Étonnant et rassurant de découvrir un jeune écrivain et de
trouver en lui une pensée qui fait écho à ce que l’on a toujours défendu dans
ses fictions. L’impression de rencontrer un jeune frère en lisant Chez la reine d’Alexandre Mc Cabe. Voilà
une entrée en littérature qui démarque un territoire, plonge dans l’enfance qui
décide de tout, on le sait. Des modèles : un grand-père austère, un peu
bougon, convaincu qui a fasciné le jeune garçon. Son décès fait basculer tout
un pan de vie, évoque des rituels où l’amour, l’amitié et la solidarité
familiale prenaient toute la place. Des personnages fascinants d’hommes et de
femmes, un témoignage qui m’a ravi.
Le grand-père est
atteint d’un cancer qui va le gruger peu à peu, l’aspirer pour ne laisser
qu’une ombre. Un homme sévère, têtu, un peu grognon qui a marqué sa famille et
les gens autour de lui. Le petit-fils, après des nuits de veille à l’hôpital, va
se reposer chez sa tante, à la campagne. Une grande demeure qui a été le cœur
de toutes les rencontres et de toutes les fêtes familiales. Particulièrement
pendant la période de Noël et du Jour de l’An où la tribu se retrouvait pour
festoyer, s’amuser, manger jusqu’en avoir mal au ventre. Toute la mythologie
des fêtes y passe. Les décorations, les petites ampoules qui illuminaient la
maison, l’arbre de Noël que l’on décorait avec plaisir, les cadeaux, la messe
de Minuit où tout le monde se retrouvait malgré la place de plus en plus
diffuse de la religion. On le faisait pour faire plaisir à la grand-mère, pour
suivre la tradition, pour retrouver peut-être cette magie qui fait écarquiller
les yeux de l’enfant.
Des personnages
défilent, viennent surprendre comme dans toutes les familles. Proteau qui
s’annonçait un matin, un rieur, un beau parleur, un amuseur à son meilleur
quand il pouvait échapper aux regards de son épouse. Ou encore Pierre qui débarquait
à l’improviste. Un personnage coloré, un peu bohème, ivrogne sur les bords,
mais possédant des qualités étonnantes. Il aimait la musique et l’a fait
découvrir au jeune garçon sensible qui ira étudier la littérature à
l’université.
Retour
Un retour sur soi
pour savoir d’où l’on vient, la route parcourue par ceux et celles qui ont
ouvert le chemin de la modernité.
Chez la reine
porte un monde qui s’est dilué avec la Révolution tranquille ; un monde
traditionnel que le grand-père et la grand-mère illustraient, marqué par les
rituels, les rencontres, des fêtes, de chaleureuses amitiés qu’il fallait
entretenir et cultiver. Une pensée tribale je dirais comme il en existait
partout au Québec à l’époque des grandes familles de mon enfance. Un monde ponctué
par la nature, les cycles des saisons et les intempéries ; un monde magique
pour le jeune garçon qui surveillait son grand-père, écoutait ses propos, les retournait
pour en extraire toute la saveur.
La rencontre du
grand-père, un nationaliste convaincu, grand partisan de l’indépendance avec un
oncle, organisateur libéral et fédéraliste, est une pièce d’anthologie. Des points
de vue irréconciliables. Quelle dignité du grand-père, quelle grandeur !
Absolument magnifique.
Il y a aussi la mort
de Jérémie à l’hôpital. Toute la famille l’accompagne jusqu’au dernier souffle.
Un moment formidable, d’une justesse et d’une force singulière que l’on ne
retrouve guère chez les jeunes littérateurs.
Le tout se termine
en France. Un voyage pour rencontrer la fille d’Albert Camus, écrivain sur lequel
il a rédigé une thèse. Une rencontre brève qui fait prendre conscience au
narrateur qu’il a tout croche, tout de travers. Un voyage pour retrouver sa
ferveur, la fierté d’être Québécois lors d’une nuit bien arrosée, une fête où
l’on parle de ce Québec possible et imaginaire. L’espoir luit.
Société
Un roman étonnant,
que l’on n’attend pas du côté de quelqu’un qui fait ses premiers pas en
littérature. Les nouveaux écrivains nous plongent souvent dans des univers sordides,
désespérants, surtout du côté des garçons. Ils suivent des héros à la dérive, qui
n’arrivent pas à s’accrocher à quoi que ce soit. Comme si le monde s’effritait et
que la vie n’avait plus aucun sens. Alexandre Mc Cabe parle du clan, du bonheur
de son enfance, des personnages qui l’on marqué, de ses grands-parents qui lui
ont montré un chemin à suivre et à explorer.
Voilà un roman qui fait
du bien, donne de l’espoir en cette période morose, cette fin de campagne
électorale qui fait ressortir les peurs et toutes les aliénations. C’est
vivifiant de lire un roman comme ça. De quoi faire oublier le cynisme qui nous
étouffe de plus en plus.
Chez la reine d’Alexandre
Mc Cabe est paru aux Éditions La Peuplade, 20,95 $.
Ce qu’il a écrit :
Une suite d’images avait défilé dans mon esprit. Je m’étais
rappelé une date : le 25 juin 1999. C’était le jour où j’avais appris que
mon grand-père était malade et qu’il allait bientôt mourir. Le même jour,
quelques heures plus tôt, j’avais perdu ma virginité. (p.18)
.
Pendant que j’observais des écureuils s’affairant à subtiliser
les graines de tournesol destinées aux oiseaux dans les cabanes accrochées aux
érables, grand-père fixait le lointain. Je me demandais à quoi il pouvait
réfléchir en regardant cet arbre, ce champ, cet oiseau ou ce ciel. Était-il
possible de se réjouir à la vue de ce royaume qui avait été si longtemps pour
lui le lieu du labeur et de la pauvreté ? (p.51)
.
Concentré sur les êtres plutôt que sur leur statut, il jaugeait
les femmes et les hommes à la qualité de leur intelligence et de leur cœur. Il
était exceptionnel à force d’humilité. Il n’avait pas cette grandeur qui
écrase, mais plutôt celle, inverse, qui appelle la grandeur insoupçonnée des
autres. Toutes ces qualités m’avaient convaincu très tôt de l’élire comme
modèle. (p.82)
.
— Tu sais, elle est bien belle la France, mais parfois elle est
morose. C’est pour ça qu’on a toujours adoré le Québec. Vous avez cette joie de
vivre… André, tu peux me passer ce crayon. On te donne notre adresse. Quand tu
te seras pris pour Camus et que tu auras écrit un livre, on voudrait que tu nous
l’envoies. On aura l’impression de tenir un petit bout du Québec dans nos
mains. (p.149)
.
Ce n’est pas tout d’écrire. Ce n’est pas tout de raconter de
belles histoires. Ce n’est pas tout de parler de soi. Il faut savoir se situer.
Se placer là où on doit être. Au péril de la littérature, s’il le faut.
Écrire un roman ? Jérémie ?
Si j’écris, ce ne sera pas de la nostalgie, mais de la fidélité.
Quel émouvant commentaire Yvon. Suis en train de lire ce récit, il m'enchante...
RépondreEffacerMerci Dominique et belle et bonne lecture.
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