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lundi 1 avril 2013

Lori Saint-Martin s’approche des portes closes


À quoi la vie de couple tient-elle? Pourquoi ce voyage à deux, malgré les grandes et petites trahisons, se prolonge? Dans cette aventure, les partenaires doivent-ils protéger des coins d’ombres et certains silences? L’écriture, la création est-elle là pour révéler ces absences, ouvrir certaines fenêtres? Nous touchons là le cœur du roman de Lori Saint-Martin, «Les portes closes».

Catherine et Philippe, deux peintres, vivent ensemble depuis toujours. Lui ne pense qu’à son art et elle, comme bien des femmes, a dû composer avec la famille et les enfants. Tous les deux ont connu une enfance difficile. Violente dans le cas de Philippe avec un père alcoolique et d’une cruauté terrifiante. Catherine est devenue orpheline de père très jeune. Sa mère ne fréquentait guère la parole et tenait les effusions loin d’elle. Une femme sèche, froide à donner des frissons dans le dos.
«Avant l’argent, avant la gloire, nous nous sommes choisis. Je fuyais mon enfance grise, je me construisais. Philippe avait son talent immense et, sur lui, l’ombre plus immense encore de son père. Il avait rompu tous les ponts, comme moi, et vivait aussi pauvrement. C’est plus tard qu’il a été, que nous avons été riches, à notre grande honte. Et nous avons peint, lui toujours, moi par périodes même si chaque jour sans couleurs m’a paru un jour gaspillé, et il y a eu, pour nous deux – mais surtout pour lui- les expositions, les musées, les livres sur nous, les documentaires, tout ce dont nous rêvions.» (p.17)
Un amour fou avec ses secrets, ses pans d’ombres, des mensonges qui permettent peut-être d’«épargner» l’autre. Il ne saurait y avoir de vie commune sans ces silences, ces omissions qui protègent et gardent toujours vivante la fascination de l’un envers l’autre. J’ai pensé à Frida Khalo et Diego Rivera parfois, sans le côté extrême de ces deux artistes.

Éloignements

Philippe peint d’après des modèles, des jeunes femmes très belles. Le tableau se termine par une relation sexuelle. Ces moments sont particulièrement troublants et dérangeants.
«Je voudrais mordre sa bouche toute rose, la gifler et faire affluer le sang sous la peau ivoire aux fines taches de rousseur. Tirer sur la masse de cheveux flamme, l’obliger à courber la nuque, la faire gémir. La baiser tout de suite, sans attendre d’avoir fini.» (p.73)
Le peintre est habité par une violence que l’art arrive à canaliser. Une rage qui vient de l’enfance, de tout ce que son père lui a fait subir.
Catherine a aussi ses écarts, ses manquements, ses petites trahisons et ses folies.
«J’ai toujours été sage et douce et fiable, et là je rêve de folie et de furie. Je voudrais qu’une femme se transforme en cerf-volant, qu’un sabre se forge à même une casserole en fonte et tombe dans ma main brandie. Je vois une piste de décollage, une autoroute, je rumine une vérité qui n’est pas bonne à dire mais qui me brûle les lèvres. Arrêtons de mentir, arrêtons de jouer.» (p.58)
Et si tout changeait, si tout basculait. Si cette vie de couple n’était qu’un leurre. Philippe sent que sa compagne remet en question leur amour et leur entente. Le futur est peut-être une porte qui va tout emporter si quelqu’un ose tourner la poignée.


Réflexions

Peu à peu, allant de l’un à l’autre, nous apprenons les secrets de Catherine et Philippe. Tout ce qui fait qu’ils peuvent continuer malgré les peurs, les craintes et les hésitations. Faut-il tricher pour continuer à marcher dans une même direction?
«Le monde s’effondre autour de nous, rien ne dure. Seuls, Philippe et moi sommes encore debout, creux à l’intérieur mais fidèles, ou infidèles, au poste, pins jumeaux frappés par le même éclair, foudroyés mais encore et toujours debout.» (p.106)
Une réflexion importante sur l’amour, le couple, la passion, l’art et la création qui canalisent des pulsions qui surgissent de l’enfance. Il semble que nous ne pouvons y échapper. L’adulte se forge à partir des blessures qui ont marqué les premières années de sa vie.
Est-ce souhaitable de tout changer? La modernité n’enseigne guère la patience. Catherine a beau avoir des envies de bousculer sa vie, elle n’en fera rien. Un couple dure, s’épanouit peut-être dans sa fragilité et ses doutes.
Un roman fascinant, une danse qui nous fait passer et revenir devant «ces portes closes» sans que jamais les personnages ne se risquent à y insérer une clef. La vie est ainsi faite. Peur, lâcheté? Peut-être plutôt ce que je nommerais, après bien des hésitations, la sagesse.

«Les portes closes» de Lori Saint-Martin est paru chez Boréal Éditeur.

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