NOUS MÉRITONS MIEUX de Marie-France Bazzo, un essai paru il y a quelques jours, questionne les médias, particulièrement la radio et la télévision. J’y retrouve des propos que je ne cesse de ressasser depuis des années. Ce livre est venu me bousculer, comme si la réalisatrice de Y a du monde à messe mettait le doigt sur une foule de sujets qui me hante. « Repenser les médias » est une obligation. Je l’ai fait pendant toutes les années où je travaillais au Quotidien du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il faut se méfier de ses habitudes quand on fait métier d’informer. Il est tellement facile de sombrer dans les formules et les clichés. Moi qui ai passé ma vie à lire les journaux, à écouter les bulletins de nouvelles, je me sens de plus en plus orphelin.
On le répète depuis un certain temps, les entreprises de communications sont mal en point. Les effectifs fondent dans les salles de rédaction et les revenus des commanditaires ont migré vers les grandes plateformes électroniques, autrement dit les géants du Web. Cette publicité, qui a toujours été un mal nécessaire, pousse les médias sous un respirateur artificiel. Que dire de la banqueroute de Capitales Médias et de la disparition brutale du journal dans lequel j’ai œuvré pendant plus de trente ans. Il survit sur le Web, mais ce n’est pas celui où j’ai mis tant d’efforts d’imagination. Je ne me sens pas d’atomes crochus avec cette bibitte que je regarde sur écran en faisant du vol à vue.
C’est tentant de trouver un bouc émissaire et de pointer les GAFFA qui avalent tout et régurgitent n’importe quoi aux « amis » insatiables. Il faut aller plus loin et les propos de madame Bazzo peuvent servir de balises. Le problème des médias n’est pas juste une question de commanditaires infidèles. Et subventionner ces diffuseurs sans leur imposer des devoirs ne réglera guère la question. Nous devons nous pencher sur le contenu, cette façon de varloper les émissions (surtout à la télévision et à la radio) en répétant à peu près toujours la même chose. Les responsables ne cessent de jongler avec des formules qu’ils maquillent de saison en saison. Tous ces dirigeants venus de nulle part savent ce que veut le peuple, c’est connu. Tous ne jurent que par ce mal qui répand la terreur : l’opinion, la connaissance fast-food servie à chaud avec un peu de mayonnaise. Une façon de faire peu coûteuse qui tue la réflexion et le dialogue où germe la pensée.
Nous vivons donc aujourd’hui l’apothéose de l’opinion. C’est un système bien huilé, qui fonctionne à merveille, vers lequel tout le milieu des médias pousse, autant que les algorithmes des réseaux sociaux. Très régulièrement, le rédacteur en chef d’une émission, le responsable des réseaux sociaux d’un média, le cher recherchiste d’un show vous engagera, subtilement ou non, à aller vers des propos plus punchés, plus spectaculaires. C’est souvent implicite, mais on comprend : la concurrence a engagé des grandes gueules… parce qu’elles sont de grandes gueules. Il y a émulation dans l’intensité et, du coup, le niveau sonore monte. (p.78)
Ces machines à opinions s’éloignent de plus en plus de l’information de fond. On l’a vu lors des dernières élections américaines. Une semaine après le trois novembre, moment du scrutin, les canaux d’information en continu répétaient que le compte des votes se poursuivait pendant que Donald Trump martelait qu’il s’était fait voler la victoire. Sept jours où tous les spécialistes ont défilé en affirmant à peu près la même chose. Est-ce là une nouvelle ou un lavage de cerveau ?
L’élection de Donald Trump, ses quatre ans de « trweetologie » à la Maison-Blanche, ont transformé les médias en un cirque où l’on s’accroche à la moindre insignifiance pour la secouer jusqu’à la nausée. Il me semble que l’information repose sur des faits et non sur des ragots. En s’abreuvant aux réseaux sociaux, on colporte des rumeurs et des faussetés sans avoir pris le temps de faire les vérifications nécessaires. Est-ce un travail sérieux ? Les médias se sont coupés de la vie citoyenne et de la culture, refusent de témoigner en devenant des moulins à vent qui font tout pour attirer l’attention.
ORPHELIN
Après avoir passé une partie de ma vie dans les médias, je me sens de plus en plus trahi. Bien plus, je délaisse la radio et la télévision parce que je n’y trouve plus rien de stimulant. Comment résister à un Téléjournal truffé de publicités d’automobiles qui polluent la planète au point de nous rendre asthmatiques ? Le camion RAM, le dur de dur, je le regrette, mais ne me fais pas rêver.
Le journal papier, qui était la référence jadis, se fait de plus en plus rare. Il ne reste que quelques journaux pour maintenir la tradition. Je n’en peux plus des citations tronquées dans un bulletin d’information, d’être pris en otage par un « envoyé spécial » qui donne de moins en moins la parole à son locuteur. Ces spécialistes du monologue expliquent les propos des élus en leur laissant parfois une demi-phrase. Il a fallu la pandémie pour entendre plus de trois mots de François Legault et ses ministres. Bien plus, ces connaisseurs s’accrochent à une image et tout bascule. On pourrait mentionner nombre d’exemples où des journalistes ont fait dérailler un débat délicat à l’Assemblée nationale. Je pense à l’acharnement qui mobilise la horde depuis quelques semaines. Tous veulent que François Legault avoue que le Québec pratique le « racisme systémique ». Vous vous souvenez comment on a pourfendu le projet de loi sur la laïcité du gouvernement du Québec et comment on est parvenu à le démoniser.
MARCHÉ PUBLIC
On parle de plateformes où tous se servent gloutonnement. Plus besoin d’être abonné à une revue ou un journal, on retrouve à peu près tout sur Facebook ou les autres réseaux. Les travailleurs de l’information deviennent les « n » de ces sites (vous voyez que je suis politiquement correct) qui avalent tout et déclenchent le manège des opinions et des insultes. Trump a satisfait l’appétit des médias pour l’insignifiance en les nourrissant à la petite cuillère. Tous les journalistes savaient que le président mentait et disait n’importe quoi dans ses messages du matin. Il a fallu sa défaite pour que les grands réseaux des États-Unis cessent de diffuser ces faussetés. L’information n’est pas un espace à ragots ou à rumeurs, mais une recherche de vérités qui éclairent un auditeur ou un citoyen sur l’état de la planète, les conflits, la pollution, le sort des migrants et des éclopés, l’environnement social, politique et écologique. Le métier de journaliste est celui d’un explorateur qui va sur les lieux pour raconter ce qu’il voit et entend. On « couvre » une guerre au Moyen-Orient maintenant en direct de Montréal. On tapisse les bulletins d’informations de bouts d’entrevues en anglais, faisant ainsi la promotion du bilinguisme étatique canadien, sans sourciller. Une dérape sur Facebook ou Instagram fait les manchettes et Tout le monde en parle ouvre ses portes.
MALADIE
Marie-France Bazzo ne peut ignorer la dictature des vedettes. Les mêmes figures défilent dans toutes les plateformes et tous les médias. Les humoristes dictent leurs lois et animent les émissions, écrivent des téléséries, sont invités partout tout le temps. Des comédiens publient leurs mémoires ou leur biographie et envahissent les salons du livre.
L’humour est le petit frère de l’opinion. C’est sa version ludique, décalée, dont les émissions raffolent et qu’elles aiment programmer, un clin d’œil qui permet de mettre en perspective les questions sérieuses. Le foisonnement d’humoristes au Québec n’est par ailleurs pas étranger à notre refus du débat. C’est tellement plus convivial de clore un argument avec une joke… Il est indéniable qu’une des principales ressources naturelles du Québec réside dans ses exceptionnels gisements d’humoristes. Et un des plus importants débouchés de cette matière première est la radio et les médias en général. (p.83)
Les vedettes, les classés A comme la viande dans le comptoir d’un boucher, imposent leur grande et petite misère. Ça devient loufoque. Même qu’ils ont réussi à rendre obsolète le métier d’animateur à Radio-Canada. Une Myra Cree et une Aline Desjardins n’y trouveraient plus leur place. Il faut être pétillant, amusant, riant avec des collaborateurs omniprésents sans jamais parler aux vrais intervenants de la culture. Quand entend-on un écrivain à la radio ou à la télévision ? Bien sûr, il y a Danny Laferrière, il est classé A.
L’ATTAQUE
Marie-France Bazzo s’attarde à la pensée emballée sous vide, prête à être avalée sans avoir besoin de la mastiquer. Ils sont tellement nombreux à sévir dans les radios, à s’indigner, à pourfendre, à matraquer. Le pire de tout se retrouve dans ces radios dépotoirs, impossibles à recycler.
Les médias nous ont transformés en maniaques, en drogués aux messages de 140 caractères. Comment réfléchir à l’avenir du monde ou sur un essai en pitonnant ? La meilleure manière de tuer la pensée, c’est de la diluer en la répétant de façon obsessive jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une rumeur pour fouetter les disciples qui ne demandent qu’à tourner le dos à la réalité. Trump est le gourou de ces négationnistes.
Malheureusement, on va vite oublier le questionnement de Marie-France Bazzo. Un roman ou un essai ne dure pas plus de deux ou trois semaines dans l’actualité. Il faut du neuf, ou du vieux qui n’a rien de neuf, un jeune, un rire dans la voix et une rapidité d’élocution qui donne le vertige. La caméra n’aime pas les rides, surtout quand vous êtes une femme. La chirurgie esthétique, on connaît dans les médias de maintenant. Que dire de l’échec de Télé-Québec qui ignore toujours les régions, l’évacuation de la culture au profit de l’humour, la mort de l’animation intelligente à la chaîne musicale de Radio-Canada, l'anglais de plus en plus présent dans la chanson québécoise, l’obsession étasunienne, le mépris pour les créateurs d’ici.
Pourtant, c’est la radio et la télévision qui m’ont éveillé au théâtre et à la musique classique, au temps « des mammouths laineux. » Je ne crois pas que les médias de maintenant peuvent revendiquer le titre « de passeur de culture ». Et certainement que nos « diffuseurs de contenus » sont le reflet d’un monde qui va tout croche et qui a vendu son âme aux écrans de tout acabit et aux cotes d’écoute. Nous vivons désormais sous la loi du clic, qu’on se le dise. C’est pourquoi je suis un réfugié du blogue où je continue à m'intéresser aux écrivains du Québec et aux livres publiés ici. Mon journal Le Quotidien ne voulait plus de moi. La littérature, ça n’intéresse personne, disaient-ils. Je n’avais pas assez de « j’aime » sur la plateforme. Madame Bazzo aussi s’est fait montrer la porte à Radio-Canada. Ça me console un peu.
BAZZO MARIE-FRANCE, Nous méritons mieux, ÉDITIONS DU BORÉAL, 216 pages, 19,95 $.
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/nous-meritons-mieux-2759.html
Cher Yvon, je partage totalement tout ce que tu écris dans ce texte impressionnant. Nous en avons souvent parlé de ce sentiment d'exil, éprouvé en quittant cette profession, jadis si noble. Et que dire de la qualité de l'écrivain qui ne se dément pas chez toi et incite à te lire jusqu'au dernier mot, tellement dans le rythme, la pertinence et l'émotion on se laisse porter par ton texte.
RépondreEffacerMerci Christiane de ce beau commentaire. Ça fait du bien. Et comme toi, je me questionne où va ce métier que nous avons pratiqué avec passion.
EffacerJe suis tellement d'accord avec vous. Je m'ennuie du téléjournal sans publicités, des beaux dimanches culturels et des pièces de théa^tre avec de vrais comédines.
RépondreEffacerMerci.
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