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mardi 14 août 2012

André Carpentier secoue nos manières de communiquer

André Carpentier s’est aventuré plutôt du côté du récit au cours des dernières années. «Gésu Retard. Faits divers montréalais en huit journées et dix-sept dictées sur le temps vécu» remonte à 1999.

«Dylanne et moi», un court roman d’une centaine de pages, m’a entraîné dans un univers étrange. Un homme lutte contre le cancer et sa vie n’est qu’une longue dérive où plus rien ne vient secouer la grisaille du quotidien. Une petite annonce dans un journal culturel retient son attention.
«Un mois auparavant, j’avais répondu à une petite annonce personnelle parue dans un hebdomadaire culturel branché, que je feuilletais pour une rare fois, allez savoir pourquoi. La petite annonce proposait «une expérience artistique à deux». Le libellé précisait: «de préférence avec une personne qui serait tout le contraire d’artiste.» L’avertissement «Galants s’abstenir», qui avait dû en désenchanter plus d’un, m’avait mis en confiance, sans doute à cause de son élégance.» (p.11)
Une jeune femme lui propose une expérience étonnante. Tout bascule et la vie prend de nouvelles couleurs.

Danse

La performeuse explique qu’elle va danser dans son loft et lui devra la photographier. Là où ça devient singulier, c’est quand elle lui demande d’être nu lors des séances.
L’homme, plutôt coincé dans ses complets qui ne se distinguent pas par leur originalité, a des habitudes qui ne dérogent guère. La médecine qu’il pratique est faite de gestes mille fois répétés et rassurants.
«- Mais ne voyez donc pas tout en bien ou mal, en bon ou mauvais, fit-elle, la réalité est infiniment plus complexe que ça. Il y a aussi de la nudité dans le nu - vous connaissez Egon Schiele, Lucian Freud -, et il peut aussi y avoir de l’art dans la nudité.» (p.37)
L’expérience s’avère laborieuse au début, mais il s’abandonne et retrouve peu à peu ses instincts de chasseur.
«Je n’en revenais pas. Moi, dans mon épaississement et sous mes flétrissures, avec ma tonsure croissante et mon épiderme talé, sans compter ma cicatrice aux lèvres si fragilement refermées, moi qui n’avais jamais vécu dans un corps glorieux d’athlète ou de star, moi qui avais fait de la rigidité mon maintient naturel, je devenais potentiellement porteur d’un était de beauté propice à susciter des émotions. Quel cadeau elle me faisait.» (p.48)
Il découvre un bonheur et une intensité qu’il ne croyait plus possible.
«Ma présence au monde, tout orientée vers cette expérience artistique à deux, était comblée. Il y avait longtemps qu’il n’y avait eu une telle coïncidence entre mon corps et moi.» (p.51)
Après ces séances bouleversantes, il reçoit une invitation de la jeune femme devenue aveugle. Elle signera ses livres au Salon du livre de Québec. Un choc pour le médecin qui vient de retrouver toutes les dimensions de son être.

Expérience

Voilà une appropriation particulière de l’espace, du regard et de la gestuelle. L’homme retrouve l’instinct, la liberté et la danseuse vibre de tout son être malgré la perte progressive de la vision. Comment voir et que regarder? Les deux plongent dans le monde de la pulsion et de l’instinct où chacun doit prévoir l’autre. Les deux se cherchent, se fuient, deviennent des fauves en chasse. Deux corps aux sens exacerbés dansent, bondissent, pivotent, s’échappent et se rapprochent.
Ils se frôlent, se désirent, se devinent et s’excitent. Qui va surprendre l’autre? La danse devient traque et fuite, un combat étrange et sensuel. L’expérience sera inoubliable pour lui.
Il vivra une peine d’amour même si les rencontres avec l’artiste ont été brèves. Il a connu une fulgurance qu’il est difficile d’oublier.
Elle savait qu’elle perdrait la vue et tentait peut-être d’échapper à cette réalité en fuyant l’œil implacable de la caméra. Lui a oublié son cancer et voit tout autrement.
Un roman fort troublant qui questionne nos manières de communiquer et qui, peut-être, pointe l’atrophie qui guette les humains de moins en moins physique dans nos sociétés. Un jeu qui retourne l’être et le propulse dans un moment d’incandescence. Carpentier explore le regard, le mouvement, la sensualité, les élans qui poussent les hommes vers les femmes et vice-versa. J’ai eu l’impression de faire face aux forces pures de la gravité terrestre.

«Dylanne et moi» d’André Carpentier est paru chez Boréal Éditeur.

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