Un bloc appartement, rue Fabre à Montréal, tout près du monde tant de fois décrit par Michel Tremblay. Tout débute le 6 décembre 1988 avec le drame de Polytechnique. Vincent y étudie avec son ami Émile. La vie est pleine d’espérances et il y a l’arrivée de ce tireur fou.
«Il repensait souvent à cette douloureuse année. Toutes les soirées pendant lesquelles, avec Vincent et les autres, ils s’étaient remémoré les événements du fatidique 6 décembre. Combien de nuits blanches? Les bouteilles de bières vides, les mégots débordant des cendriers. Une odeur de taverne régnait dans l’appartement d’Émile. Pourquoi n’avaient-ils rien fait? Les filles à gauche, les garçons à droite. Trop peu de temps pour apprivoiser une arme si monstrueuse. À peine quelques secondes pour affronter un regard plein de haine et de colère. Un regard si menaçant. Pourquoi avaient-ils silencieusement obéi quand le tueur leur avait ordonné de quitter la classe?» (p.13)
Vincent se sent coupable et lâche. Pourquoi n’est-il pas intervenu pour tenter d’empêcher le massacre? Il se suicide le 6 décembre 1992, quatre ans plus tard, n’arrivant plus à trouver une direction à son existence.
La vie
Si certains des six locataires de l’édifice de la rue Fabre semblent doués pour le bonheur, d’autres se heurtent à des murs. Comment continuer à respirer quand le pire frappe autour de soi?
«Le mieux, c’est de ne rien dire, mais d’être là, assura Philippe. Les mots ne réconfortent jamais, ce ne sont que des bruits. Le silence est plus efficace. » Ils regardèrent Philippe. L’image de Vincent s’infiltra entre eux. Aucun commentaire ne fut émis. Le taxi de Rodolphe s’immobilisa devant le dépanneur. Rodolphe sortit rapidement de sa voiture et revint s’asseoir. «Elle m’émeut, cette petite, toujours des ressources pour affronter les pires malheurs.» Ébahi, Jean-Charles regarda Béa: «Tu crois vraiment que l’amour est la solution à tout?» «On prête trop de bonnes intentions à l’amour», dit Roxanne. «L’amour, ce n’est jamais suffisant», affirma Philippe.» (p.165)
Marie quitte Pierre qui sombre dans l’alcool. Jeanne emménage avec l’amour tout neuf de Nicolas. Étienne se remet mal du suicide de son ami Vincent. Lola travaille avec Médecins sans frontières pour ne pas affronter directement peut-être la perte de son frère. Et Madame Edouard retrouve, cinquante ans plus tard, son premier amoureux. La vie est pleine de ressources, têtue comme du chiendent, poussant tout le monde en avant.
«La fatalité nous surprend sans que nous y soyons préparés. Arriver au dépanneur à seize heures. Pourquoi pas à quinze heures? Des bougies reliées à la fatalité. La vie quelle ordure», ruminait Lola.» (p.155)
Comme chez Paul Auster, le hasard multiplie les coups fourrés. Il suffit d’une minute et pour que tout bascule.
Hymne à la vie
Janik Tremblay suit des personnages plus attachants les uns que les autres, des vivants et des battants. Malgré les embûches de l’existence, ils finissent par triompher des plus terribles épreuves. Solidaires, les locataires de l’édifice à logements forment une famille qui partage tout dans le bonheur comme dans les pires épreuves. C’est vivant, touffu, émouvant par moments.
Janik Tremblay, comme dans ses romans précédents, est attentive aux gestes du quotidien, aux émotions qui font les grands et les petits bonheurs. Le lecteur en sort remué, plus confiant, accompagné par une musique qui marque les ouvrages de cette écrivaine. Un bel hymne à la vie qui prend plaisir à éprouver ceux qu’elle aime.
«Le bonheur est assis sur un banc et il attend» de Janik Tremblay est paru aux Éditions Stanké.
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