Sacha et Charlotte sont beaux,
intelligents et carburent aux sensations fortes. Ils s’aiment.
Lui souffre de la maladie de
Still. Certains jours, il n’arrive plus à bouger. Une forme d’arthrite. Elle
est danseuse et capte tous les regards. Deux aimants qui s’attirent et se dévorent.
Ils vivent branchés aux ordinateurs et aux téléphones intelligents, entourés de
tous les gadgets qui ne cessent de se multiplier. Ils regardent tout par la lentille
de leurs caméras et ne reculent devant rien. Ils sont les sujets et les objets de
cette quincaillerie, apprécient la pornographie et filment leurs ébats sexuels.
Tous sont imbibés par la culture américaine, les films surtout et les chansons.
Des amants libérés de toutes contraintes qui s’étourdissent sur la corde raide.
Aucune moralité. Des prédateurs qui se gavent de tout.
Squatteurs
Ils se plaisent dans les orgies,
squattent des maisons désertées par les propriétaires. Ils saccagent tout avec une
application quasi scientifique, laissent le champ libre à leurs pulsions même
s’ils rêvent d’une vie plus tranquille peut-être.
«Je suis Ulysse. J’ai chassé
les prétendants de la demeure conjugale. Pas le Ulysse de James Joyce mais bien
le roi d’Ithaque. C’est romantique de m’imaginer qu’une personne pourrait
m’attendre toute sa vie et penserait sans cesse à moi. Pas le Ulysse de
l’Iliade qui chill avec ses chums à la guerre. Pas celui qui passe le puck à
Achille avec Agamemnon en arrière du banc. Je veux être le cow-boy de
L’Odyssée. En équipe avec moi-même. Torturé, troublé, blessé, mais avec une
maison qui tient encore debout. Pas de Lafleur, de Ménélas ou de Richard.
Solitaire. À la quête d’un chez-moi crissement loin, mais qui existe. Je veux
une Pénélope qui m’attend. Pour toujours. Je retourne à l’intérieur.» (p.21)
Un Sacha plutôt traditionnel
malgré toutes ses provocations. Charlotte est plus impulsive même si elle sait
qu’elle fonce vers un mur. Elle couche avec un gars, un soir, pour voir et son
couple vacille. On ne risque pas ce genre expérience sans en payer le prix.
Sacha tente de se défendre, mais il est blessé.
«Je ne dis rien. Les murs de
la pièce se referment sur moi. Je me sens tout petit. Tout insignifiant. Tout laid.
Tout malade. Tout mauvaise-haleineux.» (p.139)
Ils se retrouveront,
s’aimeront, se repousseront, victimes de leur liberté et de leurs pulsions. Ils
ont beau s’étourdir avec leurs gadgets, les trahisons et les blessures d’amour
laissent des traces. Heureusement. C’est à peu près tout ce qui leur reste
d’humain. Ils sont habités par une rage d’autodestruction fascinante.
Monde dérangeant
Un roman qui questionne par ses
propos et par l’écriture surtout. Un monde sauvage qui choque. Que dire devant
un tel échange?
«Lolo says: (03:02:37)
Goebbels says: (03:03:12)
Ouin c’est sur que c’est pas
l’fun.
Lolo says: (03:03:45)
Est-ce que je devrais le
laisser, j’veux dire, té un gars toi… kess t’en penses?
Goebbels says: (03:04:57)
Ca dépend de la situation. Je
peux pas te dire quoi faire vrmt.» (p.164)
Un langage qui passe de
l’anglais au français, à cette graphie sonore qui défait la langue dans les
textos. Quel jargon parlerons-nous dans quelques années avec un pareil
salmigondis? La question se pose.
Un tableau vertigineux. De la
chaux vive sur les plaies. Une force bien sûr, une rage, une manière de voir, d’agir
et de profiter de tout. De provoquer surtout. Une désespérance et une fureur
qui font peur. Des amants maudits qui finiront par se détruire.
Un texte qui bouscule toutes les
conventions. Il faut reconnaître qu’Alexandre Soublière a du souffle. Le jeune
écrivain est allé au bout de tout et c’est à se demander s’il pourra jamais
écrire une ligne après une telle descente aux enfers. Une entrée en littérature
qui frappe comme un tsunami qui ne laisse rien d’intact, pas même ces Roméo et
Juliette des nouveaux temps. Un roman qui laisse avec beaucoup de questions et
de craintes. Où allons-nous et que deviendrons-nous dans cet univers où nous
sommes de plus en plus des objets?
«Charlotte before Christ» d’Alexandre Soublière est
paru aux Éditions du Boréal.
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