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mercredi 18 juin 2025

RIO TINTO : UNE ENTREPRISE INQUIÉTANTE

LA RÉGION du Saguenay-Lac-Saint-Jean entretient une relation particulière avec Alcan, qui est devenue Rio Tinto en 2007 depuis son achat par la multinationale anglo-australienne. J’en sais quelque chose, car j’habite sur les rives du lac depuis plus d’une vingtaine d’années et j’ai participé à de nombreuses rencontres sur la gestion du niveau des eaux, en plus d’avoir assisté aux audiences du BAPE sur le renouvellement du décret d’exploitation. Lors de ces réunions, les résidents et les villégiateurs

ont toujours des reproches à faire à l’entreprise. La dégradation des berges est un grave problème pour les Jeannois. La surface du lac Saint-Jean depuis l’installation des barrages dans les années 1925 s’est agrandie de plus de 21 kilomètres carrés grâce à l’action des vagues et des forts vents d’automne. C’est peut-être aussi la région où il y a le plus d’associations de citoyens qui contestent, dénoncent et revendiquent des mesures qui concernent toute la population riveraine. Les auteurs Myriam Potvin et Jacques Dubuc (deux anciens employés cadres de l’entreprise) dans leur essai «L’exploitation de notre eau par Rio Tinto» démontrent le comment et le pourquoi de ces relations tendues. Rio Tinto écoute peu, profite de conditions très avantageuses et ne respecte pas ses engagements depuis des années.

 

Myriam Potvin et Jacques Dubuc amorcent leur ouvrage en signalant un fait déterminant. Rio Tinto détient un atout considérable sur ses compétiteurs au Québec. Tout ça parce que la multinationale a ses propres barrages et produit l’électricité dont elle a besoin pour fabriquer l’aluminium et que, de plus en plus, elle génère un surplus d’énergie qu’elle revend à Hydro-Québec, encaissant des bénéfices importants. L’entreprise, véritable état dans l’état, possède une longueur d’avance sur tous les concurrents qui œuvrent dans ce secteur.

 

«Selon les informations transmises par Rio Tinto Alcan aux analystes financiers au printemps 2003, la production de 1 kWh lui coûte 1,1 cent, ce qui inclut l’entretien, les redevances et les droits d’eau prescrits dans le bail de la Péribonka. L’amélioration de la productivité a permis de maintenir ce coût de production. Ce faible coût lui permet d’épargner plus de 500 millions $ par année et constitue un avantage très significatif sur ses concurrents.» (p.11)

 

Alcoa et Alouette en achetant l’électricité dont elles ont besoin à Hydro-Québec doivent payer un prix qui fluctue entre 3,2 cents et 5,6 cents le kWh. Une énorme différence. 

De même, les auteurs rappellent avec justesse l’ampleur de l’entreprise et son importance dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. 

 

«Au fil des ans, dans un environnement économique variable et qui le demeure, Alcan/Rio Tinto a pu ériger au Saguenay–Lac-Saint-Jean un véritable empire, comme en fait foi le nombre de ses installations : 6 centrales hydroélectriques dans 2 bassins hydrographiques distincts; 884 km de lignes de transmission ainsi que 4 interconnexions avec Hydro-Québec; 4 alumineries complètes et une usine pilote de 60000 tonnes (phase 1) de l’aluminium AP60, 96 cuves supplémentaires en cours de construction; une usine d’affinage d’alumine; un port en eau profonde donnant accès à la mer; et un système ferroviaire de 142 km reliant ses installations.» (p.18)

 

Cette multinationale est en mesure de dicter ses volontés à une foule de petites compagnies de fournisseurs et d’équipementiers qui dépendent de ses activités au Saguenay-Lac-Saint-Jean. C’est surtout le principal employeur de la région, même si le nombre de salariés ne cesse de diminuer avec les changements technologiques. 

En 2006, l’entreprise employait 6450 hommes et femmes. En 2023, on parlait de 3835 travailleurs. Le nombre serait moindre, puisque Rio Tinto comptabilise comme étant ses employés les sous-traitants qui ne jouissent surtout pas des mêmes conditions de travail et des mêmes avantages sociaux. 

 

PUISSANCE

 

Cette multinationale contribue à fragiliser la situation économique du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Elle se permet de faire ce qu’elle veut sans soulever trop de vagues. C’est certainement pourquoi les élus font preuve d’une extrême prudence quand il s’agit de critiquer cette entreprise pour une décision ou un report d’un projet. Les syndicats et les associations citoyennes ont beau sonner l’alarme, on ne fait que semblant de les écouter. 

Le seul qui peut et devrait forcer Rio Tinto à respecter ses engagements est le gouvernement du Québec, qui lui a cédé le droit d’exploiter les cours d’eau de notre immense territoire tout en demeurant propriétaire des terres et de tout l’espace touché. Les élus peuvent réclamer des investissements et des retombées directes pour les entreprises de la région à l’occasion de la fin d’un décret. On a exigé une nouvelle usine et la réfection des barrages pour les rendre plus efficaces lors de l’échéance du dernier bail.

 

«Le 13 décembre 2006, à trois ans de la date limite de la réalisation de son programme d’investissement, alors qu’elle se voyait dans l’impossibilité de construire dans les délais la troisième usine prescrite dans le bail de la Péribonka, Alcan signait une nouvelle entente avec le gouvernement du Québec. Selon cette entente, Alcan s’engageait à investir, avant le 31 décembre 2015, une somme d’au moins 2,01 milliards $ (valeur 2006) dans l’ajout de 450000 tonnes de nouvelle capacité dans ses alumineries du Saguenay-Lac-Saint-Jean.» (p.51)

 

La région attend cet investissement depuis presque vingt ans. Pendant tout ce temps, Québec et les élus ont fermé les yeux. L’incroyable Pierre Fitzgibbon, comme ministre du gouvernement Legault, a répété à maintes reprises que l’entreprise respectait ses engagements, même si ce n’est pas le cas. Alors, la question se pose : pourquoi le gouvernement n’exige pas que cette multinationale n’honore pas ses engagements et les conventions qu’elle signe?

 

«Peut-être que cela explique la présence de 21 personnes de Rio Tinto identifiées au registre des lobbyistes de 4 lobbyistes enregistrés pour l’Association de l’aluminium du Canada.» (p.86)

 

Cela juste à Québec, bien sûr. Les auteurs ne mentionnent pas ce qu’il en est à Ottawa. Il y en aurait plus de 7000 dans la capitale fédérale de ces influenceurs. Ces gens ne sont pas là pour regarder le train passer comme on dit. 

 

SITUATION

 

Myriam Potvin et Jacques Dubuc détaillent les activités de l’entreprise avec une foule de chiffres et de tableaux qui nous rendent le tout très clair et compréhensible. En plus, nous apprenons, grâce à leurs recherches, que Rio Tinto paie très peu d’impôts, même si la grande partie de son aluminium est produite au Québec. Seulement 4,1 pour cent de ses impôts mondiaux se retrouvent dans les coffres du gouvernement et des municipalités.

Des constats troublants, des preuves irréfutables qui démontrent que cette société ne respecte pas ses engagements. C’est choquant pour employer un terme poli et c’est tout aussi inquiétant de voir le laisser-aller de nos élus face aux manœuvres dilatoires de cette multinationale. Surtout que le Saguenay-Lac-Saint-Jean est terriblement dépendant de cette compagnie.

L’essai de Myriam Potvin et de Jacques Dubuc explique certainement le mécontentement des citoyens du Lac-Saint-Jean devant la façon de l’entreprise de gérer le niveau des eaux du lac, le cailloutage des rives qui a causé d’énormes problèmes et des changements écologiques importants. Surtout en utilisant des matériaux qui n’ont rien à voir avec le sable des origines pour recharger les berges. Je pense surtout à la catastrophe de la sortie de la Belle rivière à Saint-Gédéon et des interventions qui ont modifié tout le système riverain à Saint-Henri-de-Taillon. Des secteurs vont disparaître bientôt sous les effets de l’érosion.

Un essai important, un livre de référence que tous les élus devraient avoir dans leurs dossiers quand ils rencontrent les représentants de cette multinationale pour le renouvellement des ententes. Un ouvrage très documenté, précis, qui illustre parfaitement une situation intolérable qui semble devenir une manière de faire et de se comporter dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean par Rio Tinto avec l’aval des responsables politiques.

 

POTVIN MYRIAM-DUBUC JACQUES : «L’exploitation de notre eau par Rio Tinto», Éditions Somme toute, Montréal, 136 pages, 21,95 $

 https://editionssommetoute.com/livre/exploitation-de-notre-eau-par-rio-tinto/

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