable

«Tous les chemins mènent à l’ombre» de Dany Tremblay est constitué de vingt-quatre nouvelles qui poussent le lecteur à la limite du tolérable. Il suffit d’un geste et tout bascule. La vie éclate dans une sorte de bing bang existentiel. Plus rien n’a de sens. Une sorte de frontière a été franchie. Les personnages sont des corps en orbite.

 «Hier encore, elle se serait contentée d’observer à distance, à l’abri derrière son volant. Mais rien de ce qui tenait auparavant n’existe plus. Sa vie a basculé dans les dernières vingt-quatre heures. Elle ouvre la portière et sort du véhicule.» (p.63)
Les héroïnes de Dany Tremblay subissent des agressions qui rendent la vie impensable. Meurtries à l’âme, elles choisissent de continuer même si elles sont défaites ou d’en finir. Il faut alors vivre au-delà de la douleur, de l’avilissement et des mots. Nous sommes loin des croisements de Paul Auster qui fait glisser ses héros dans une vie parallèle. Chez Dany Tremblay, il n’y a pas de vie en parallèle.
Le lecteur a l’impression de s’aventurer sur le tranchant d’un couperet. Il glisse sur un fil et le moindre souffle provoque une catastrophe. Un pas, un autre et c’est la fin. Comment survivre quand son âme à été souillée…

Geste ultime

Marie tue l’homme qui la violentait depuis des années. Elle s’enfuit. Tadoussac, Baie-Sainte-Catherine, une maison au bord de l’eau et une vieille dame qui devine tout. Sa course la mènera peut-être aux Iles-de-la-Madeleine où tout s’arrêtera. Un jour, il faut empoigner la réalité ou en finir. Ruth a été violée sur une plage, face au fleuve. Julie n’en peut plus de sa dépendance et des humiliations. Elle s’enfonce dans l’eau glacée du Saint-Laurent.
Plusieurs des nouvelles nous amènent près du fleuve, ce lieu où la terre et l’eau se repoussent. Fascination pour l’eau et les profondeurs qui permettent de mettre fin à une douleur insoutenable.
«D’ici là, elle sera loin. L’eau est si froide. À peine si elle sent ses pieds, ses mollets. Elle avance d’un pas. D’un autre. Elle veut en franchir sept avant de tomber et d’être emportée par les courants. Au troisième, elle trébuche, perd le souffle en se retrouvant dans l’eau. Elle a le réflexe de se relever, de vouloir reprendre pied. Elle ne retrouve pas ses fonds, cesse de se débattre. Elle songe que ça ne prendra pas plus de sept minutes avant que tout soit fini. Elle commence à compter.» (p.87)
Les personnages de Dany Tremblay vont vers la mort ou survivent au-delà des mots et des émotions. Il faut des situations extrêmes, un geste sans retour pour trouver une forme de paix.

Éclairage

Les nouvelles de Dany Tremblay s’éclairent l’une l’autre, se complètent et permettent de mieux comprendre le drame qui foudroie un personnage. Elles fouillent l’âme humaine, la violence et les situations extrêmes. Elle nous entraîne au-delà du langage, là où il n’y a que les gestes qui importent et décident de tout.
L’écriture de Dany Tremblay fouille certains aspects des humains que personne n’aime mettre en évidence. Une écrivaine qui traduit en mots des situations ou des drames difficiles à imaginer. Elle frappe juste et fort à chaque fois.
Si quelques textes viennent directement de «Miroir aux alouettes», publié en 2008, ils ont tous été remaniés. Il faut faire l’expérience de lire ces nouvelles en parallèle. Une belle leçon d’écriture qui montre comment on peut pousser un texte là où il doit aller. Tout a été soupesé, rendu plus incisif.
«Tous les chemins mènent à l’ombre» est d’une densité rare. Dany Tremblay s’avère une nouvelliste d’une efficacité remarquable.

«Tous les chemins mènent à l’ombre» de Dany Tremblay est paru chez La grenouille bleue.

samedi 26 septembre 2009

Monique La Rue bouscule un Québec incertain

«L’œil de Marquise» de Monique La Rue, une véritable fresque familiale, fait revivre ces années où le Québec hésite entre la volonté de devenir un pays et le statu quo. Les frères Cardinal s’opposent. Louis est un indépendantiste convaincu et Doris hésite avant de tourner le dos à cette idée. Marquise va de l’un à l’autre, témoigne, tente peut-être de réconcilier l’impossible.
«Je suis la sœur de deux frères qui ne s’entendaient pas: Louis, l’aîné, et Doris. Je suis née entre les deux, j’ai vécu toute ma vie dans leur intime intimité, compris l’un, compris l’autre, comme ces enfants de divorcés qui s’exercent à ne pas prendre parti, à concilier l’inconciliable.» (p.11)
Louis est médecin, le compagnon d’une anglophone avec qui il aura une fille. Doris découvre son homosexualité sur le tard, devient l’amant de Jimmy Graham. Marquise, après un séjour à Paris avec Osler, un Belge qui a posé la bombe qui a tué Peter Graham en 1966, le père de Jimmy, vit avec un psychanalyste juif, écrit pour les jeunes. La famille Cardinal est déchirée, particulièrement depuis le dernier référendum où les tenants du oui ont failli l’emporter.
Doris, jongle avec des questions que personne n’aime brandir, écrit dans les journaux, intervient lors des lignes ouvertes à la radio.
«Si Jimmy Graham, disait-il, a entendu quelque chose de raciste dans mes mots, c’est lui qui a raison. Ce n’est pas à celui qui parle de juger, c’est à celui qui entend. Ce n’est pas à nous de dire qu’on n’est pas racistes. C’est aux autres de juger… … Même si je suis antiraciste, disait-il, cela ne m’empêche pas d’être raciste sans le vouloir.» (p.95)

Dérangeant

Roman courageux qui secoue des idées que nous n’aimons pas trop ressasser et encore moins discuter. Le nationalisme, le racisme, notre comportement face à l’étranger et à la violence, nos hésitations et nos peurs maladives. Marquise le résume bien en parlant de son jeune frère Doris.
«Il voulait traverser le miroir, devenir étranger, toujours plus étranger, étranger aux étrangers et à lui-même, comme l’enfant qui naît passe de l’eau à l’air, du noir à la lumière, apprend à regarder le corps de sa mère comme un autre corps, ce corps dans lequel il se trouvait, duquel il faisait partie depuis toujours, il s’en dégage peu à peu et apprend à le considérer comme un corps étranger. Il découvrait que l’on peut faire avec la langue maternelle la même chose qu’avec le corps maternel. S’en séparer.» (p.121)
Un récit plein de rebondissements qui questionne la vie, l’art, l’écriture, l’amitié, l’individualisme et la collectivité. Marquise tente de secouer le mauvais sort qui colle à elle comme cet Osler qui revient hanter sa vie. Un regard sur ce que nous sommes comme peuple et sur ce que nous sommes en train de devenir ou de ne pas devenir. Nos hésitations, nos craintes, nos peurs et surtout notre incroyable capacité à ne pas choisir s’imposent derrière les héros de Monique La Rue.

Courage

La romancière et essayiste n’évite jamais ces questions que certains voudraient biffer de notre histoire. Bien sûr, certains groupes au Québec ont connu des dérives idéologiques au cours des années. Pensons au fascisme. Il y a aussi ces Hassidiques qui vivent à Montréal comme sur une autre planète sans tenir compte des francophones. Monique La Rue a déjà été qualifiée des pires épithètes en abordant cette question.
L’écrivaine étonne, déroute pour mieux montrer nos travers. Une réflexion essentielle, un véritable trou noir qui aspire le lecteur et le pousse dans toutes les directions. Un roman exceptionnel.

«L’œil de Marquise» de Monique La Rue est paru aux Éditions du Boréal.

dimanche 13 septembre 2009

Jean Perron se perd dans la beauté de Venise

Un cinéaste, lors d’un séjour à Venise, croise une très belle femme. Le déclic se fait rapidement. Ce pourrait être une autre folle histoire d’amour que celle mise en scène par Jean Perron dans «Les fiancés du 29 février», mais il y a quelqu’un dans la vie de Corina.
 Les deux sont fascinés et décident de faire un film. Peut-être pour vivre un temps ensemble. Les images arriveront-elles à révéler cette femme imprévisible et secrète? Qui est Corina qui aime le cinéaste et une autre personne? Qui est le plus authentique? La femme qui porte un masque ou celle qui va visage nu?
«Cette séquence et d’autres images en mouvement apparaissent en surimpression, s’évanouissent les unes dans les autres et forment une trame dont je cherche le sens. Pourtant, ces images, c’est moi qui les ai filmées et en ai fait le montage. J’ai réalisé de nombreux courts métrages, je les ai tous présentés ou diffusés publiquement, mais pas celui-là, même s’il remonte déjà à quelques années. Et il n’a toujours pas de titre.» (p.12)
Venise se transforme au temps du carnaval, devient un film impressionniste. La ville est une vaste scène où résidants et visiteurs mutent sous les masques et les déguisements. Des fantômes hantent les rues et les décors millénaires.

Malédiction

Corina, une ancienne gymnaste, a connu un mariage blanc avec son entraîneur. Aucune sexualité pendant dix ans. Fabule-t-elle ou vit-elle réellement une double passion? Le cinéaste apprend la méfiance, mais il est incapable de s’éloigner. Cette femme l’aime, le fuit et l’attire.
«J’espérais un message de Corina, dont j’étais sans nouvelles depuis quelques jours. Il y en avait un. Mais l’espoir s’est mué en son contraire quand je l’ai lu, l’espoir s’est affublé d’un triste préfixe, d’un «dé», et j’ai pensé au célèbre coup de dé de Mallarmé, qui jamais n’abolira le hasard.» (p.16)
Tout est dit. Le cinéaste découvre peu à peu la double vie de Corina, sa passion pour une autre femme. Étrange chassé-croisé avec une femme évanescente qui disparaît dans la nuit pour ressurgir défaite au matin.
«Quand je téléphonais à Corina, son long silence me confirmait sa douleur, et le mien qui y répondait, par une entente tacite entre nous, se voulait un baume. Je ne faisais aucune remarque et ne posais pas de questions. Je posais mon silence sur le sien et nous pouvions rester ainsi pendant plusieurs minutes. Autant ce silence mutuel marquait une communion, autant il indiquait le vide infranchissable qui nous séparait.» (p.68)
Un pas en avant, une dérobade, un espoir et un amour qui en reste au désir. Un monde d’homosexuels et de lesbiennes qui laissent tomber les masques. Des ombres s’effacent au coin des rues quand la brume colle aux murs. Les fantasmes et les passions se libèrent alors, le temps d’une nuit ou d’une fuite en gondole.

Venise l’étrange

Venise ne cesse de subjuguer ceux qui s’y aventurent. Les esprits s’y amusent le temps d’une mascarade, permettent de plonger en soi pour révéler des aspects de soi que l’on dissimule le reste du temps. Une ville qui a hanté nombre de créateurs, Ernest Hemingway entre autres. Jean Perron multiplie les points de fuites avec les canaux, les reflets dans les vitres, les glissades du brouillard qui créent un monde irréel. Un roman où tout se répond et se mélange.
Corina danse nue pour mieux se masquer et échapper à l’amant. Le cinéaste n’arrivera jamais à la saisir avec sa caméra, ni à la tenir dans ses bras malgré les rapprochements et certaines promesses. Tout comme il s’avère impossible de cerner une ville qui abrite des secrets millénaires, qui attirent ceux qui vivent d’illusions et courtisent la folie.
Plusieurs niveaux de lectures dans ce court roman. Où est la vérité et où fuit le mensonge? Jean Perron ne donne pas de certitudes et c’est fort heureux. Arrive le drame, même si un amour comme celui-là ne se termine jamais. Comme toutes les histoires qui ont Venise comme décor, comme tout ce qui devient mythe.

«Les fiancés du 29 février» de Jean Perron est paru chez ZYZ Éditeur.

dimanche 6 septembre 2009

Francine D'Amour livre des secrets d'écriture


«Pour de vrai, pour de faux», présente dix nouvelles de Francine D’Amour, des textes précédés de préambules ou suivis d’apostilles qui permettent au lecteur de rôder autour de l’écriture et d’en surprendre les origines. Une sorte de «Making off» de l’écriture.

Il faut toujours une étincelle, une rencontre qui capte l’attention avant de passer à l’acte d’écrire. Francine D’Amour permet à son lecteur de voir un texte germer et s’imposer. Tout peut devenir matière à nouvelle. Un étudiant qui se démarque, un drame qui change tout quand la vie n’est que soleil et sourires pendant un été d’escapades et de promenades à bicyclette.
«Voilà. L’essentiel en cinq cents mots. Huit fautes (une faute par soixante-deux mots et demi). Une histoire si triste racontée par un garçon si facétieux que je ne l’ai jamais oubliée. Des siècles plus tard, je me la suis appropriée. Elle compte deux mille trois cent quatre-vingt-onze mots. Disons que j’ai ajouté un peu de chair autour de l’os. Mais sans cet os, mon Bouchon n’aurait jamais vu le jour.» (p.16)
L’écrivaine rôde du côté de ses œuvres antérieures, évoque les chattes Mascara et Aurore qui se sont imposées au fil des pages.
«Grâce à la plume de leur maîtresse, Aurore et Mascara sont devenues des personnages. Dans Les dimanches sont mortels, la mère s’appelle Jasmine, la fille, Jérômine. Et elles habitent au bord du fleuve dans « un vieux chalet mal rafistolé» auquel on arrive (histoire de confondre le lecteur lavallois) «par le rang de l’Équerre» et d’où on « devine au loin la silhouette du pont Mercier». Si elles se contentent de jouer leur propre rôle de « pachattes » dans ce premier roman, il en va autrement dans Les jardins de l’enfer, où Aurore exprime ses opinions sur tout un chacun et étale ses états d’âme dans de longs monologues intérieurs. Telle une femme de marin, elle se morfond en attendant le retour de sa Bien-aimée, qui l’a abandonnée en la confiant à la garde de jeunes gens odieux et indolents – des « lézards », ainsi qu’elle se plaît à les surnommer.» (p.45)
Lola et Jonas se distinguent dans la galerie des félins qui deviennent des personnages. Il y a une étude à faire sur la présence des chats dans la littérature québécoise. Songeons à Jacques Poulin, Yves Beauchemin. Lise Tremblay, Nicole Houde et plusieurs autres.

Monde connu

Dans «Pour de vrai, pour de faux», le lecteur attentif retrouve la maison du bord de l’eau qui a servi de décors à «Retour d’Afrique», l’éternel fiancé et des souvenirs d’enfance qui se modifient avec le temps. Et un jour tombe le verdict, le mot cancer est prononcé. Le sourire disparaît. Madame D’Amour doit subir des traitements, rencontrer une psychologue qui finit par l’affoler. Ses colères, ses peurs basculent dans des cauchemars qui coupent le souffle. L’angoisse s’installe, les cheveux tombent. La romancière a l’impression de marcher sur un fil qui va se rompre à chaque respiration.
«J’étais furieuse, j’ai dit qu’on le faisait exprès, qu’on m’avait prise en grippe, que j’étais la bête noire de la clinique et qu’on me le faisait payer. Bref, j’ai fait une scène devant tout le monde. Et tout le monde s’est senti mal à l’aise. J’ai crié, j’ai pleuré. Si bien qu’Yves, l’un des deux « officiants », si délicat et si habile d’ordinaire, a raté la veine dans laquelle il allait introduire le cathéter.» (P. 152)
Avec chacune de ses nouvelles, l’écrivaine nous fait visiter son univers, se confie avec un sourire. Comme si nous nous tenions derrière son épaule et que nous la regardions transformer la réalité avec ses phrases. Nous touchons l’intime, les confidences, des secrets que l’on partage rarement. À la fin, le lecteur ne sait trop ce qu’est la réalité ou la fiction, le vrai et le faux. C’est là le miracle de la littérature.
Un recueil généreux, plein d’humour malgré les épreuves. Une écriture miroitante comme l’eau de la rivière des Milles-Iles qui traverse plusieurs des ouvrages de Francine D’Amour.

« Pour de vrai, pour de faux » de Francine D’Amour est paru aux Éditions du Boréal.