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mercredi 13 août 2014

Michael Delisle se met au monde par l’écriture

MICHAËL DELISLE a été amputé des mots à sa naissance, de ces mots d’amour qui permettent à l’enfant de faire confiance au monde et de grandir. Il lui fallait combler cette absence pour s’avancer dans l’âge adulte. Il s’est tourné vers l’écriture alors. Écrire pour briser un silence qui nie l’existence, écrire pour sentir la caresse, un regard, un sourire, être là, vivant, entier.

Un père mafieux qui connaît l’illumination et devient un obsédé du Christ ; une mère dépressive qui, un jour, part chercher sa vie ailleurs. Le feu de mon père de Michael Delisle est un véritable coup de poing. Il y a plus cependant dans ce récit terrifiant. Parlons d’une quête qui permet de respirer, de s’avancer dans la vie en marchant au-dessus des précipices.

Une phrase pour débarrer la porte. Je cherche, je ne trouve pas. Mon dépit ressemble à une déréliction : je me sens abandonné par la littérature, comme un toxicomane l’est par Dieu. On dirait que personne ne veut me donner le la pour avancer dans la suite de morceaux qui m’attend. (p.9)

Il faut nécessairement passer par les mots pour repenser sa vie, s’inventer dans un texte, combler ces trous dans la mémoire. L’écrivain cosigne sa naissance par la poésie pour évoquer Bruno Roy. Dire pour être, secouer le passé peut-être pour mieux le voir, se donner une voix pour s’empêcher de mourir dans le plus terrible des silences. Toujours cette enfance obsédante, marquante qui ne cesse de refaire surface. Pas un écrivain n’en réchappe.

Au fil des ans, j’ai fini par me fabriquer une version zéro : ma mère, dont la grande beauté à l’adolescence lui avait permis d’espérer mieux que mon frère et moi comme avenir, a appelé une gardienne pour aller montrer au monde son allure de star dans un bar-motel du boulevard Taschereau. Mon père est rentré plus tôt que prévu, étonné de trouver une gardienne. Quand ma mère est rentrée pompette, mon père l’a visée avec une arme de chasse en la sommant de lui dire avec qui elle avait couché. Devant le fusil armé, elle est allée me chercher pour servir de bouclier. J’ai pleuré un an et quand j’ai cessé de  pleurer, tout est rentré dans l’ordre. C’est comme ça que l’ordre a commencé : avec mon silence. (p.15)

Un fils dont la mère ne voulait pas. Elle a cherché à s’en débarrasser en se jetant dans les escaliers pour provoquer une fausse-couche. Elle tentera même de l’étrangler après sa naissance, de l’étouffer dans son lit. Il survivra à tout, s’accroche à cette mère, ne veut jamais s’en éloigner quand il est jeune garçon pour connaître une deuxième naissance peut-être, attirer un regard qui lui donne une identité, provoquer un mot qui se change en caresse, inventer un court moment de complicité où deux êtres se reconnaissent.

Être adulte

Michael Delisle sera toujours en quête d’amour, de reconnaissance et d’attention. Il écrira de la poésie pour respirer, rencontrera des femmes qui le marqueront, l’aideront à se redresser : Louise Desjardins et Lise Tremblay. Et comment ne pas chercher un père chez les autres hommes, ce père qui n’était jamais là, qui ne les regardait même pas. Il faut recoudre ce qui a été déchiré, retrouver le fil pour dire sa vie, tenir les deux bouts de son existence.

Comme poète, je profite à revivre ces silences mornes. Contrairement à cette idée qui veut que l’artiste se forme à l’expression, ma condition est davantage liée au silence qui m’a été imposé. C’est de n’avoir pas eu le droit de parler qui a fait de moi un écrivain. (p.19)

Le poète se forge une existence en rompant le silence comme on rompt le pain. Il devient un survivant dans ses textes, ces mots réinventés pour s’empêcher de glisser dans le silence, l’absence.
Un récit d’une totale franchise qui parviendra peut-être à contrer le désordre dans la tête et le corps de cet écrivain unique. Savoir que l’on n’a pas été désiré, aimé par ses parents est peut-être la pire des calamités. Toute sa vie, il cherchera à réinventer ce qui n’a pas eu lieu, à dire en plongeant dans le texte sans parachute.
Un récit bouleversant, prodigieusement humain, touchant, implacable. Un texte qui hante, d’une prodigieuse intelligence, d’une humanité qui vous laisse pantois.

Le feu de mon père de Michael Delisle est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/feu-mon-pere-2379.html

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