Marcel Moussette, dans «La
photo de famille», réalise un rêve que j’ai caressé longtemps. Combien de fois
j’ai fouillé dans la boîte de photos de ma mère pour m’arrêter devant des
personnages étranges et fascinants. Les photos en noir et blanc et parfois
couleur sépia m’attirent toujours. Les visages bien sûr, mais aussi les costumes
qui témoignent d’une autre façon de vivre et parfois un bout de décor qui fait découvrir
un monde qui a bien changé.
Une manière d’apprivoiser sa
famille, des oncles, des tantes, des cousins en visite et souvent aussi des inconnus.
Je suis souvent demeuré perplexe devant des hommes à grosses moustaches ou
encore des femmes à l’air sévère. Qui sont-ils? Pourquoi ils sont là et quels
sont leurs liens avec mes proches? Des jeunes femmes aussi aux cheveux bouclés,
comme le voulait la mode de l’époque, sont devenues des grands-mères. Photos de
mariages, de rencontres familiales, de chantiers où mon père a travaillé
pendant des années.
Ma mère a fini, après mes
demandes répétées, par écrire des noms derrières les clichés. C’est ainsi que
j’ai retrouvé un grand-père maternel qui était demeuré un inconnu. Il est mort
avant ma naissance. Les indications de ma mère demeurent très laconiques
pourtant. Des prénoms qui, souvent, ne me disent rien. Comme si une partie de
ma famille glissait lentement dans l’oubli.
Histoire
«Cette photo, je l’ai reçue à
La Prairie, il y de cela une dizaine d’années, des mains de ma mère maintenant
décédée, à un moment où elle avait pris la décision de mettre de l’ordre dans
ses affaires. Elle m’a dit, sans plus : «Prend donc ce vieux portrait,
emporte le avec toi : c’est ta grand-mère Moussette avec sa famille, celle
du côté de Caughnawaga.» (p.13)
La grand-mère de l’auteur est
assisse à droite, au bout de la première rangée, avec un bébé de quelques mois sur
les genoux. Son père. Des gens âgés, des enfants, des jeunes hommes, des femmes
qui semblent de la famille mais dont il ignore l’identité. Quels sont les liens
avec sa famille et pourquoi certains sont absents. L’ancêtre, au centre, l’air
sévère avec sa robe noire, apparaît comme le pivot du clan. Une famille particulière
avec un côté métis. Presque tous vivaient à La Prairie, tout près de la Réserve
de Kahnawake.
Recherche
Marcel Moussette, archéologue
de profession, tente d’identifier les figurants de cette photo prise un beau
jour d’été de l’année 1912. Sa grand-mère était alors une toute jeune femme au
sourire un peu triste.
Il entreprend, c’est
inévitable, de ressasser des secrets que l’on évoque avec difficulté dans
toutes les familles.
Son arrière grand-mère, Charlotte
Giasson, est née à Kahnawake et était Mohawk.
«Moi qui suis née ici, fille
d’Akat Konwaronhiotakwen, petite-fille de Charlotte Tsionnona et
arrière-petite-fille d’Agathe Anaiecha.» (p.169)
Les affrontements entre Blancs et Autochtones
sur la Réserve semblent récurrents. Certains veulent chasser les métis et les
Blancs de la Réserve. Cela a mal tourné dans le cas de sa famille. Osias
Meloche, l’époux de Charlotte Giasson, son arrière-grand-père, est mort de
façon atroce dans l’un de ces affrontements en voulant sauver ses chevaux.
«C’est à ce moment exact
qu’elle a vu, bien vu, deux ombres sortir de la nuit. L’une a refermé la porte
de l’étable derrière pepère Meloche et l’a coincée avec un bout de bois, tandis
que l’autre vargeait à grands coups de bâton sur Delvide et William qui ne
comprenaient plus rien à ce qui se passait.» (p.160)
Marcel Moussette évoque la
discrimination vécue par les femmes qui perdent leur droit en épousant un Blanc,
exhibe des affiches qui donnent froid dans le dos.
Éclatement
Un oncle, après la mort de sa
femme, migre aux États-Unis avec la moitié de sa famille. Il y refera sa vie et
ses enfants deviendront des Américains. Jamais il ne voudra revenir au Canada
pour voir ses filles qu’il a confiées à sa mère en partant. Montréal devient un
refuge pour plusieurs. Des liens subsistent et d’autres s’étiolent.
Des drames, des amours malheureux,
de grandes passions, du travail pénible pour survivre, des maladies, des
déchirements comme on en vit dans toutes les familles.
Comme quoi la grande
histoire, celle que l’on retrouve dans les livres, passe par les gens ordinaires.
Une manière de revisiter le passé d’une façon particulièrement originale. Des
témoignages touchants et émouvants.
Marcel Moussette m’a
convaincu. Il faut revenir à mes photos de famille. J’y découvrirai des
personnages et peut-être aussi des secrets que jamais personne n’a osé aborder
lors de ces rencontres où tous se mettaient sur son trente-six pour le photographe.
Une époque, mon histoire familiale et aussi celle du Québec et d’un village qui
a bien changé.
«La photo de famille» de Marcel Moussette est paru chez Lévesque Éditeur.
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