Marie-Hélène Poitras |
QUE VIVENT LES FEMMES en 2017 ? Est-ce plus facile pour
elles de s’imposer dans un Québec où les élus affirment sur toutes les tribunes
que l’égalité entre les hommes et les femmes est un principe sacré ?
Marie-Hélène Poitras et Léa Clermont-Dion se sont penchées sur la question et
ont rencontré plusieurs femmes qui ont bousculé les conventions et fait de leur
vie une réussite. Constats : c’est plus difficile pour les femmes de faire
leur chemin dans une société où les hommes imposent leur modèle. Une femme qui
veut atteindre des postes de direction fait face à la discrimination et à des
remarques sexistes et fort désobligeantes à un moment ou à un autre. Très
difficile pour elles de prendre leur envol, même après cinquante ans de
féminisme et de revendications.
Léa Clermont-Dion |
L’événement a fait les manchettes à la parution de l’essai Les superbes de Marie-Hélène Poitras et
Léa Clermont-Dion. Un individu, sur Facebook, a évoqué Polytechnique et Marc
Lépine pour exprimer son désaccord avec les propos tenus par les participantes
à cette enquête. Je n’en croyais pas mes oreilles.
Nous en sommes là en 2017.
Nous en sommes là en 2017.
Les Superbes met le doigt
sur une réalité que l’on refuse souvent de voir. Nous nous complaisons à répéter
que l’égalité entre les hommes et les femmes est un acquis en ce Québec de
toutes les lamentations ; que les femmes n’ont qu’à vouloir pour s’imposer dans
les différentes sphères du travail. Les auteures ont rencontré des battantes
qui ont fait leur chemin ou qui occupent des postes importants pour leur
demander si elles avaient la certitude d’avoir eu les mêmes chances que les
hommes dans leur vie active et leur carrière.
Elles ont écouté Pauline Marois, Cœur de pirate, Fabienne Larouche,
Sonia Lebel, Mariloup Wolfe, Louise Arbour, Francine Pelletier, Marie-Mai et quelques
autres. Des modèles pour beaucoup de jeunes filles et des exceptions dans notre
monde de défis et de réussites.
Toutes ont dû jouer du coude pour faire leur place dans un monde conçu
et pensé par les hommes ; toutes ont dû s’imposer et travailler plus que leurs
collègues masculins pour arriver là où elles sont. Elles ont dû demeurer
imperturbables devant des propos sexistes, des plaisanteries déplacées quand ce
n’étaient pas des sarcasmes et le harcèlement.
CONSTAT
Mes lectures, depuis le début de l’année 2017, me font mieux
connaître des femmes qui ont marqué leur époque et qui ont vécu en échappant
aux normes et aux diktats de la société des hommes. Suzanne Meloche, du groupe des
Automatistes qui a refusé de signer Le
Refus global, Marcelle Ferron, peintre, qui a su faire son chemin dans le
monde des arts.
Marie-Hélène Poitras, écrivaine, a fait sa marque dans la société. Elle
aussi aura été la cible de mâles vindicatifs. Sa camarade Léa Clermont-Dion
s’intéresse à la situation des femmes et termine un doctorat en sociologie.
Elle a reçu des insultes. Des propos à peine imaginables sur les réseaux
sociaux où les femmes qui s’affirment et ont du succès sur la scène littéraire
ou artistique deviennent particulièrement vulnérables.
La peur qu’on me fasse taire, je l’ai déjà vécue. Comme toi, je
venais de passer à Tout le monde en parle
pour discuter de mon documentaire Beauté fatale.
J’ai dû recevoir par la suite la visite d’un policier parce que je voulais
porter plainte en réaction aux menaces de viol et de mort, et aux incitations
au suicide que j’avais reçues sur le Web. Je me suis retrouvée seule devant le
représentant de la violence légitime détenue par l’État. Ce fut une expérience
pénible. Cet abruti s’amusait de ma situation. Il a rigolé devant « mes petites
angoisses », si bien que j’ai refoulé mon inquiétude. Et je l’ai fermée, ma
gueule. (Lettre de Léa à Marie-Hélène)
(p.22)
Que c’est troublant de constater que la situation n’évolue guère
dans notre Québec qui se gargarise d’égalité, de liberté et d’ouverture
d’esprit. Il existe toujours une forte résistance devant l’affirmation des
femmes au travail, des manières de leur compliquer la vie et de retarder leur
ascension vers des postes d’autorité. Il suffit de voir les métiers où les
femmes travaillent en majorité pour se rendre compte de l’inégalité salariale
par exemple. Quand on apprend qu’une femme qui occupe le poste de chef de
cabinet pour un ministre du gouvernement du Québec gagne moins qu’un homme pour
le même travail, on peut se questionner. Et il semble que le gouvernement
Couillard n’a pas l’intention de changer les choses. Les partis d’opposition se
sont faits bien discrets sur la question.
EXPÉRIENCE
En 1996, je publiais Le
Réflexe d’Adam où je me questionnais sur les relations entre les hommes et
les femmes, sur l’éducation que l’on imposait aux hommes dans leur
apprentissage. C’était ma manière de réagir à Polytechnique, au geste de Marc
Lépine. J’avais été choqué par la publication du Manifeste d’un salaud de Rock Côté. On a ignoré le livre ou on l’a
ridiculisé. Chantal Joli à La bande des
six a même affirmé que les femmes au Québec en avaient assez des hommes
roses. J’osais écrire que le féminisme avait été bon pour moi et m’avait aidé à
devenir un homme meilleur. Il ne restait plus qu’à pilonner mon livre. Ce fut
fait.
Toutes les femmes savent qu’elles n’auront jamais les mêmes droits
et les mêmes chances dans notre société. On préfère toujours « un gars » même
s’il est moins compétent. Une femme qui réussit à se faufiler dans les boys clubs, doit en faire plus et
souvent elles doivent devenir la pire ennemie de celles qui veulent s’affirmer.
Les savoirs ont été construits par des hommes. Les femmes ont été
définies comme incapables d’activité intellectuelle, d’efforts soutenus, et
comme des personnes menées par leurs organes de reproduction. C’est l’univers
symbolique qui définit le féminin et le masculin, même si on a l’impression
d’avoir fait beaucoup de chemin depuis quelques années. Ces représentations
rendent illégitime l’activité intellectuelle des femmes. (Hélène Charron) (p.48)
Et que dire des propos d’un Donald Trump sur le physique d’Hilary
Clinton dans une campagne électorale qui passera pour la plus honteuse de
l’histoire des États-Unis ? Que penser du traitement de l’attentat qui visait
Pauline Marois le soir de son élection en 2012 ? Les médias n’ont jamais parlé
d’attentat, d’acte délibéré pour éliminer une femme qui prenait le pouvoir et
qui n’était pas à sa place. Tout comme on a refusé de dire que Marc Lépine
était un terroriste raciste et sexiste. On a parlé de maladie mentale, de fou pour
atténuer la gravité des gestes.
MUR
Tout est plus difficile pour les femmes et les prédateurs possèdent
une arme terrible maintenant avec les réseaux sociaux. Que penser d’un Gab Roy
qui s’en est pris à Mariloup Wolfe d’une manière abjecte ? Toutes les filles
ont subi ce genre d’attaques. Dire qu’il était au Salon du livre du
Saguenay-Lac-Saint-Jean l’automne dernier et qu’on faisait la file pour aller
le voir. Il a même eu droit à une page dans le journal régional.
« Ça m’a affectée, mais j’étais dans un tourbillon et j’avais
autre chose en tête. C’est quand j’ai vu l’impact de cette lettre dans les
réseaux sociaux et constaté les contrecoups médiatiques qui ont suivi sa
publication que j’ai réalisé ce qui se passait. » En vingt-quatre heures, la
page Facebook de Mariloup était passée de 500 à 50 000 fans. « Il a fallu que
j’engage quelqu’un pour filtrer les messages haineux. Mes fans ne pouvaient pas
les lire, mais moi, je voyais, en texte gris pâle, tous les messages envoyés
par ceux de Gab Roy. » (p.171)
Toutes témoignent de propos et de messages qui gâchent leur
quotidien et finissent par les déstabiliser.
Une femme est un objet sexuel avant tout dans notre monde. On a passé
des années à parler des vêtements de Pauline Marois ou de l’allure d’Hilary
Clinton. Je n’en reviens pas de la photo d’elle à la Une de L’actualité. On la présentait ridée et
vieillissante. Qui se questionne sur les complets de Philippe Couillard ou de
Denis Coderre ? De la beauté d'un Donald Trump ?
REGARD
Il est réjouissant de voir Marie-Hélène Poitras et Léa
Clermont-Dion reprendre le flambeau et dénoncer cette inégalité qui existe encore
et toujours entre les hommes et les femmes. Je n’avais pas imaginé que des individus
pouvaient écrire des messages haineux parce qu’une écrivaine vient de remporter
un prix littéraire ou encore qu’une comédienne connaît du succès.
C’est aberrant en 2017.
Et il y a des manières plus pernicieuses de les ignorer. L’article
de Lori Saint-Martin sur la présence des œuvres écrites par des femmes dans la
section livre du Devoir est pertinent.
La réponse de Fabien Deglise est incroyable. Une belle manière de
signifier à madame Saint-Martin que rien ne changera et qu’elle peut continuer
à tenir sa comptabilité.
Une ségrégation insidieuse qui s’infiltre partout et qui fait en
sorte que les femmes ne sont toujours pas des égales et n’ont pas les mêmes
chances dans notre belle province.
Je ne peux que saluer le courage de Léa Clermont-Dion et
Marie-Hélène Poitras. Pas facile de se lever pour témoigner d’une situation qui
n’évolue guère. Vous êtes superbes. Malheureusement, on va vous ignorer comme
on le fait toujours en continuant de répéter des clichés sans jamais regarder
ce qui se vit dans la vraie vie pour
reprendre le dernier titre de l’écrivaine Nicole Houde. Je vous salue bien bas
et vous avez toute mon admiration.
LES SUPERBES de
LÉA CLERMONT-DION et MARIE-HÉLÈNE POITRAS est publié CHEZ VLB ÉDITEUR.
PROCHAINE CHRONIQUE : LE PALAIS DE LA FATIGUE de MICHAEL DELISLE, paru chez BORÉAL ÉDITEUR.
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