«Et
au pire, on se mariera» de Sophie Bienvenu surprend par le ton et l’écriture. Un
récit direct, incrusté dans l’oralité qui ne se perd jamais dans la fioriture.
Une longue confession qui m’a jeté dans l’univers d’une adolescente qui en veut
au monde entier.
«Ouais,
Aïcha, c’est vraiment mon prénom. À cause de la chanson, tu sais? Non, tu sais
pas. Personne la connaît, mais c’est pas grave. Je sais que j’ai plutôt la tête
à m’appeler Rosalie ou Camille, mais je m’appelle Aïcha, Aïcha Saint-Pierre»
(p.9)
Le
ton est donné. Aïcha crâne, provoque, agresse, raconte, nous laisse à peine le
temps de reprendre notre souffle.
Où
sommes-nous? Pourquoi cette jeune fille raconte tout à une femme qui l’écoute
et l’enregistre? Plus qu’une confession, voilà une véritable mise à nue.
«On
aurait un contrat qui dit que je peux juste être sa pute à lui, et lui mon
client à moi, et qu’il doit s’occuper de moi, et moi de lui. Ce serait la loi.
Mais au pire, si c’est trop compliqué, on se mariera.» (p.46)
Histoire
Fille
unique, Aïcha mène une guerre totale à sa mère qui tente de composer avec son
adolescente. Baz, un garçon qu’elle croise dans un parc, bouleverse sa vie. L’écorchée,
la révoltée vit un grand amour. Elle ne veut plus le quitter. Le hic, c’est
qu’il a deux fois son âge. Elle exige tout ce qu’une femme désire. L’amour, la
sensualité, les contacts sexuels. On comprend les hésitations de Baz. On ne
s’engage pas dans une relation amoureuse avec une fillette sans être un peu…
dérangé.
Peu
à peu tout s’éclaire. Aïcha s’adresse à une policière. Que s’est-il passé? Elle
ment, revient sur ses propos pour corriger le tir et la vérité devient mensonge
et son contraire. Elle bouscule son interlocutrice, cherche à l’étourdir et à s’anesthésier
pour éviter la vérité. Sa logorrhée la protège d’un drame qu’elle tente
d’éloigner ou d’effacer peut-être.
Elle
passe par le chemin le plus long. Ses relations impossibles avec sa mère, son
amour possessif pour Baz qui tente de l’éloigner sans la blesser. Peu à peu on
imagine que le pire est arrivé.
«Je
suis rentrée chez lui, et elle était là. Dans son lit, endormie. Toute nue.
Avec ses seins, ses cheveux, et tout. Ça m’a fait mal. Pas un peu mal, là. Mal
à en mourir de douleur. T’as jamais eu mal de même. Personne. Jamais. J’ai
voulu que ça s’arrête. Fallait que ça s’arrête. Tout s’est bousculé dans ma
tête. Plein d’images, de sons… J’ai voulu qu’elle meure. Y avait plein de
vaisselle sale dans l’évier, mais son couteau, Baz le lave toujours drette
après l’avoir utilisé, pis il le range toujours dans le bloc à couteaux. Fait
qu’il a été facile à trouver. Voilà. » (p.69)
Un
crime, un meurtre, l’irréparable. Pourtant le doute persiste. Aïcha semble tout
dire mais est-ce encore là l’une de ses facéties?
Électrochoc
Ce
récit vous emporte au cœur de la passion et de l’obsession. Un cri d’adolescente
qui exige tout.
«Il
m’a pas répondu, alors j’ai pensé qu’il allait foutre le feu à son apart et
m’emmener quelque part de cool où vivre, genre Outremont, mais à la plage. Et
avec du monde pas de balai dans le cul. Pas de monde, en fait. Juste nous deux.
Une île déserte rien que pour nous, comme dans James Bond, je sais plus lequel.
Tu vois lequel? Celui avec la blonde, là? Je me disais qu’on allait finalement
pouvoir être ensemble pour vrai.» (p.151)
Une
langue rugueuse comme le dos d’un porc-épic. Un récit terrible où l’on passe
par toutes les émotions. Ce n’est pas sans rappeler «La déposition» d’Hélène
Pedneault qui nous plongeait dans un univers de haine et d’amour. Un véritable
électrochoc.
Voilà
un personnage inoubliable qui fait sa niche dans cette suite d’adolescents révoltés
qui marque notre littérature. Une petite sœur de Bérénice peut-être. J’en suis
sorti un peu abasourdi. Un texte qui sort des sentiers battus et qui pourrait
très bien s’épanouir sur une scène.
«Et au pire,
on se mariera» de Sophie Bienvenu est paru aux Éditions La mèche.
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