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jeudi 14 août 2003

Jacques Michaud se contente des anecdotes

«Sakka» désigne l’horizon en inuktitut selon l’auteur. Jacques Michaud nous entraîne dans sa première époque, nous pousse vers l’âge adolescent, revient, repart, passe d’un temps à l’autre et finit par nous étourdir.
 Pourtant, l’enfance a été singulière. Elle a été celle des gens de la campagne qui ont connu l’école du rang, le plaisir d’avoir la forêt à portée de la main en Abitibi (pourquoi écrire Abbittibbi), d’avoir des frères et des sœurs pour apprivoiser le monde et ses turpitudes.

Tout au long de cette lecture on cherche l’intention, la direction et le but de l’auteur. Où veut en venir Jacques Michaud avec cette quinzaine de récits qui voltigent ici et là. J’ai dû me résoudre à l’anecdotique. Ce qui aurait pu s’avérer un agréable récit, devient un fatras de souvenirs mal ficelé.
«Son vaisseau débordait, il s’était même permis de faire un comble. Le jeu d’adresse n’était cependant pas terminé. Il lui fallait maintenant sortir de sa cache. Alors qu’il cherchait un appui solide où déposer le poids de sa jambe, un sifflement aigu fendit l’air, frappa le fond de l’horizon pour rebondir tout aussitôt. Marie-Claire, la cadette des sœurs, cria à s’en déchirer la voix. Jéal prit peur, perdit pied et, du même coup, la récolte de fruits qu’il tenait à la main. Le sifflement se répercuta à nouveau. Cette fois, il en reconnut la nature: le bruit de l’explosion de balles de calibre .22 retentissait au-dessus de sa tête.» (p.56)
Et ce n’est pas une fin pathétique qui sauve l’entreprise. Quand on nage dans l’enfance, il faut la manière. Le style, le rythme, la couleur et l’originalité manquent totalement à Jacques Michaud.
«Le souffle court et le cœur tremblotant, ils découvrirent la blancheur laiteuse de deux hémisphères qu’une ligne sombre et profonde réunit pour en faire tout à coup la face cachée de la lune.» (p.23)
Tant de mots pour expliquer que les deux petits garçons viennent de baisser leurs culottes sous la galerie. Ils découvrent leurs anatomies. Le lecteur ne peut qu’abdiquer devant une écriture qui a trop bouffé d’hormones.

«Sakka» de Jacques Michaud est édité aux Éditions Vents d’Ouest.

Voyager autour de soi comporte des risques

Sylvie Massicotte en signant «Au pays des mers» offre un ouvrage qui aurait très bien figuré dans la belle collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles. Tout y est ! Un thème, une piste de réflexion, un lieu pour l’écriture, une fascination pour les bords de mer où les rencontres et les hasards peuvent se bousculer. Parce que devant la mer, la réflexion vient avec la vague et le ressac. Sylvie Massicotte, avec ce texte tout en questions et en regards, fait oublier les frontières. Nous la suivons sur les routes de l’écriture et jamais nous n’avons envie de rebrousser chemin. La contemplation de l’horizon, une journée particulière évoque les pays de l’enfance. Nous basculons dans un texte de fiction qui devient le galet qui capte le regard. Parce que la mer c’est le temps aboli, le temps renouvelé, l’espace qui se défait et s’ouvre à la vie et aux traces qui marquent le corps. Ces signes et toutes ces petites cicatrices, ce sont la matière du texte après tout. C’est la limite du rêve et de la réalité, la frontière du présent et du passé.
«L’écriture que je pratique part du principe que le lecteur est intelligent. Capable de déduire. C’est précisément pendant qu’il est en train d’extraire l’information, au fil de la lecture, qu’il sentira un inconfort semblable à celui éprouvé par les personnages eux-mêmes déstabilisés dans un moment de leur existence. Cette expérience va bien au-delà de l’histoire racontée.» (pp.50-51)
Déduire, peut-être avons-nous la clef de Sylvie Massicotte. Aller au-delà pour sentir, pour voir, pour trouver le sens et les sens.

Matière

Tout peut servir. Un voyage effectué il y a des années qu’il faut reconstituer à grands coups de mémoire, une conversation qui a changé l’écriture et le regard; un texte qu’on a laissé comme un caillou pour ne pas s’égarer. Sylvie Massicotte s’accroche à des extraits déjà publiés et les insère dans son texte pour montrer le vécu qui se transforme en fiction. Parce que le voyage, c’est toujours la direction du texte, les pas qui rapprochent de soi dans une danse un peu étrange.
Comment résister ?
Le lecteur, tout autant que l’écrivaine, réfléchit à l’art de dire et de vivre. Des questions justes et pertinentes, des pistes qui nous font entrevoir la femme et son univers. Chapitres courts, esquisses au fusain presque, Massicotte construit un puzzle qui nous ouvre un jardin discret et fascinant.
«Il y a ce que je me suis fait vivre pour écrire. Il y a ce que je ne me fais plus vivre, pour écrire quand même. L’écriture passe la première. De temps en temps, je la repousse. C’est est assez. Cette fois, ce sera moi. Je traverse une période sans mot, comme l’été où je me suis surtout occupée à organiser des ateliers pour mieux parler d’elle : l’écriture.» (p.21)
Un livre à relire, une écriture juste, des rencontres marquantes comme celle de l’écrivain Denis Bélanger à qui je dois des bonheurs de lecture.

«Au pays des mers» de Sylvie Massicotte est paru aux Éditions, Leméac.

Gilbert Choquette joue de la dualité

Gilbert Choquette a signé une quinzaine d’ouvrages jusqu’à maintenant, remportant le prix France-Québec en 1985. Une carrière discrète et marquée par la persévérance. Je me souviens pour avoir lu «La mort au verger», un roman d’amour particulièrement dur et violent.
Dans les cinq nouvelles des «Contes de la voix mauve», Monsieur Choquette s’attarde aux forces qui s’affrontent dans une même personne et qui peuvent surgir selon les rencontres et les hasards. Si souvent ces antinomies sont maîtrisées, elles peuvent aussi faire en sorte qu’une femme et un homme mènent une double vie. Qui voit-on dans le miroir?
Dans la première nouvelle, «La voix mauve», la mieux réussie du recueil, Choquette présente deux femmes «identiques». Le problème de la gémellité est bien posé. Le narrateur croise la «copie conforme» de son épouse lors d’un voyage. Deux femmes semblables et différentes.... Comment choisir entre l’épouse légitime et cette psychologue américaine qui fuit un mari écrivain en Italie.
Choquette installe le doute. Peut-être que l’épouse se livre à un jeu pervers et étrange. Aurait-elle décidé de faire subir une épreuve à son mari. Elle doit passer des vacances dans le Maine, mais a-t-elle décidé de changer d’identité et de jouer l’étrangère aux côtés de son philosophe de mari.
L’idée paraît trop belle. Choquette fait mourir l’épouse légitime et la remplace par l’étrangère. Les voyeurs peuvent aller se rhabiller.

Le démon

Valérie, dans «Une fiancée ambiguë», doit affronter le démon qui vit en elle. Le noir et le blanc, le mal et le bien se chevauchant dans un même être. L’histoire ne va nulle part. Ce questionnement qui aurait pu être pertinent dans un monde qui ne jure que par l’image tourne à vide. Qui faut-il choisir dans notre monde? L’ange ou le démon?
Et comment croire à l’époque d’Internet et du terrorisme international aux jeunes filles qui vivent recluses dans leur chambre pour écrire de la poésie en arrosant le papier de leurs larmes? On voudrait imaginer une satire mais Choquette gâche tout avec cette écriture qui sent la boule à mites et la poussière du grenier.
«Allons, il n’est pas trop tard pour aller lécher de mes yeux altérés la flaque immense de la Méditerranée.» (p.11)
De quoi fuir au bout du monde et ne plus jamais s’approcher de «la flaque immense de la Méditerranée».
«Or le philosophe  en moi, rationnel malgré lui et peu enclin à la naïveté, préférait reporter tout son trouble sur l’ignorance où j’avais été de l’existence de la dame en question qui pouvait bien, après tout, revêtir par hasard les traits d’une autre personne sans attenter à la stricte vraisemblance.» (p.18)
Tout est dit. Le problème est là.

«Contes de la voix mauve, Cinq histoires singulières» de Gilbert Choquette est paru aux Éditions Humanitas.

lundi 14 avril 2003

Jean-Marc Massie connaît la magie du verbe

Jean-Marc Massie tient une place particulière dans la poussée du conte au Québec et de ces conteurs qui gravitent autour de la maison Planète rebelle. Il nous offre trois contes dans cette récente publication. «L’Enfant de la Pinto», «La Démembreuse» et «L’arrêt circulaire du Gros Bill à Verbobyl». Ces trois temps ou histoires révèlent bien la manière de ce «parleur» qui semble être né sur une scène. Il en est capable. Un disque accompagne le tout.
Ses histoires se situent résolument dans le monde contemporain et il n’hésite jamais à plonger dans un futur incertain. L’imagination et la parole éclatent dans toutes les directions. Le plaisir d’inventer, sans jamais se donner de balises, emporte le verbe. Nous glissons dans des contes fantastiques, nous nageons dans l’invraisemblable, le verbe gicle pour notre plus grand plaisir. Il pousse sur le réel, nous enferme dans l’espace et le temps, nous fait voyager sous terre ou dans les airs, bouscule le passé et l’avenir.
«Ce jour-là, à Outremont, trois jeune filles aux cheveux décolorés déroulaient leurs bas de laine noirs jusqu’aux genoux et ajustaient leurs jupes d’écolières de sorte que l’on puisse imaginer la courbe anorexique de leur pubis. Elles avaient l’accent parisien et pourtant, leur tournures de phrases étaient québécoises. Elles marchaient droit devant avec l’assurance de ces êtres qui croient que tout leur est dû.»  (p.46 )
Il faut se donner le plaisir de l’entendre au préalable. La voix réussit à faire passer l'inconcevable qui bloque un peu à la lecture. Il lui arrive parfois d’être un peu victime de ses audaces et de son imaginaire. Il bascule dans le sordide avec «La Démembreuse». J’avoue m’être un peu égargé dans les inventions langagières du «Gros Bill à Verbobyl».
Un conteur existe dans sa parole, un conteur est toujours un peu amputé quand nous nous débattons avec ses écrits uniquement. Il faut entendre Jean-Marc Massie pour l’apprécier. Nous rencontrons alors un magicien, un inventeur de monde, un explorateur du langage qui ne cesse de surprendre et de dérouter.

«Delirium tremens, contes mutagènes» de Jean-Marc Massie est paru aux Éditions Planète rebelle.

samedi 12 avril 2003

Napoléon Aubin demeure très pertinent


Les éditions Trois-Pistoles ont eu la fort bonne idée de se pencher sur des textes oubliés et peu connus. Les oeuvres de ceux que l’on peut appeler les précurseurs, ces écrivains qui ont noirci nombre de pages et qui ont basculé dans l’oubli. Ne reste plus qu’un nom bien souvent ou des extraits qu’il faut dénicher dans certaines anthologies.
La collection La Saberdache, qui se donne comme mission de publier des textes écrits avant 1900, était lancée avec des textes d’Arthur Buies, peut-être le plus connu des oubliés. Marilène Gill et Mario Brassard récidivaient avec Napoléon Aubin.
Ces méconnus ont pratiqué le journalisme, dirigeant des journaux où ils oeuvraient seuls. Napoléon Aubin ne fait pas exception. Il a animé pendant nombre d’années «Le Fantasque» en y écrivant toutes les rubriques.
Plume alerte, sarcastique, forte, grand pourfendeur des modes et défendeur des idées nouvelles, voilà l’homme que nous découvrons dans ces contes et récits. Suisse de naissance, émigrant aux États-Unis d’abord, résidant au Canada par la suite. Inventeur, homme de science comme le voulait la tradition ou la conception de l’honnête homme de l’époque, Napoléon Aubin ne cesse d’étonner. Il fallait être audacieux pour défendre la liberté de la presse en cette époque turbulente où les patriotes affrontaient militairement l’armée anglaise avec les conséquences que nous connaissons. Les journalistes étaient surveillés et les délits punis. Napoléon Aubin se retrouva en prison pour avoir publié un poème de Joseph-Guillaume Barthe.
«Il est si dangereux maintenant de parler des choses de ce monde que je me vois forcé de m’occuper presque exclusivement des habitants des astres.» (p.148)

Petinence

Les textes de Napoléon Aubin se démarquent par leur originalité et leur pertinence. Les sujets demeurent originaux et intéressants. Par le biais de la fiction ou de la science-fiction, Aubin montre les travers de la société et se moque de ses mœurs. Éducation, justice, modes littéraires, tout y passe. On ne peut que regretter que «ce voyage sur la lune» soit demeuré inachevé. Aubin en profite pour passer ses contemporains au rabot et on ne peut s’empêcher de faire un lien avec la révolte des patriotes de 1837-1838. Il y avait là une force et une verve qui se lit encore fort bien. On ne peut que sourire devant ce trait humoristique.
«Je vous dirai donc, en attendant mieux, qu’on s’y habille à peu près comme par ici, avec cette seule différence que quoique la mode générale y soit, pour les dames, de s’y couvrir de robes, il en est néanmoins beaucoup qui ne se gênent point de porter les culottes. Donc, espérez et patientez.» (p.139)
 Certaines descriptions de la nature sont particulièrement juste comme celles du conte «Une chanson, un songe, un baiser». On y sent la marque du romantisme même si Aubin s’en moque avec un bonheur certain. Pas facile d’échapper à son époque même pour un esprit libre et rebelle.
Ce qui distingue Napoléon Aubin, c’est l’efficacité de sa plume, son humour, son imagination et sa pertinence. Pour tout cela et pour le plaisir aussi, il faut relire ses contes et ses récits. Il aurait encore bien à dire sur nos façons de faire et de nous comporter après un certain 11 septembre.
«On conçoit qu’avec une liberté de la presse aussi limitée, la seule ressource d’un littéraire est de déployer ses ailes, de s’envoler vers les astres et les régions éthérées plutôt que de gémir plus longtemps sur une terre préjugée où pour plaire et vivre il faut ramper, ramper bien bas, et lécher l’argot de ceux qui se croient grands parce qu’ils se le font dire souvent, qui ont le droit dans le fourreau du sabre et le cœur au fond de leur gousset.» (p.149)
Nous avons encore besoin de Napoléon Aubin pour nous montrer nos contradictions face aux événements qui nous bousculent et nous perturbent. Malheureusement, ils sont de moins en moins nombreux dans nos journaux. Les Éditions Trois-Pistoles font là œuvre nécessaire.

«Contes et récits» de Napoléon Aubin sous la direction de Marilène Gill et Mario Brassard a été édité aux Éditions Trois-Pistoles.

Le pays idéal et parfait existe-t-il?

Jean Marcel a adopté la Thaïlande il y a une dizaine d’années. Il nous avait fait le plaisir de nous redonner les grands mythes fondateurs de ce pays dans «Sous le signe du singe» en 2001. Cette fois, par des lettres, il nous présente la Thaïlande qui l’a subjugué au moment où il mettait les pieds dans l’aéroport de Bangkok. Le «pays des hommes libres» si on se fie à sa traduction.
Jean Marcel, dans huit missives, aborde différents sujets. Comment il a découvert la Thaïlande, ses caractéristiques, la religion, la langue, la cuisine, le système politique et les préjugés que les Occidentaux entretiennent devant ce monde si différent.
C’est presque trop beau. On hésite un peu, méfiant. Et si Jean Marcel exagérait et décrivait un monde qui n’existe pas? Des millions de gens souriants et calmes, des pacifistes mais aussi des individualistes indomptables qui préfèrent la fuite à l’affrontement. Est-ce possible?
«Ce sourire n’était pas de simple politesse à l’égard d’un étranger que l’on accueille, il révélait le fond du puits de l’âme, pas seulement de l’âme de la personne qui l’émettait, mais de tout un peuple qui l’affiche à tout moment, à tout propos, à tout venant. C’est un univers entier, en effet, qui sourit dans chaque Thaï : c’est le fondement de la culture thaïe, et si on ne l’a pas compris, on ne comprendra rien à rien.» (p.25)
Le lecteur s’abandonne rapidement à ce guide enthousiaste. Il s’ébahit avec Jean Marcel et partage sa joie. Un pays où les hommes se font moine plutôt que militaire ne peut qu’étonner.

Pays idéal

Il existe peut-être le pays idéal et Jean Marcel le décrit. Un petit livre qui fait rêver et espérer. La Thaïlande est un état moderne dont il faut s’inspirer. Oui, un pays pacifiste a sa place dans ce monde d’échanges planétaires. Il faut croire que le modèle occidental fait d’affrontements, de guerres et de violences peut être cassé. Il serait peut-être possible de changer les hommes et les femmes…
«On comprend dès lors qu’un culte fondé sur la connaissance ( de ces quatre vérités ) tienne pour le mal absolu l’ignorance ( dont Marx plus tard dira aussi, comme le Bouddha, qu’elle est la source de tout mal ), et que de l’ignorance naisse l’incompréhension du monde qui engendre la colère… mal absolu dans la société thaïe.» (p.53)
La connaissance peut tout changer. Le mal absolu se nourrit de l’ignorance. Nous n’avons qu’à suivre l’actualité pour nous en convaincre.

«Lettres du Siam» de Jean Marcel est paru aux Éditions de L’Hexagone.