lundi 9 décembre 2013

Philippe Porée-Kurrer scrute notre avenir

Les technologies de maintenant permettent de communiquer avec tout le monde, partout, en tout temps, de chercher de l’information sur des appareils de plus en plus sophistiqués et efficaces. Il est possible de savoir où vous êtes, ce que vous faites, avec qui vous avez des contacts à partir de vos communications, de suivre vos moindres déplacements. J’ai même eu la surprise de voir un drone surgir devant mes fenêtres, il n’y a pas si longtemps. Un homme s’amusait à filmer, dans la maison, inconscient qu’il violait ma vie privée. Où situer alors la frontière entre l’espace public et le privé? La question s’impose avec ces gadgets que nous adoptons avec enthousiasme et une folle insouciance.

«La révélation de Stockholm», le nouveau roman de Philippe Porée-Kurrer, nous plonge dans une réalité que nous connaissons mal. Imaginez un chercheur qui aurait réussi à créer une intelligence artificielle, un cerveau comme celui des humains, possédant une puissance décuplée. Un être presque, proche de nous, éprouvant certains sentiments et des émotions.
«Cette entité, appelons là ainsi, est partout sur Internet. Elle occupe tout le réseau. Il doit cependant y avoir, quelque part, un système nerveux central qu’il s’agit de localiser pour le museler… …C’est du reste assez intéressant si l’on considère que, sinon cette exception majeure, rien de ce qui est électronique ou numérisé d’une manière ou d’une autre ne peut leur échapper, aucune conversation téléphonique, aucun document, aucune décision transmise d’une façon ou d’une autre, aucune émission radio ou télé, rien!» (p.52)
Cette formidable intelligence permettra à ceux qui la contrôlent de diriger la planète. Un nouveau Big Brother d’une efficacité inimaginable. Il manque un élément aux Chaco, les financiers, pour avoir le champ libre. Ils commencent par supprimer Magnus Solberg, l’inventeur. Il était devenu dangereux et inutile. Sa fille Selma a peut être la réponse qui manque. Elle prend la fuite pour échapper au foyer d’accueil. Une simple fugue devient une aventure passionnante.
Magnus Solberg a créé un double de cette intelligence. Pour contrer peut-être les intentions maléfiques. Deux entités de même puissance qui ne savent rien l’une de l’autre. Ygg au service des forces du mal et Vara du côté du bien. Les deux sphères d’un cerveau qui se complètent d’une certaine manière, s’attirent et pourraient se comprendre. L’un plutôt masculin et l’autre féminin. La confrontation du bien et du mal comme dans les westerns. Ces «êtres» possèdent leurs façons de communiquer, des langages mathématiques et poétiques qui échappent à l’entendement humain. À côté de ces «intelligences», l’homme et la femme sont désuets et d’une autre époque.

Poursuite

Une course folle s’engage pour retrouver Selma. Elle navigue sur le voilier de la famille. Un jeu d’enfant de la retracer grâce au GPS. La fille est futée, sait brouiller les pistes, souhaite aller en Suède, le pays d’origine de son père, rejoindre une tante qui pourra l’aider à comprendre ce qui est arrivé.
Porée-Kurrer nous étonne par l’étendue de ses connaissances, la richesse de son imagination, la puissance de ses évocations et les événements qui se succèdent. Nous voyageons aux quatre coins de la planète. Dubaï, Mexique, Fécamp en France, le lieu de naissance de l’écrivain, un village de Colombie-Britannique, Sunne en Islande, une ville mise en évidence par le formidable écrivain Göran Tunström. Le monde de maintenant n’a plus de frontières, de centre ou de périphérie. Tout est dans tout. Tout est partout.
Selma a entraîné Clovis dans l’aventure, un orphelin en fuite comme elle. Les deux affrontent les vagues et les vents, les manœuvres de Luzangela et de Leon Chaco, des êtres sans âme, capables de toutes les férocités pour arriver à leurs fins. Heureusement, la jeune fille peut compter sur des alliés qui veillent, dont le double de Ygg, Vara. Ainsi les chances sont plus équilibrées.

Aventure étonnante

Une fiction avant-gardiste, une manière de secouer des certitudes et de nous faire vivre une quête qui ne cesse de surprendre et de dérouter. Surtout, il ouvre une fenêtre sur une réalité que nous saisissons mal. L’écrivain pose ici les premiers jalons d’une fresque étonnante par sa pertinence et son ampleur. Le projet s’étendra sur sept romans. Une fiction solidement documentée et des personnages humains et attachants. Du Porée-Kurrer à son meilleur, une formidable aventure, une belle manière de faire réfléchir à ce que nous faisons et vers quoi nous allons.

Les gardiens de l’onirisphère, La révélation de Stockholm de Philippe Porée-Kurrer est paru aux Éditions JCL.