Il est rare qu’un raconteur
d’histoires se lance dans une réflexion où il tente de cerner
la réalité et nos façons de vivre. Que dire de la famille, de l’avenir et de l’héritage
légué par les parents? Secouer nos valeurs, nos obsessions et peut-être aussi le
futur de moins en moins certain qui est réservé à nos enfants? Nous vivons un
déclin, semble-t-il, une crise des valeurs, un effritement de la société de
consommation et des profits gonflables. Samuel Archibald , l'auteur d’Arvida tente de voir clair dans ce fouillis.
Samuel
Archibald est né à Arvida, on le sait. Ses grands-pères ont travaillé en usine
et ont réussi à gravir les échelons en besognant comme des forcenés et à bien
vivre. Mieux que leurs parents. Sa famille a connu des hauts et des bas, sans
se démarquer particulièrement.
«Je
suis né gosse de riche dans une famille d’extraction ouvrière. Juste à temps
pour mon adolescence, ma famille en est redevenue une de classe moyenne, mais
de classe moyenne très inférieure. Et monoparentale.» (p.18)
Une
strate sociale qui se faufile entre les très riches et les indigents. Une partie
de la population qui a pris de l’expansion à partir des années soixante-dix en
misant sur l’éducation, le militantisme syndical et la formation continue pour
améliorer son sort. Des volontaires qui pensaient surtout aux conditions de vie
qu’auraient leurs enfants.
«Au
Québec, on l’a vu, la classe moyenne s’est formée hors d’une dynamique
spécifique de classes. Elle a emprunté ses valeurs aux groupes qui lui ont
prêté ses effectifs. Elle est une classe ouvrière qui a réussi. Et qui
entretient jalousement l’humilité de ses ancêtres cultivateurs.» (p.28)
Réalité
Résultat :
une génération ayant des capacités financières plus grandes que celles des
générations précédentes, mais aussi particulièrement endettée. Surtout. Des
couples qui consomment pour consommer, se donner du prestige peut-être, sans
pouvoir se raisonner. Une génération impulsive, à l’affût des dernières tendances
et des nouveaux gadgets. Influençable donc, la cible des spécialistes en marketing.
Ces gens votent, paient des taxes et les gouvernements pensent à eux quand ils
prennent des mesures fiscales ou formulent des projets de loi. Ils peuvent
faire et défaire les gouvernements. Ce qui n’empêche pas ces agités de la
consommation de ressentir un malaise devant leurs façons de faire. Souvent, ils
cherchent un sens à leur vie tout en continuant à s’étourdir.
«La
classe moyenne a une double personnalité, il me semble. Elle travaille fort,
quoi qu’on en dise. Mais je pense qu’elle s’ennuie. Elle passe son temps au
centre d’achats. Elle achète des affaires sans arrêt et se console en se
comparant avec d’autres qui sont plus dépensiers qu’elle.» (p.44)
Des
hommes et des femmes qui pensaient trouver le bonheur dans l’achat d’une
maison, d’un chalet, de deux ou trois autos et de tous les jouets qui
permettent de gazouiller et communiquer. Une consommation frénétique qui ne
satisfait pas et qui les pousse vers des recommencements et les mêmes
déceptions. Une génération qui a peut-être inventé la dépression et le
burn-out. Il en est ainsi de l’amour et de la vie de couple. Le ou la
partenaire devenant interchangeable.
Danger
Une
société qui a peut-être conscience aussi que sa gloutonnerie insatiable a mis
la planète en danger. Que faire alors? Tout
ce sur quoi ils ont misé leur glisse entre les doigts avec la mondialisation, la
maximisation des profits, la production qui se déplace vers l’Asie. Les
États-Unis vivent sous respirateur artificiel, l’Europe vacille. Ce qui peut
expliquer la fascination pour les films à catastrophes. Peut-être que nous
avons là la clef du succès de La route
de Cormac McCarthy où l’humanité retourne
à la barbarie après un drame nucléaire.
«Peut-être
que ces étranges divertissements apocalyptiques sont une façon pour la classe moyenne
d’apprivoiser, sur le mode du feu d’artifice, son extinction annoncée.» (p.72)
Samuel
Archibald y va de nombreux exemples qu’il puise dans son expérience, sa vie à
Arvida et sa famille. Sans être une réflexion qui étourdit avec des chiffres et
des statistiques, ce court pamphlet dresse un portrait juste de la société de
maintenant. L’écrivain lance des pistes de discussions fort pertinentes.
Peut-être qu’il y a là l’amorce d’un changement qui a connu une forme d’embellie
dans la contestation étudiante et le mouvement des carrés rouges le printemps
dernier. Un témoignage qui se lit comme un récit.
Le
sel de la terre de Samuel
Archibald est paru aux Éditions Atelier 10.
Hautement apprécié ce court récit franc, humain, enraciné et... jeune. Suis d'accord avec vous : l'A esquisse un « portrait juste de la société de maintenant ».
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