Un père mafieux qui connaît
l’illumination et devient un obsédé du Christ ; une mère dépressive qui, un
jour, part chercher sa vie ailleurs. Le
feu de mon père de Michael Delisle est un véritable coup de poing. Il y a plus
cependant dans ce récit terrifiant. Parlons d’une quête qui permet de respirer,
de s’avancer dans la vie en marchant au-dessus des précipices.
Une phrase pour débarrer la porte. Je cherche, je ne
trouve pas. Mon dépit ressemble à une déréliction : je me sens abandonné
par la littérature, comme un toxicomane l’est par Dieu. On dirait que personne
ne veut me donner le la pour avancer dans la suite de morceaux qui
m’attend. (p.9)
Il faut nécessairement passer
par les mots pour repenser sa vie, s’inventer dans un texte, combler ces trous
dans la mémoire. L’écrivain cosigne sa
naissance par la poésie pour évoquer Bruno Roy. Dire pour être, secouer le
passé peut-être pour mieux le voir, se donner une voix pour s’empêcher de
mourir dans le plus terrible des silences. Toujours cette enfance obsédante, marquante
qui ne cesse de refaire surface. Pas un écrivain n’en réchappe.
Au fil des ans, j’ai fini par me fabriquer une
version zéro : ma mère, dont la grande beauté à l’adolescence lui avait
permis d’espérer mieux que mon frère et moi comme avenir, a appelé une
gardienne pour aller montrer au monde son allure de star dans un bar-motel du
boulevard Taschereau. Mon père est rentré plus tôt que prévu, étonné de trouver
une gardienne. Quand ma mère est rentrée pompette, mon père l’a visée avec une
arme de chasse en la sommant de lui dire avec qui elle avait couché. Devant le
fusil armé, elle est allée me chercher pour servir de bouclier. J’ai pleuré un
an et quand j’ai cessé de pleurer, tout
est rentré dans l’ordre. C’est comme ça que l’ordre a commencé : avec mon
silence. (p.15)
Un fils dont la mère ne
voulait pas. Elle a cherché à s’en débarrasser en se jetant dans les escaliers
pour provoquer une fausse-couche. Elle tentera même de l’étrangler après sa
naissance, de l’étouffer dans son lit. Il survivra à tout, s’accroche à cette
mère, ne veut jamais s’en éloigner quand il est jeune garçon pour connaître une
deuxième naissance peut-être, attirer un regard qui lui donne une identité,
provoquer un mot qui se change en caresse, inventer un court moment de
complicité où deux êtres se reconnaissent.
Être adulte
Michael Delisle sera toujours
en quête d’amour, de reconnaissance et d’attention. Il écrira de la poésie pour
respirer, rencontrera des femmes qui le marqueront, l’aideront à se
redresser : Louise Desjardins et Lise Tremblay. Et comment ne pas chercher
un père chez les autres hommes, ce père qui n’était jamais là, qui ne les
regardait même pas. Il faut recoudre ce qui a été déchiré, retrouver le fil
pour dire sa vie, tenir les deux bouts de son existence.
Comme poète, je profite à revivre ces silences
mornes. Contrairement à cette idée qui veut que l’artiste se forme à
l’expression, ma condition est davantage liée au silence qui m’a été imposé.
C’est de n’avoir pas eu le droit de parler qui a fait de moi un écrivain.
(p.19)
Le poète se forge une
existence en rompant le silence comme on rompt le pain. Il devient un survivant
dans ses textes, ces mots réinventés pour s’empêcher de glisser dans le
silence, l’absence.
Un récit
d’une totale franchise qui parviendra peut-être à contrer le désordre dans la
tête et le corps de cet écrivain unique. Savoir que l’on n’a pas été désiré, aimé
par ses parents est peut-être la pire des calamités. Toute sa vie, il cherchera
à réinventer ce qui n’a pas eu lieu, à dire en plongeant dans le texte sans
parachute.
Un récit
bouleversant, prodigieusement humain, touchant, implacable. Un texte qui hante,
d’une prodigieuse intelligence, d’une humanité qui vous laisse pantois.
Le feu de mon père de Michael
Delisle est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/feu-mon-pere-2379.html
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