ZONE 51 DE CHRISTIANE LAHAIE m’a pris de court. Je ne m’attendais pas à ce genre de roman et peut-être que comme lecteur, je cherche à retrouver l’univers du dernier ouvrage d’un auteur. Avec madame Lahaie, c’était Parhélie ou les corps terrestres paru en 2016 que j’ai aimé. Dans Zone 51, elle s'attarde à la question des extraterrestres, ces êtres venus d’une autre planète ou de nouvelles galaxies, qui se manifestent ici et là. Certains doutent et d’autres jurent qu’ils les ont vus, que des contacts ont lieu et aussi des enlèvements. Les images de Rencontre du troisième type, un film de Steven Spielberg sorti en 1977 me reviennent. Pour moi, ça reste un sujet fascinant et une possibilité. Pourquoi serions-nous les seuls êtres à posséder une certaine forme d’intelligence dans un univers que nous avons si mal à concevoir ? Le fait d’être unique dans le cosmos serait la plus incroyable des incongruités.
Ces visiteurs sont presque toujours représentés comme des monstres au cinéma, souvent des têtards ou des reptiles qui semblent sortir de nos pires cauchemars. Que dire de E.T.et d’autres personnages qui viennent envahir la Terre et menacer la survie de tous ? Heureusement, les Étasuniens défendent la planète et la liberté. La série Star Trek (Patrouille du cosmos) que j’écoutais religieusement à la télévision dans ma jeunesse faisait preuve d’imagination et offrait de belles variantes d’êtres vivants qui partageaient avec les humains des obsessions, une terrible méchanceté et leur goût du pouvoir et de la domination.
Ces voyageurs venus du fond de l’espace nous permettent d’inventer tout ce que l’on veut et de lâcher la bride à nos fantasmes. Christiane Lahaie ne se lance pas dans l’aventure de créer un monstre sympathique qu’elle décrirait pour le meilleur et le pire. C’est tout le contraire, elle se concentre sur des amis qui croient à l’existence des extraterrestres et qui décident de les rencontrer, les voir et les toucher. Plusieurs de ces « visiteurs » seraient prisonniers dans une base secrète du Nevada. Une institution contrôlée par l’armée américaine comme il se doit. Peut-être que quelques spécimens de ces créatures ont réussi à déjouer les gardiens, parce que Donald Trump n’est pas un humain tout à fait comme les autres. Il nous arrive de la planète Ego et est convaincu que tout lui appartient.
HISTOIRE
La narratrice, fille unique d’un couple de nantis, possède tout sauf la beauté physique. Elle fait des études pour satisfaire ses parents et occuper son temps. À peu près rien ne retient son attention et l’important est d’avoir un diplôme qui lui donne le droit de circuler dans la société. Une cynique que rien n’émeut et qui cherche une raison de vivre.
Je me taperais donc trois ans d’anthropologie. Ça risquait d’être utile dans toutes les sphères de mon humble existence. En outre, ça se limiterait pour moi à apprendre des notions et des anecdotes par cœur. Pas difficile. (p.17)
Elle s’est liée avec quelques collègues à l’université. Antoine Audet, Claude Étienne et Olivia Solès, une fille étrange qui fait tourbillonner les gars autour d’elle. Les trois croient à la présence de ces êtres arrivés d’ailleurs et ils collectionnent les articles et les rumeurs les plus folles.
Un soir, peu après la remise des diplômes, Antoine m’a téléphoné. Il était excité comme une fève sauteuse. Claude et lui avaient entendu que quelqu’un venait de révéler l’existence d’une base secrète dans le désert du Nevada. Selon ce témoin, on y gardait même prisonniers des extraterrestres. L’homme, un ex-employé, avait parlé d’un projet d’aéronef muni d’une technologie antigravitationnelle inventée par ces êtres venus de l’espace et qui n’avaient d’autre choix que de collaborer avec le gouvernement américain. Le type en question s’appelait Bob Lazar, un nom de ressuscité qui aurait dû m’inspirer de la méfiance. (p.29)
Pourquoi ce sont toujours les Étasuniens qui attirent ces touristes discrets et jamais les Québécois ? Les bleuetières du Lac-Saint-Jean ont tout pour fasciner ces explorateurs et ils pourraient connaître « la révélation », comme dans l’émission Y a du monde à messe, en goûtant à ce petit fruit bleu convoité par l’univers entier.
AVENTURE
Les quatre décident de se rendre dans le secteur de la base, de percer si possible les secrets de la Zone 51. Un road trip en jeep qui fait traverser les États-Unis en suivant la mythique route 66. J’entends les échos de la voix de Jack Kerouac et de Cassady et ce n’est pas pour me déplaire. La narratrice ne s’intéresse pas aux extraterrestres, mais elle a envie de mettre du piquant dans sa vie. Ses parents lui offrent un véhicule flambant neuf et une carte de crédit avec marge élastique. En route vers ce pays de l’Ouest qui a attiré tant de gens et fait rêver l’humanité à une certaine époque.
J’étais enthousiaste à l’idée de tenir le volant comme Jack Kerouac, de rouler pendant des jours, de m’arrêter pour admirer le paysage ou de manger un burger dégoulinant. (p.34)
Je crois que Jack ne conduisait pas souvent. Il préférait picoler en regardant défiler les agglomérations ou s’endormir au son du moteur.
Et c’est parti. Les garçons fument du « tabac illicite » et vident des canettes de bière. Juste ce qu’il faut. La narratrice a le temps de raconter sa vie intime et sexuelle (une hygiène corporelle qu’elle fait par obligation), de décrire ses parents qui ne l’aiment pas. Les compagnons de voyage tripent et Olivia se fait de plus en plus mystérieuse.
Tout se complique à l’approche du Nevada. Une certaine tension s’installe entre les amis. Je m’arrête là parce que madame Lahaie va me reprocher de trop en dire et de vendre la mèche. Je précise cependant qu’Olivia affirme avoir été enlevée par un extraterrestre et violée. On a beau débarquer d’une autre galaxie, les mœurs semblent partout les mêmes. Les mâles d’Alpha du Centaure ou d’ailleurs, ne contrôlent pas plus leurs pulsions sexuelles que ceux du Québec. C’est désespérant pour ne pas dire autre chose.
SACCAGE
Ce périple nous permet de « découvrir » les États-Unis et de nous heurter au saccage du développement et à la laideur. L’environnement est souillé, ne laissant que des cambuses à l’abandon, des carcasses d’autos et des déchets. C’est vrai que l’histoire de l’Amérique est l’un des pires désastres écologiques de l’humanité. À lire Les Crépuscules de la Yellowstone de Louis Hamelin pour plonger dans un moment terrible de cette folie. Que dire de ce concours où un brave doit ingurgiter en un seul repas une quantité de nourriture qui pourrait satisfaire une famille pendant une semaine. On croit rêver. J’ai visionné des reportages qui suivaient ces individus, ce sont presque toujours les mâles qui participent à ces orgies alimentaires, qui s’empiffrent comme des safres.
J’aime ce regard de la narratrice qui est bousculée en approchant de la fameuse zone qui attire les illuminés qui convergent vers le lieu sacré pour voir de leurs yeux ces êtres qui ont tant à nous apprendre, peuvent nous permettre peut-être de faire un bond dans l’avenir. Comme s’ils étaient des prophètes qui peuvent transformer notre quotidien et épurer notre pauvre civilisation.
Entendons-nous. On était tous en train de fuir quelqu’un ou quelque chose. Claude se tenait loin de son enragé de père, Antoine échappait à sa morne banlieue. Moi, je cherchais à ne pas mourir dans l’insignifiance. Rien, absolument rien ne m’obligeait à accomplir quoi que ce soit dans la vie. Personne, surtout pas mon père architecte et ma mère avocate, ne daignerait m’administrer le coup de pied au cul que je méritais. Je n’avais pas à racheter les rêves brisés de mes parents. Ils les vivaient eux-mêmes. (p.125)
Une folle aventure qui permet de mieux comprendre des personnages qui n’arrivent pas à dompter leurs peurs, qui tentent d’échapper à la monotonie et à la répétition. L’équipée devient captivante et j’ai souvent eu l’impression d’être à l’arrière de la Jeep et de rouler sur cette fameuse route 66. Ce qui importe c’est le mouvement qui emporte et qui risque de marquer les voyageurs à jamais. Comme dans toutes histoires de croyances religieuses, certains sont secoués par le doute et d’autres iront jusqu’au bout. Nous n’apprendrons rien sur les extraterrestres, mais beaucoup sur les humains, leurs peurs, leurs angoisses et leurs phobies. Un roman étonnant et fort agréable à lire malgré que la narratrice soit peu empathique. Ça fait du bien cette histoire, cet humour et ce cynisme en cette période où la frontière colle aux fenêtres de nos résidences, où l’aventure se cache derrière un masque.
LAHAIE CHRISTIANE, Zone 51, LÉVESQUE ÉDITEUR, 168 pages, 19,95 $.
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