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dimanche 10 janvier 2010

Bïa Krieger crée une belle surprise

Bïa est une chanteuse appréciée au Québec. La douceur de ses musiques et la langueur de sa voix savent nous bercer comme un chaud soleil de juillet. Son dernier disque en compagnie d’Yves Desrosiers est un petit bijou.
Si le prénom s’est imposé, il faudra tenir compte maintenant de Krieger, son nom de famille en raison de ce récit. «Les Révolutions de Marina» nous entraîne dans son enfance au Brésil et ses nombreuses pérégrinations.
Militants engagés, ses parents ont vécu dans la clandestinité. Ils devaient multiplier les réseaux pour se protéger, changer d’identité pour échapper à la police et à la dictature, pratiquer l’art du caméléon pour rester en vie.
«Ceux, qui, comme mes parents, ne croyaient pas à la violence comme moyen pouvant servir des fins légitimes, vouaient leur existence à la diffusion d’organes d’information illégaux, à l’organisation de syndicats, à la sensibilisation des masses laborieuses et à la pénétration des idées libertaires tant dans les couches opprimées que chez les intellectuels du pays.» (p.14)
Les parents de la petite Marina disparaissent souvent et elle se retrouve chez ses grands-parents maternels. Des gens qui ont du mal à comprendre pourquoi leur fille conteste le régime et le pouvoir en place. Un couple conservateur, mais de grands cœurs capables de générosité pour leurs enfants. Ils étaient toujours là pour accueillir leur petite-fille et la choyer.

Le goût du voyage

Marina apprend à vivre avec ces départs et ces retours, prend goût à ces exils qui la mèneront dans différents pays d’Amérique du Sud et au Portugal. Et après bien des déplacements, elle retrouve son Brésil à l’âge de l’adolescence.
«Je débarquai au pays du dévergondage, où l’on expose les rondeurs charnues sans y penser, où l’on s’appelle «mon amour» et «chéri» à la caisse du supermarché ou dans l’autobus. «Tu n’as pas l’appoint chérie?» «Ah, désolée, mon cœur! Je n’ai aucune monnaie!» Le langage corporel, le ton de voix langoureux et les attouchements triviaux du plus banal échange carioca seraient passés à Lisbonne pour une invitation à la débauche ; et sous ces gais tropiques les bikinis tenaient moins de place qu’une balle de ping-pong dans une main fermée. J’étais dépaysée dans mon propre pays.» (p.35)
Les migrations constantes peuvent faire en sorte que l’on devient un étranger dans son propre pays.

Le Chili

Les parents de Bïa se retrouvent au Chili pendant le court règne de Salvador Allende. Ils y trouvent du travail et peuvent enfin vivre librement. Ils oeuvrent dans une société qui correspond à leurs idées. Tout semble devenir possible pendant cette période. Le temps des migrations était peut-être chose du passé.
«J’aimai le Chili. Son air froid et sec qui faisait geler les crottes de nez, provoquant sans cesse des saignements de narines. Son peuple si taciturne, grave, mélancolique et assoiffé de poésie, ces visages homogènes, cette parfaite chiliennitude faite de cheveux noirs de jais, d’yeux légèrement bridés, de pommettes hautes et de peaux mates, de femmes sérieuses et sans fard et d’hommes introspectifs épargnés par la calvitie.» (p.69)
Le rêve ne durera pas. Il faudra encore une fois prendre la fuite, s’exiler au Portugal cette fois, dans une société traditionnelle et un peu sclérosée.

Différence

Apprentissage des langues, découverte de la différence, Bïa témoigne de son vécu simplement. Un regard aimant et sans complaisance sur ses parents qui finissent par se séparer pour refaire leur vie. L’enfant n’en souffrira guère, adorant sa seconde mère, son nouveau frère et sa nouvelle sœur. Elle vivra ces bouleversements sans crises existentielles ou grandes révoltes. L’enfant montre une capacité de résilience et d’adaptation exceptionnelle.
Un peu déroutant, le récit épouse le parcours de la vie de Bïa, les départs et les retours en arrière, passe de la vie de l’enfant à celle de l’adolescente qui vit ses premiers émois avec des garçons pour replonger dans ses premières années. Une fois familiarisé avec cette façon de raconter, à ces allers et ces retours, on suit la narratrice avec plaisir.
Touchant, bien écrit, sensible, intelligent, ce récit nous entraîne dans une vie qui sort de l’ordinaire. Un récit autobiographique étonnant. Bïa Krieger est plus qu’une chanteuse. Elle démontre un beau talent d’écrivaine.

«Les Révolutions de Marina» de Bïa Krieger est publié chez Boréal Éditeur.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/bia-krieger-1641.html

Katia Canciani écrit à Antoine de Saint-Exupéry


Katia Canciani a été pilote, adorait se glisser entre les nuages, avoir la sensation d’être un oiseau.
La vie a fait en sorte que celle qui cherchait à s’envoler est demeurée au sol. L’arrivée des enfants, la vie qui prend une autre direction. L’écriture a pris la place que ses trois marmots veulent bien lui abandonner.
Dans «Lettre à Saint-Exupéry» elle décide d’écrire à l’auteur du «Petit prince». Après tout, il était pilote et écrivain. Elle se raconte, le convoque dans un café pour discuter. Elle connaît ses romans bien sûr. Elle parle de son rêve de voler, de l’école de pilotage de Chicoutimi, ses problèmes en tant que femme dans un monde masculin, un accident grave à l’amerrissage. Elle a amorcé une carrière d’instructeur jusqu’à son ras-le-bol devant l’attitude de certains étudiants. Cela arrive, même quand on sait défier la gravité. Les humains demeurent les humains.
Katia Canciani confie ses craintes devant le monde de l’écriture. Il doit savoir lui, l’auteur de «Vol de nuit» et de «Terre des hommes». Il y a peut-être une manière de saisir les mots, un plan de vol pour inventer un roman. Bien sûr, Saint-Exupéry reste silencieux. À chacun de trouver son chemin et de vivre ses expériences.
Katia Canciani survole l’œuvre de Saint-Exupéry, glane une phrase ici et là, raconte ses frayeurs devant ce nouveau monde.
Ses illustrations sont naïves à souhait, enfantines même. Clin d’œil au «Petit prince» peut-être, mais là encore rien de convaincant. Un ouvrage sympathique, sans plus.

« Lettre à Saint-Exupéry » de Katia Canciani et publié aux Éditions Fides.

dimanche 3 janvier 2010

Le tour du monde d’Hélène Rioux


Hélène Rioux a entrepris en 2007, avec «Mercredi soir au Bout du monde», une saga qui nous conduit aux quatre coins de la planète. «Âmes en peine au paradis perdu» est le second volet de cette entreprise impressionnante. L’ensemble comprendra quatre ouvrages.
Je me précipite dès que je vois que l’écrivaine effectue un pas dans son exploration. Chose certaine, quand Hélène Rioux aura mis un point final à cette aventure, je reprendrai le tout, pour me laisser emporter par ses personnages et cette pérégrination dans le monde de maintenant.
Dans «Âmes en peine au paradis», nous retrouvons des figures que nous avions appréciées dans «Mercredi soir au Bout du monde». Julie a perdu son grand amour et arrive difficilement à refaire surface. Doris est morte, mais elle continue de hanter le personnel et les clients du «Bout du monde». Tous survivent avec la douleur ancrée dans leur chair et leur âme. La vie est marquée par la mort. Les deux vont main dans la main.
«Parfois la mort arrive aussi, à la sauvette, en catimini, et sa prestation n’a rien de spectaculaire. Inaperçue, elle règle son affaire vite fait et puis s’en va. Non, ce n’est pas comme dans les films de guerre aux actualités télévisées.» (p.22)

Présence

Ernesto Liri, le musicien qui a connu la gloire et la grande vie a presque cent ans. Il souhaite réaliser un dernier rêve en Toscane, là où tout a commencé. Il ne sait plus que ressasser des souvenirs. Julie souhaite biffer son passé de danseuse nue comme on se défait d’une vieille robe en s’engageant comme serveuse au Bout du monde. Béatrice croise un homme étrange qui veut réécrire «La divine comédie» de Dante. Il a besoin de l’aide d’une lectrice pour connaître l’état du monde.
«À présent, quelqu’un devait prendre la relève, se charger de l’époque contemporaine, le vingtième siècle et au-delà, qui formerait le cœur de l’œuvre. Cette personne lirait pour lui les journaux, les romans, les essais, tout ce qui lui tomberait sous la main.» (p.56)
La littérature s’infiltre partout dans le roman d’Hélène Rioux. Dante, Proust, Sade et aussi des auteurs de romans de type Arlequin qui se servent d’écrivains fantômes. Que nous soyons en Italie, à Montréal, à Cabarete ou à Séville, les personnages ont eu des contacts, se sont croisés et se sont perdus comme veut la vie. Ils trouvent des frères ou des sœurs malgré des époques lointaines.

Quête

Les personnages dérivent comme des plaques tectoniques qui se heurtent ou s’éloignent imperceptiblement. Chacun cherche une direction ou un paradis perdu. Pour y arriver, certains retournent aux grandes œuvres qui ont marqué l’humanité et la civilisation.
«Nous ne sommes pas, n’avons jamais été dans une vallée de roses. Le paradis est un espoir nostalgique, on croit s’en souvenir sans toutefois l’avoir jamais connu, le paradis est une illusion. L’histoire des villes, c’est comme l’histoire du monde. Celle de l’humanité. Aucune histoire n’est morale, nous sommes tous bâtis sur des ruines, nous fleurissons sur des charniers. Les cris, dit-on, restent longtemps enfermés dans les pierres, quand on est attentif, il paraît qu’on peut les entendre. Nous sommes bâtis sur ces pierres, sur ces cris. Nos maisons, nos os se lamentent, la nuit surtout. » (p.203)
Cela s’appelle la culture ou les cultures. Cela s’appelle le monde contemporain où toutes les frontières sont abolies, où la planète n’est plus qu’un seul et vaste territoire. «Âmes en peine au paradis perdu» est une oeuvre touffue, plein de découvertes et de surprises. Tous cherchent l’amour, une épaule et un peu de chaleur. C’est peut-être ce qui caractérise les hommes et les femmes.
Un roman d’une intelligence remarquable qui fouille dans les obsessions humaines. Un portrait de fraternité, d’entraide, d’affinités littéraires, de rencontres qui changent le cours des choses, de fils qui se rejoignent et se cassent aussi. Une aventure unique, originale et fascinante. Le monde selon Hélène Rioux est dur, difficile, mais combien humain et attachant. Il peut être tout aussi envoûtant, grisant que désespérant.

«Âmes perdus au paradis perdu» d’Hélène Rioux est publié chez XYZ Éditeur.

http://www.editionsxyz.com/catalogue/544.html

mardi 29 décembre 2009

Michel Leblond tord le cou de la vérité

J’adore les contes et trouve toujours le moyen de me régaler quand on publie un nouveau titre chez Planète rebelle ou quand une autre maison d’édition s’y aventure.

Tout le monde en conviendra, le conte doit puiser dans l’actualité pour demeurer pertinent et rejoindre un certain public. Sinon, le conteur risque d’évoquer une société qui n’a guère de références. Surtout que la tradition n’a plus tellement bonne bouche dans un monde de «l’ici maintenant» et du jetable. Et le Diable ne fait plus peur à personne.
On évoque souvent les contes urbains, comme si ceux qui ont défilé au Sergent recruteur de Montréal avaient renouvelé le genre en le sortant des campagnes. Une autre légende sans fondement. Le conte est tout aussi vivant dans les régions que dans les ruelles de la Métropole.
Les héros urbains sont souvent des itinérants qui savent voir les travers de leurs contemporains. On a souvent l’impression que Jean Narrache a eu de nombreux rejetons. Les héros de Montréal sont des cousins de ces quêteux qui ont si longtemps parcouru le Québec en transportant histoires et légendes. Plusieurs conteurs citadins se sont distingués avec des apports originaux et inventifs. Pensons à Jean-Marc Massie et Éric Gauthier. Comment ne pas citer Fred Pellerin? Le conteur de Saint-Élie-de-Caxton a donné un élan extraordinaire au genre en demeurant résolument fidèle à son village.

Imaginaire

Michel Leblond est associé aux Grandes gueules de Trois-Pistoles depuis fort longtemps. Un événement où l’imaginaire a les coudées franches. Un festival où les menteurs et les exagérations prennent toute la place. Dans «La cordeuse de bois», le conteur évoque le Diable, mais sans trop insister.
Dans le conte qui donne son titre au recueil, le démon est de retour et tente de faire des affaires même si les temps sont difficiles. Il a pourtant été bien en avance de son époque le Malin. Dans le bon temps du curé et du goupillon, il avait des succursales dans tous les pays du monde. Une mondialisation avant terme. Il est toujours aux aguets malgré la post-modernité, les I-Pod et l’inflation. Il a peut-être aussi un blogue et bien des amis sur Facebook.
Une femme transige avec lui. Le grand escogriffe s’engage à ranger son bois avant l’hiver. Une âme contre un tas de bois.
«- Une dernière chose. Je peux augmenter le nombre de cordes en tout temps.
- Pourquoi ?
- Tu sais, la cordeuse, avec le réchauffement de la planète, la température peut changer. Si jamais tu manques de bois, ben tu vas avoir froid, pis je veux pas ça. Tu vois, c’est pour toi que je fais ça.» (p.26)
Et comme dans la plus belle des traditions, Belzébuth sera filouté grâce à des jeunes qui vivent d’expédients et découvrent le monde. On dira après que les jeunes ne veulent plus rien savoir.

Exagération
 
Michel Leblond flirte avec la légende ou encore plonge tête première dans les plus belles exagérations. Le grand Ouellet vit une histoire d’amour avec une sirène et capture une baleine en s’adonnant à la pêche blanche.
«Une fois remise de sa surprise, elle m’a décoché un sourire à faire fondre toutes les banquises de la planète. Ça été le coup de foudre. Je l’ai prise dans mes bras pis je l’ai portée dans ma cabane. On a vécu de grands moments heureux. On sortait pus de la cabane, on vivait d’amour et d’éperlans pis le soir, elle chantait avec sa voix de cristal.» (p.48)
Un beau petit livre avec des photographies qui viennent comme ancrer les histoires dans la réalité. Heureusement qu’il y a encore des Michel Leblond qui transcendent notre époque. De quoi faire oublier certains épisodes sordides de l’actualité et la morosité qui colle à la vie publique. La parole y garde toute sa force et ses droits même si l’auteur a tendance à forcer un peu la note en tordant le cou de la langue à l’écrit. Ça peut passer devant un public, un peu moins à la lecture.

«La cordeuse de bois» de Michel Leblond est publié aux Éditions Trois-Pistoles.

dimanche 27 décembre 2009

Martine Desjardins travaille en orfèvre

Martine Desjardins a habitué ses lecteurs à des intrigues insolites. Elle prend plaisir à nous plonger dans des univers inattendus. Comme si l’écrivaine s’inspirait d’un thème ou d’un élément physique pour briser les limites de l’espace et du temps. Pensons à la glace, dans «Le cercle de Clara» qui devient le vrai sujet de ce roman remarquable. Le sel, dans «L’évocation», entraîne le lecteur dans un monde où les légendes et le fantastique se croisent.
Dans «Maleficium», nous pénétrons dans un monde sulfureux, marqué par le froissement des soutanes et les effluves de l’encens. Du moins c’est ce que laisse entendre la mise en garde signée par Antoine Tanguay, l’éditeur.
«De hautes instances religieuses ont déjà essayé, par divers trafics d’influence, d’empêcher la propagation de cet ouvrage et ont même proféré des menaces contre ceux qui en seraient complices. Il y a donc tout lieu de  craindre qu’en ouvrant le « Maleficium », le lecteur s’expose non seulement à la souillure de ces confessions immorales, mais au risque d’encourir l’excommunication. Qu’il se le tienne pour dit.» (p.11)
Le quatrième de couverture évoque un livre de l’abbé Savoie, prêtre sacrilège qui aurait trahi les secrets de la confession. Voilà qui fixe l’époque et l’univers que l’on souhaite évoquer. Pour ce qui est du sacrilège ou de l’excommunication, avouons que ces menaces n’effarouchent plus personne.

Confessions

Madame Desjardins, par le biais de huit confessions, nous entraîne dans des mondes qui présentent plusieurs similitudes. Elle se laisse porter par l’odorat, le goûter, le toucher et la vue. La recherche du produit pur, unique mène aux pires excès, à la folie et à la hantise. Comme si la transgression de certaines règles ne pouvait que provoquer folie et dérèglements du corps. Comme si les personnages de Madame Desjardins étaient punis par où ils pêchent.
«Je fus brutalement tiré de mon ravissement par une sensation de brûlure aux parois nasales. Je me reculai et trouvai l’air frais apaisant, mais d’une fadeur incommensurable. Le safran cramoisi venait de m’ouvrir les portes d’un monde païen que j’avais tout juste commencé à explorer et dans lequel je ne songeais qu’à replonger.» (p. 33)
Pas étonnant de retrouver des personnages en quête d’aromates qui marquent l’histoire occidentale et expliquent plusieurs conflits. La fameuse route des épices a hanté bien des têtes couronnées et permis à nombre d’aventuriers de repousser les frontières. Cette aventure n’est pas étrangère à la découverte de l’Amérique.
Nous voici sur les routes du monde, en Afrique, aux Indes ou en Asie. Les pénitents sont consumés par une passion brûlante et obsédante qui fait perdre la raison. La tentation vient presque toujours d’une femme ayant une certaine malformation des lèvres. Toute une imagerie du mal est explorée comme celui de la sainteté. La démarcation n’est pas très nette. Il faut aussi une bonne connaissance de tous les interdits et rituels de l’Église pour savourer ces histoires.
«Au début, je crus que c’était son sourire qui avait fait naître mon malaise -une grimace plutôt, fendue en plein centre par une cicatrice qui retroussait la lèvre supérieure et lui donnait l’apparence acérée d’un bec de tortue prêt à vous happer le doigt. Or, je m’en serais facilement accommodé, n’eût été la fixité du regard qui accompagnait – un regard scrutateur, impossible à soutenir, qui se fixait sur vous et ne vous quittait plus.» (p.109)
Tous sont punis, défigurés, marqués à jamais dans leur chair pour avoir défié l’entendement.
Martine Desjardins nous permet ne nous initier aux vertus des épices, à la fabrication des tapis d’Orient, à la chasse aux tortues qui procurent les écailles précieuses et tant recherchées qui servent à la fabrication des montures des lunettes entre autres.
L’écrivaine se montre une orfèvre unique. La lecture devient un plaisir d’esthète, une délectation pour ceux et celles qui adorent se lover dans une écriture somptueuse et ample. Peut-être qu’il en faudrait un peu plus parce que nous avons parfois l’impression que le sujet perd de son importance et que le plaisir de l’écriture fait foi de tout.
La romancière n’en demeure pas moins une écrivaine unique que l’on prend plaisir à surprendre et à suivre dans des mondes étranges, révolus  et insolites. Une écriture soignée, précise comme un bijou ciselé à la loupe.

« Maleficium » de Martine Desjardins est publié aux Éditions Alto.
http://www.editionsalto.com/catalogue/maleficium/

mardi 22 décembre 2009

Michaël La Chance réinvente la vie par le langage

Dans «(mytism) Terre ne se meurt pas» Michaël La Chance, poète et philosophe, questionne le langage et la pensée.
Les mots que nous utilisons sont sanglés comme les bêtes de trait. Notre langue domestiquée occulte la réalité. La beauté sauvage et anarchique du langage s’est perdue et il en résulte une pensée atrophiée. Bien pire, avec l’explosion des communications, le langage s’est vidé de toute substance. La parole tourne à vide, ne sert plus qu’à manipuler et étourdir.
«Le problème est là, nous n’entendons plus. Ceci en raison d’un déplacement de la présence ou d’un dépeuplement de la parole. Le langage est devenu cirque d’abstraction, dorénavant séparé des cycles fondamentaux, séparé des flux animés.» (p.9)
C’est cette richesse, cette profondeur première et porteuse de sens «dont nous avons perdu l’idée» qu’il faut retrouver.

Déconstruction

Michaël La Chance souhaite retrouver le monde du «Big Bang» langagier en quelque sorte.
«Nous devons revenir aux paysages, car ce sont des réservoirs psychiques, des tumultes d’émotions qui parfois nous traversent.» (p.9)
Pour saisir l’être, «…pour entendre les tigres sauvages en deçà de la muraille», il faut dire à la fois le pour et le contre, l’envers et l’endroit, le vide et le plein; pour s’arracher à ces étranglements et apprendre à  «…regarder la réalité en face, celle qui est en nous et celle qui est autour de nous. Interroger la réalité, inlassablement. Cela semble aller de soi, pourtant nous ne savons plus par où commencer: quelle meilleure façon de prêter attention à la réalité que de regarder le ciel et les montagnes, la rivière et la forêt, pour sentir le tangible de l’être. En tant qu’être, en tant que tangible.» (p.23)
Le philosophe progresse dans un texte qui occupe les pages de droite et le poète brandit la poésie sur la page de gauche. Comme s’il sollicitait les deux parties du cerveau pour voir le plus large possible.
Textes réflexifs où il questionne toutes les attaches qui étouffent la pensée et le langage; textes poétiques qui permettent des échappées lumineuses.
«Vous allez ça et là dans les blés
sans reconnaître leur ondoiement
d’hauteurs vides
vous allez ainsi
dans les champs de la parole
et piétinez le chemin du retour» (p.52)
Comme les lieux portent l’être, les textes et les lectures définissent des ancrages qui provoquent le sens.

Angoisse

Rien n’est pareil depuis un certain onze septembre. Nous ne voyons plus la vie de la même manière.
«Le Temps s’est renversé, il n’est plus décompte depuis l’Origine, mais compte à rebours vers la fin. Alors comment pouvons-nous nous leurrer d’être au monde comme auparavant ? Non, la Présence est entamée, la nature humaine s’en trouve modifiée.» (p.103)
La poésie permet de toucher le vrai, le réel, l’éternité si l’on veut.
«Matérialiser les mots, voilà ce qui nous permet de relancer les notions les plus abstraites dans le jeu du sens. Et de jeter les mos les uns contre les autres comme des osselets divinatoires. Alors nous pouvons passer la main sur la trame, nous touchons du doigt  les nœuds dans le filet. Nœud après nœud, le tissu maillé fait de nous sa proie.» (p.75)
La quête de l’homme est de créer une écopoïétique qui permet de redevenir un être vibrant. Cela ne peut se faire qu’ici, maintenant, sans tenter de se réfugier dans le passé ou de se propulser dans l’avenir. Le temps réel est ce présent glissant comme le flanc de la truite.
L’ivresse langagière de Michaël La Chance permet de croire que la vie est possible en autant que nous visitions des lieux, que nous acceptions les multiples êtres que nous sommes. Oscillant entre l’angoisse et l’optimisme, «Mytism» s’avère un formidable voyage de lecteur, un plaidoyer pour la vie.

«(mytism)  Terre ne se meurt pas» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.