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mercredi 20 septembre 2017

CATHERINE ÈVE GROLEAU DÉRANGE

CATHERINE ÈVE GROLEAU m’a d’abord dérouté avec Johnny. Dans le premier chapitre, je me suis demandé dans quel piège je m’aventurais. J’avançais lentement, méfiant, prêt à refermer le livre. Et puis une sorte de renversement, d’embellie, je ne sais trop, s’est produit. Comme si tous les nuages qui alourdissaient le texte s’évaporaient. Valentine abandonne ses enfants et son mari. Elle fonce sur l’autoroute vers Québec, pour surprendre le fleuve, retrouver ses repères, respirer dans tout son corps. Elle trouve refuge chez sa tante, un certain temps. Le calme, la paix dans une grande maison silencieuse. Valentine a tout perdu dans l’aventure du mariage avec Johnny, surtout ses illusions, son rêve d’échapper à l’univers étouffant de sa mère.

Ça commence mal. Je l’ai dit. Une écriture pleine de détails inutiles, de répétitions, d’images maladroites.  « …des toiles d’araignée liquides sur les portes… », « …à force de kilomètres et de gaz en direction est… », « … les sorties défilaient à coup de panneaux métalliques…» L’impression de claudiquer quand j’aurais voulu foncer aux côtés de Valentine jusqu’au bout de l’horizon.
Dommage ! Ce roman aurait pu être un grand roman si seulement l’écrivaine avait su maîtriser ses élans, décrire simplement la vie de Valentine et Johnny sans chercher à faire littéraire. Ce tic m’a agacé tout au long de ma lecture. Pourquoi maquiller son écriture quand l’action est forte et que les personnages vous aspirent dans leur sillon ?
Johnny est né à Odanak, la réserve des Abénakis. Une enfance rude. Un solitaire qui s’initie à la chasse, hésite entre l’héritage du grand-père et la misère des siens. Il part, ne peut que partir, changer de corps, s’installer à Montréal, devenir un Italien. Valentine est rebelle et veut échapper à la grisaille du quotidien. Tous les hommes veulent s’en approcher, la toucher, la posséder. Elle plaît. En rencontrant Johnny, elle croit échapper à l’attraction terrestre.

Juste à la voir marcher sur l’estrade, Johnny avait su en un coup de poing qu’elle était comme lui. Ils allèrent au drive-in avec sa Maserati noir décapotable, le soleil se prenait sur le capot. Les cheveux blonds de Valentine brillaient, il la regardait trop, il n’était pas gêné de la fixer. Les gars de Ville-Émard la scrutaient du coin de l’œil, rougissaient et détournaient les yeux quand elle les regardait ; là Valentine était celle qui évitait les regards et le fixait quand il ne la voyait pas. (p.27)

Johnny fait des livraisons, transporte des substances illicites pour la petite pègre, aime les vêtements dispendieux, les bijoux et les cigares, les grosses voitures. Il est la coqueluche de toutes les filles qui se prostituent dans les bars qu’il fréquente.

JUMEAUX

Amour, promenades, restaurants chics, beaux vêtements. Le piège se referme sur Valentine. Johnny en fait la mère de ses enfants. La voici dans une vaste maison luxueuse, esclave de ses enfants et de son homme. Tout pourrait aller avec l’amour, mais il y a les mensonges de Johnny, ses tricheries et ses infidélités.
Elle part jusqu’au bout de la route, jusqu’à l’épuisement pour retrouver qui elle est. La rêveuse, la volontaire prête à tout pour vivre une vie différente, traverse le Québec, jusqu’au Bas du Fleuve où tout peut recommencer.

Elle remonta dans l’auto, soulagée de fuir son image, d’avancer. Drummondville passa, encore une heure et demie jusqu’à Québec, ensuite deux heures pour atteindre L’Isle-Verte. Les sorties défilaient à coup de panneaux métalliques, elle en avait  pour trop longtemps. Malgré le café chaud, elle n’y arriverait pas. Elle verrait bientôt le fleuve, le vrai, pas celui de Montréal. Le fleuve plein de sel, d’odeurs d’algues, celui qu’elle avait vu sur des cartes postales dans le bureau de poste de Ville-Émard, le Bas du fleuve à l’eau pure, aseptisée par le sel. (p.10)

Bien sûr, la fuite ne permet pas d’échapper à son enfance, à ce que l’on est. Louise Desjardins l’illustre très bien dans son roman L’idole. Évelyne a voulu couper tous les ponts en s’installant à Buenos Aires, mais des moments d’enfance la bousculent, la ramènent là-bas, en Abitibi.
Johnny a beau jouer les Italiens, il reste indien. Valentine a beau retourner aux études, elle demeure celle que toutes les femmes détestent. Elle est la menace qui aimante tous les hommes. Comment fuir son destin, échapper à soi et à son image ? Comment s’empêcher de plaire ?
Johnny boit pour ne pas penser, incapable de donner un coup de barre et de reprendre sa vie en mains. Il recommence ses livraisons pour rencontrer ses enfants. Malgré ses efforts, il reste un errant dans sa tête et son corps, incapable de quoi que ce soit.

RECOMMENCEMENT

Les personnages sont prisonniers de l’univers qui les a vus naître dans le roman de Catherine Ève Groleau. Valentine, malgré ses études, ne peut empêcher les hommes de tourner autour d’elle. Elle est condamnée à être une femme fatale. De mère aussi. Elle cherche à s’effacer en cultivant des légumes au bout d’un rang pour n’être personne.
Ses enfants sont marqués par cette fatalité qu’ils ont en héritage. Eux non plus ne pourront s’imposer comme humains libres de tous les choix et de toutes les réussites. Angie a reçu la beauté et ce besoin irrépressible de séduire. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Nelly Arcand qui a fait de sa beauté une obsession. Franco tente d’échapper au carcan familial en s’intéressant à l’astronomie. Le fils aime la discipline militaire pour obéir, pour ne plus être soi. Il cherche à sortir de lui comme son père et sa mère l’ont fait avant lui.
Johnny, au volant de son camion, ne sait faire que ce qu’il a fait la veille et qu’il répétera le lendemain. Le choc survient quand il surprend sa fille dans le salon avec un voisin. Elle est aimantée par les hommes, ne peut que donner son corps pour attirer l’attention. Un manque d’amour terrible. Un vide impossible à combler.

Elle attendait de se faire prendre derrière les conteneurs. Johnny, avant de brûler dans le ciel de la Mauricie, lui avait dit que c’était une ostie de traînée. Elle était venue le voir l’été avant qu’il s’explose la cervelle, Valentine l’avait laissée partir tout le mois d’août, ne sachant plus quoi faire avec elle. Johnny l’avait prise à se faire rentrer dedans en plein milieu du salon ; le voisin avec son pantalon avachi sur ses chevilles, penché sur elle en grognant comme un porc suant. Il avait tiré le gars par les cheveux, avait traité Angie de crisse de plotte ; le lendemain, il ne lui avait rien dit sur la route en la ramenant à Valentine. (p.198)

Quel roman dérangeant. Les personnages sont enfermés dans leur vie et ne peuvent changer. C’est peut-être le destin des Indiens qui n’ont plus d’avenir et qui ne peuvent s’accrocher à leur passé obsolète. Tous des errants qui troquent leur identité, marqués par leur enfance et un destin qui les casse. Valentine ne fera jamais oublier sa beauté même en faisant tous les efforts. Une fatalité terrible les broie peu à peu.
Cette forme de malédiction est particulièrement dérangeante. La quête d’identité est troublante, difficile et impossible. J’ai eu souvent envie de hurler. Signe que madame Groleau présente ici un univers singulier et percutant. Un très bon roman malgré certains travers d’écriture.


JOHNNY de CATHERINE ÈVE GROLEAU est paru aux ÉDITIONS du BORÉAL.


                                                                                                                                         

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