FELICIA MIHALI nous invite en Roumanie dans son dernier roman, Dancing Queen, à l’époque du communisme et du dictateur Nicolae Ceausescu, l’un des régimes les plus répressifs qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. Sonia, une jeune fille de la campagne, souhaite étudier et doit migrer à Bucarest pour réaliser son rêve. Elle croise Marc, un peintre en vogue, et devient sa maîtresse alors qu’elle vient tout juste de quitter l’adolescence. Elle l’épousera à 18 ans. L’homme, qui pourrait être son père, entretient une cour dans son atelier et est de tous les événements mondains où les artistes se précipitent pour faire la fête et peut-être aussi pour établir certains contacts. La jeune femme se retrouve dans un milieu d’intrigues où tous cherchent à se faufiler dans un régime qui a des yeux partout. Il faut surtout se méfier de tous et demeurer sur ses gardes.
C’est l’amour pour Marc, qui trouve avec son épouse une sorte de fontaine de Jouvence. Tout cela malgré les ragots, les remarques malveillantes et les manœuvres des étudiants et des artistes qui tentent de la séduire à la moindre occasion. Elle est perçue comme une petite intrigante qui est prête à tout pour se tailler une place dans la société.
Le roman s’ouvre au moment où Sonia part pour Bucarest après des années au Québec, à Montréal. Marc est décédé et il lui lègue l’appartement où ils ont vécu. Un héritage plutôt étonnant et un retour au pays après des années.
« Sonia prend encore une gorgée de gin, la dernière, et sourit discrètement à l’intérieur de son verre, alors que ses larmes continuent de couler. Sa pauvre voisine de siège ! Elle est loin de deviner sa jubilation à la nouvelle de la mort de Marc, sa rage qu’il soit mort aussi ! Et sa perplexité devant le fait qu’il lui lègue leur appartement. Les autres femmes de sa vie lui en veulent probablement. Laisser la maison à la jeune épouse partie, disparue ! Que voulait-il démontrer par ce testament, au fait ? » (p.14)
Une plongée dans une période où elle était une femme naïve qui découvrait le monde et qui n’avait aucune conscience de tout ce qui se tramait autour d’elle. Comment deviner les intrigues qui se nouaient, avec Marc surtout, qui détenait un grand pouvoir sur ses étudiants en étant enseignant à l’Académie ? Il pouvait assurer la réussite de l’un ou l’éloigner subtilement.
« Sonia apprend un deuxième langage pour esquiver les remarques des gens, pour éviter les moments de tête-à-tête lors des fêtes lorsque les cercles de discussions se configurent progressivement, laissant en circulation des électrons libres qui traînent autour, dans un coin, en attente de quelqu’un pour leur tenir compagnie. » (p.63)
Tout revient. Des scènes, des jours de bonheur et aussi des événements qui prennent un autre sens. Quand Marc est allé rencontrer ses parents pour demander sa main, par exemple. Elle découvre qu’elle a été emportée par un rêve, tournant le dos à sa famille, que l’homme qu’elle a aimé est demeuré, un inconnu malgré leur brève union. Le temps est venu de comprendre la société dans laquelle elle s’est glissée naïvement et tout ce qu’elle n’a pas vu alors, ou qu’elle n’a pas voulu voir.
UN RÊVE
Comment en aurait-il pu être autrement ? La petite paysanne s’est retrouvée dans le monde des artistes, au milieu de gens plus libres, d’ambitieux qui étaient prêts à tout pour réussir. Marc ne manquait pas d’argent dans une époque où tous tiraient le diable par la queue et pouvait se payer à peu près tout ce qu’il souhaitait, même une maison à la campagne.
« Elle sait qu’elle va arriver à Bucarest saine et sauve, qu’elle prendra un Uber jusqu’à l’appartement dont elle a reçu les clés, une carte magnétique de l’entrée de l’immeuble et une autre en métal, une clé d’une serrure qu’on ne fabrique plus. Est-ce leur ancienne clé ? Marc aurait-il gardé la même serrure depuis tant d’années et la même porte d’appartement ? » (p.9)
Felicia Mihali nous pousse tout doucement dans le régime communiste, à l’époque où tout était réglé et surveillé. Un temps que personne ne veut revivre et qui nous dit que l’on a raison de s’inquiéter des manœuvres de certains politiciens de maintenant qui bradent l’héritage démocratique.
Sonia voit bien qu’elle a profité de privilèges, qu’elle s’est étourdie en allant à toutes les fêtes, étant la jeune épouse que son mari exhibait et que les autres enviaient ou détestaient. Un monde d’intrigues, malgré les apparences de fraternité, où tous étaient prêts à n’importe quoi pour attirer le regard de ceux qui pouvaient les faire progresser dans leur carrière.
COMPAGNES
Elle rencontre les femmes qui ont partagé la vie de Marc et cela se passe plutôt bien, même si elle constate sa naïveté d’alors. Des moments chaleureux, un peu étranges avec ces épouses qui pourraient devenir des amies. Elle connaîtra également la fille de Marc, qui se montre féroce, et un voisin qui ne cessait de se plaindre des fêtes que le couple organisait dans l’appartement.
« Sonia ne dira rien. Elle n’a pas encore retrouvé son sang-froid, surtout devant les allusions du voisin à savoir que Marc était un informateur de la Securitate. L’était-il vraiment ? Difficile de se prononcer sur la meilleure posture à adopter à l’époque. Au grand dam de Sonia, parmi tout ce qu’elle découvrait depuis son arrivée, elle lisait avec stupeur les témoignages des anciens collaborateurs qui se vantaient de leur rôle d’informateur pour la Securitate. La nouvelle génération se foutait vraiment de tout ça. Pour la vieille garde, l’époque de la Securitate représentait un âge d’or, car il s’agissait de leur jeunesse. » (p.187)
Une formidable plongée dans un monde de délation, de vengeances mesquines, où tous étaient prêts à dénoncer un proche pour parvenir à ses fins. Sonia a été la victime de bien des intrigues. Et surtout, elle se rend compte que Marc l’a aimée à sa façon et qu’il lui a permis d’échapper à tout ça en organisant sa migration au Canada !
Une société qui donne froid dans le dos. Un milieu égocentrique où chacun s’occupe de soi, où les privilèges s’acquièrent toujours aux dépens des autres. L’histoire se répète. Sonia comprendra sa chance d’être partie et surtout parviendra à faire la paix avec son passé. Il faut en arriver là un jour ou l’autre. Et il lui reste cet appartement à Bucarest pour lui rappeler de ne pas oublier.
MIHALI FELICIA : Dancing Queen, Éditions Hashtag, Montréal, 216 pages.
https://editionshashtag.com/product/dancing-queen/
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