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jeudi 21 septembre 2006

Elena Botchorichvili évoque la dérive de l’URSS

J’ai laissé filer quelques jours avant de revenir à ce roman pour le parcourir d’un souffle, dans une journée de septembre qui fait espérer que l’été repousse le gel et la froidure. Pour le déguster en plein soleil, au milieu des cris des corneilles qui se disputaient une épinette avec un pic.  Je n’arrivais pas à me défaire de «Faïna» d’Elena Botchorichvili. Une véritable hantise.
Je l’avais lu, par petites bribes, à Notre-Dame-du-Portage. Je l’ai refermé une première fois devant le fleuve qui semblait épuisé, laqué comme le dos d’un béluga.
Le bonheur de la lecture, c’est cela. Des images qui hantent et ne veulent plus vous lâcher. Des personnages qui continuent à danser au bout des phrases.
Elena Botchorichvili décrit des femmes qui tissent l’histoire, des hommes cassés par les guerres qui n’arrivent plus à être des humains. La grande dérive politique de l’URSS est subie par cette famille qui veut marier Fafotchka, la plus belle fille du pays.

Dire le pays

Un écrivain dit le pays qu’il porte en soi, explore un espace avec des mots et des phrases qui bousculent comme les vagues qui poussent sur les rochers à marée montante.
«Ils vivaient à Tbilissi, dans une vieille cour du quartier des Sololaki – trois étages de balcons en cercle, comme au théâtre, et un robinet au milieu. Le matin, les hommes, torse nu, sortaient fumer sur le balcon communautaire. Les femmes allaient chercher de l’eau au robinet, échangeaient des potins comme si c’étaient des devises étrangères, puis se rendaient en trottinant aux toilettes communautaires qui empestaient. Les cuisines aussi étaient communautaires. Toute la vie était communautaire. À chaque étage, on se disputait.» (p.14)

Communisme

«Faïna» plonge le lecteur dans l’URSS, le communisme de Staline et de Gorbatchev. Toutes les réformes ne changent guère les vies de Fafotchka, de sa mère Oliko et de sa grand-mère Noutsa.
«Noutsa Tsereteli, veuve de seize ans, s’était assise dans son fauteuil et y était restée sans bouger une journée ou un mois, selon les légendes. Puis elle s’était mise à chanter d’une voix de velours, comme le fauteuil : «Ne t’en va pas, toi, mon rossignol, la vie est triste quand tu n’es pas là» et elle avait refusé de marcher. (p.21)
Rien ne fait reculer Nadia, la tante débrouillarde et infatigable qui provoque des miracles et connaîtra une fin atroce. Les produits manquent sur les tablettes des magasins, mais la vie a ses exigences. Parce qu’un pays est fait de ces femmes et de ces hommes qui ont le désir de vivre vissé au corps et à l’âme, de croyances que pas une réforme ne peut briser.
«Au cours de l’année, un des fiancés est mort, quelque chose à voir avec la drogue. Mais on disait qu’il s’était suicidé par amour pour Fafotchka. C’est pour cette raison que son troisième mariage est tombé à l’eau. Les parents avaient peur de faire entrer dans leur famille celle qui rendait les hommes fous.» (p.69)
Le système politique s’écroule, la glasnost a été une illusion. Les plus argentés fuient à l’étranger et ceux qui restent doivent bâtir le quotidien et faire semblant que demain est possible.
«Même l’épicerie de la place Lénine avait fermé ses portes, car il n’y avait plus rien à vendre. Lénine, l’omniscient, tendait le bras devant lui, mais tout le monde pensait qu’il montrait un avenir radieux. Brejnev, comme toujours, se couvrait de médailles, comme un collectionneur dingue, et se traînait jusqu’à la tribune pour prononcer ses discours. Avec lui, tout le pays se traînait dans l’existence.» (p.70)
Élena Botchorichvili écrit en russe, mais vit à Montréal depuis quelques années. Elle a été journaliste en Union soviétique et présente ici son troisième ouvrage. Elle a publié «Le tiroir au papillon» et «Opéra» depuis 1999.
La traductrice, Carole Noël, a fait un travail remarquable en donnant corps à ce texte dépouillé, cette langue limpide, évocatrice, imagée et forte.

«Faïna» d’Elena Botchorichvili est publié aux Éditions du Boréal. 

mercredi 13 septembre 2006

Alain Gagnon: le monde à l'envers et à l'endroit

Alain Gagnon a toujours été fasciné par les phénomènes paranormaux. Tout au long de sa vie d’écrivain, il n’a jamais su dire non à la tentation de glisser, ici et là, dans ses ouvrages, des phénomènes inexplicables, des énigmes difficiles à cerner.
Que ce soit dans «Thomas K» ou dans «Le gardien des glaces», le lecteur se heurte à un événement qui le désarçonne. Particulièrement dans «Le gardien des glaces». Les fantasmes se bousculent entre les murs du relais qui accueille les voyageurs qui s’aventurent sur le lac Saint-Jean, entre Péribonka et Roberval, quand les glaces font un pont sur la grande étendue d’eau.
Louis Hémon y fait une apparition, un moine hirsute et des bêtes qui n’agissent guère comme des bêtes. Un incroyable roman de neige, de froidure et d’hallucinations qui subjugue le lecteur. Je le relis régulièrement et éprouve toujours le même plaisir. Un livre étonnant que l’on a oublié beaucoup trop tôt. Il serait temps de le redonner au public lecteur. Pourquoi on ne le rééditerait pas en format de poche, dans la collection BQ?
Il a poussé loin cette fascination dans «La langue des abeilles», un roman qui montre l’envers et l’endroit du monde.

Lieux connus

Alain Gagnon vient de publier «Le truc de l’oncle Henry». Je ne compte plus les titres depuis longtemps. Deux douzaines au moins. Il écrit sans prendre de répit, oscille depuis quelques années entre le Saguenay et Notre-Dame-du-Portage qu’il fréquente en été.
Ce nouvel ouvrage secoue les grandes certitudes qui assoient l’évolution du monde et la naissance de l’humanité.
Le familier d’Alain Gagnon reconnaîtra son «pays d’écriture». Saint-Euxème, la rivière la Louve, le lac Bleu et la Calouna. Cet écrivain natif de Saint-Félicien s’est forgé un pays littéraire, à la manière de William Faulkner. Un monde qui a ses ancrages au Lac-Saint-Jean, pas très loin de l’Ashuapmushuan et de la rivière aux Saumons. Le familier des lieux y trouvera plein de clins d’œil.
«Bien au chaud dans sa fourgonnette, Olaf longe la Calouna qui, féline, s’étire avant de s’endormir dans cette fin d’après-midi de septembre. En aval, la masse sombre des îles. Lacouture et lui y ont chassé le canard dans leur jeunesse. Siteu en possède une, de ces îles. Comme si, déjà, il n’avait pas assez de terrain, songe Bégon.» (p.39)
Nous ne retrouvons peut-être pas la magie de «Sud» ou de «Thomas K» avec «Le truc de l’oncle Henry» mais quel ouvrage captivant. L’écrivain s’amuse et le lecteur y trouve son compte. On reconnaît le ton, la musique interne et la couleur de l’écrivain.
Alain Gagnon ajoute ici une page à son monde étrange, souvent cruel et explore d’autres méandres de la pensée. Il faut juste lui faire confiance et accepter de le suivre.

Enquête

Des phénomènes étranges inquiètent la population de Saint-Euxème. Des disparitions, des morts, des attaques sauvages et inexplicables se succèdent depuis que des travailleurs construisent un barrage dans la gorge des Conscrits. Des êtres étranges et d’une force peu commune terrorisent les habitants.
Le chef de police, Olaf Bégon, enquête, mais par quel bout empoigner ces phénomènes qui échappent à toutes les explications. Bien sûr, Alain Gagnon noue les ficelles, place les éléments du puzzle, multiplie les points de vue, pousse le lecteur tout doucement dans un monde fantastique.
Un véritable thriller, un roman policier qui emprunte des sentiers peu connus. Bien sûr le chef Bégon réussira à déjouer tout le monde, à percer tous les secrets en plus de trouver l’amour.
Alain Gagnon échafaude une œuvre qui sort de l’ordinaire depuis plus de trente ans même s’il se fait fort discret. Ce travailleur acharné croit surtout au travail bien fait et que l’écrivain doit, avant tout, écrire.
Une œuvre impressionnante qui prend la couleur de la poésie et du conte à l’occasion. Je me promets de le parcourir en une seule et grande course un de ces jours, histoire de goûter à la quintessence de cette entreprise originale qui fait en sorte que la littérature au Québec existe.
Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean reconnaît, une fois de plus son immense talent, fin septembre. Il s’affirme cette fois en poésie avec «L’espace de la musique» après avoir remporté le prix fiction-roman à deux reprises avec «Sud» et «Thomas K».

«Le truc de l’oncle Henry» d’Alain Gagnon est publié aux Éditions Triptyque. 
http://www.triptyque.qc.ca/auteurs/aut6.html

jeudi 7 septembre 2006

Serge Bruneau et la vie de couple

Les maisons d’édition se multiplient au Québec. Trop répètent certains. Un lecteur peut plonger dans les parutions de XYZ Éditeur ou de Boréal et être occupé toute l’année. Quelques succès de la littérature mondiale, un détour chez Leméac et il aura lu un livre par semaine.
Je devrais écrire lectrice. Parce que ce sont les femmes qui lisent. Les hommes sont occupés ailleurs, à des «choses sérieuses» comme ils affirment dans les enquêtes. Pourtant la littérature fait comprendre la vie qui s’étiole, les mirages de la consommation et débusque les stéréotypes. Lire des romans ferait peut-être comprendre à ces mâles qu’il est bien futile de s’accrocher au pont Jacques-Cartier pour revendiquer leur paternité. «L’enterrement de Lénine» de Serge Bruneau leur apprendrait peut-être qu’il faut d’abord l’assumer cette paternité.

Le rêve

Alicia et Mathieu ont connu l’amour fou et la musique. Assez pour croire qu’ils pouvaient en vivre. Charlotte, leur fille, a quinze ou seize ans et déteste sa mère qui a toujours cru que tout était possible, allant d’un homme à un autre. Mathieu fait des chansons pour les vedettes du jour. Charlotte le rejoint dans sa maison de banlieue après une autre querelle avec Alicia. Ils doivent s’apprivoiser.
Le roman se présente comme un récit à deux voix, un duo qui joue en harmonie. Charlotte raconte sa vie et Mathieu en fait autant. Un Mathieu qui répond toujours présent, incapable de s’empêcher de courir quand Alicia lui fait signe. Une séparation mal cicatrisée.
Charlotte se méfie et ne veut surtout pas répéter les gestes de ses parents. Elle surveille les voisins mal assortis. Simone a beau être psychologue, elle devient aveugle devant son mari Adam qui baise à gauche et à droite.
«J’étais Charlotte et je savais que je surmonterais cette erreur sans m’accabler jusqu’à la fin des temps. J’étais cette Charlotte qu’ils avaient plantée dans ce monde qui était le leur et qui ne m’avait pas encore gobée. Et qui, me jurais-je, ne me réduirait jamais à son ordre où les zigotos sont rois.» (p.143)

Quête de sens

Plus rien ne semble vouloir unir les hommes et les femmes dans cette quête frénétique du plaisir. Charlotte fait en sorte de ne pas se faire piéger, tente de trouver un sens dans le quotidien qui s’affole souvent comme girouette au vent.
«J’étais la fille et elle, c’était la mère pliant l’échine sous les coups répétés du temps et des sales types qui le meublent. L’égalité était rompue. Je détestais ma mère. Je ne parle pas de haine ni d’aversion, je parle de l’envers de l’amour. De cette émotion qui a refusé de naître et donc, forcément, de s’exprimer.» (p.13)
La vie arrange toujours les choses, même mal. La fille finira par s’accommoder de sa mère.
Charlotte cherche à se débarrasser de son enfance. L’érable qui a marqué ses premiers pas et qu’une tornade a couché au sol devient un symbole. Elle le débite à la tronçonneuse pour mettre ses souvenirs en morceaux, s’acharne jusqu’à ce qu’elle puisse avancer dans la vie avec confiance. Mathieu bricole de son côté pour trouver la paix. Chacun a sa manière de faire surface.
Bruneau décrit des femmes et des hommes dans leurs hésitations et leurs déchirements. Les élans et la méfiance de la jeunesse devant la sérénité que les hommes et les femmes finissent par trouver après les grands feux qui laissent des cicatrices.
Un roman rafraîchissant, intimiste, avec juste ce qu’il faut de cynisme. Rien n’est facile, mais les personnages de Bruneau s’en sortent. Ils ont du ressort. Une belle tendresse, un humanisme de bon aloi que l’on découvre à chacune de ces pages bien senties. Un plaisir qui passe par une écriture forte.
Un écrivain étonnant, bien plus que ces vedettes de la littérature jetable qui se disputent les manchettes et une chaise dans les émissions de variétés. Dire qu’il a fallu que Serge Bruneau écrive un troisième roman pour que je le remarque. «L’enterrement de Lénine» m’a donné le goût de remonter à «Hot Blues» et «Rosa Lux et la vie des anges».

«L’enterrement de Lénine» de Serge Bruneau est paru chez XYZ Éditeur.

mardi 5 septembre 2006

Élisabeth Vonarburg publie un second volet

Élisabeth Vonarburg vient de publier le second volet de sa fresque «Reine de Mémoire» qui comptera quatre tomes de 600 pages.
«Le Dragon de Feu» arrive à la suite de «La Maison d'Oubli» paru au printemps dernier. Le plan initial de Mme Vonarburg est de publier deux fois par année. Une cadence infernale. Elle en est donc à mi-parcours de ce projet ambitieux qui revoit l'histoire européenne et occidentale. Une plongée dans le passé pour modifier certains événements avec les conséquences que l'on peut imaginer. Le lecteur arpente une terre connue tout en découvrant un monde qui s’appuie sur d'autres prémices. Une intrigue qui pousse du côté du roman philosophique, du récit d'aventure et du pur fantastique.

Famille

Nous retrouvons avec plaisir la petite Julianne, les jumeaux Senso et Pierrinno et Grand-père. Grand-mère vit en recluse et reste mystérieuse.  Il y a aussi l'autre monde, l'ancêtre Gilles qui fait retourner trois ou quatre générations en arrière. Les deux limites de la famille. Ce «mal-détalenté» vit en exil dans un pays qui pourrait être l'Asie. Un pays inventé où les dragons ne sont pas que symboliques. Magie, talents, esprits sont au rendez-vous.
L'imaginaire de Vonarburg demeure étonnant et séduisant. Les  rencontres et les discussions des Encyclopédistes par exemple sont des  moments de bonheur. Toute la partie européenne de ce roman s'ancre plus dans le monde réel et retient mieux le lecteur.
«Le vieux temps pèse sur le temps nouveau de tout son poids d'oubli, d'interdit ou de silence. Ceux qui devraient savoir ne savent pas parce qu'on ne leur a pas appris- on ne leur a pas appris parce qu'on ne savait plus. Et ceux qui savent n'en parlent pas parce qu'ils n'osent pas: un autre  édit règne, qui n'a rien à voir avec celui de la Reine folle, «la
tradition» dit Grand-père. Il ne faut pas en parler. Cela ne se fait pas. On s'attire des silences désapprobateurs, des gronderies, des punitions. Et l'on apprend à se taire.» (p.33)
Héritages, silences, tabous, l'histoire est ainsi faite.

Mondes parallèles

Élisabeth Vonarburg construit ses mondes avec un bonheur inégal.
«Quant aux autres, pour l'instant, tout ce que l'on peut faire, c'est prier avec ferveur pour eux. Et leur offrir tout ce qui pourra être accompli de bon et de grand en cette terre nouvelle. Il est le seul survivant du naufrage, il est le seul désormais à savoir que le Pays des Dragons existe  bel et bien. Et qu'il y règne une magie complètement différente de tout ce qu'on a pu rencontrer ailleurs.» (p.237)
La magie, les talents, les pouvoirs permettent à certains d'assumer une forme de domination et de contrer les ennemis. Vonarburg insiste beaucoup trop sur  ces talents, les pouvoirs de la magie et les rôles des Natéhsin et des Xhélin. À force de trop vouloir préciser, elle finit par tout embrouiller.
Peut-être que Vonarburg publie trop rapidement aussi. Il aurait fallu resserrer un peu et pousser plus loin l'écriture. Certains passages grincent un peu aux encoignures.
«Panthère a bondi d'une de ses cachettes et les précède, preste découpe noire et feu, dans le couloir puis dans la tonnelle-appentis à la lumière vitreuse, dansant à la porte de la serre encore mélodieuse du passage de Jiliane, tandis qu'ils retirent leurs souliers pour mettre les sandales.» (p.526)
Madame Vonarburg nous a habitués à plus de tonus.

«Reine de Mémoire 2. Le Dragon de Feu d’Élisabeth Vonarburg est paru aux Éditions Alire.
http://www.alire.com/Auteurs/Vonarburg.html

jeudi 31 août 2006

Serge Mongeau ne cesse de questionner

 Serge Mongeau est devenu indissociable d’«Écosociété», la maison d’édition qu’il dirige. Il y publie des essais portant sur l’environnement, la pollution, la vie et les dangers qui menacent la planète. Une maison où la réflexion guide toutes les activités. Il est l’auteur de «La simplicité volontaire», un succès qui ne vieillit pas depuis sa parution.
«Toute ma vie, j’ai été en marge de la société sans être vraiment marginal. J’abhorre cette société de consommation tout en appréciant certains de ses aspects. Je suis révolté par la disparité des conditions humaines et pourtant j’accepte de vivre bien confortablement. Je trouve dangereuse l’influence de la télévision- au point de ne plus avoir d’appareil depuis plus de quinze ans- mais j’accepte encore d’y être interviewé. Depuis la fin de mes premières études universitaires, je n’ai jamais accepté de travailler «pour gagner ma vie» et cependant je n’ai jamais manqué ni de l’essentiel ni même du superflu.» (p.11)
Ce fidèle ne rate aucun Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Souriant et discret, effacé même dans son stand, il est rarement invité aux tables rondes où l’on tente de remodeler la société. Pourtant, Mongeau le questionne ce monde depuis des années. Ce fut sa direction de vie depuis qu’il a quitté les scouts où il a appris la solidarité, la nature et la fidélité à ses engagements. Jamais il n’a dérogé à cette manière de penser.

Médecine

Fondateur des «Chantiers de Montréal» où l’on aidait les plus démunis en s’inspirant de l’abbé Pierre, l’étudiant en médecine amorçait alors une vie où les convictions et les idées auraient la priorité. Le quartier Saint-Henri où il s’installe, avec sa jeune épouse, l’occupe jour et nuit. Étrangement, il amorce son «travail social» dans l’univers de «Bonheur d’occasion» de Gabrielle Roy. La littérature n’est jamais loin.
Avec des amis, il veut transformer le Québec et donner une chance à tout le monde, qu’importe le lieu de sa naissance et de ses ressources financières. Il se retrouve naturellement au «Centre de planning de Montréal», candidat indépendant pour le Parti québécois dans Taillon, en 1970. René Lévesque et son parti se méfient de cette tête de rebelle. Il multiplie les interventions dans les médias, écrit d’innombrables lettres et chroniques portant sur la sexualité et la médecine. Il est de toutes les causes qu’il croit juste et équitable, bouscule les médecins et leurs façons de soigner le corps comme une mécanique, réfléchit et écrit. Il est amené à faire des choix déchirants, se met à dos des gens, mais reste fidèle à ses convictions.
Il décide de retourner aux études après avoir abandonné la médecine même s’il est père de trois enfants. Il rédigera sa thèse au Chili tout en suivant des cours. Il sera témoin de l’élection de Salvador Allende et du coup d’État qui met Pinochet au pouvoir avec la complicité des États-Unis. Un moment où l’histoire bascule. Serge Mongeau tente par tous les moyens d’aider les gens que l’on traque de façon sauvage.
«Il y a au Chili des milliers de personnes qui se trouvent en danger de mort et qui cherchent par tous les moyens à sortir du pays. Pour ce faire, elles n’ont pas beaucoup de choix, les frontières étant fermées; il ne reste que la solution de se réfugier dans une ambassade pour d’abord survivre et ensuite pouvoir partir.» (p.203)
Le Canada refuse d’accueillir les réfugiés à son ambassade de Santiago. Mongeau proteste et écrit dans les journaux du Québec.

Modèle

Serge Mongeau est un héros méconnu du Québec que l’on devrait inviter dans les écoles pour qu’il parle aux garçons un peu perdus, leur explique les valeurs qui font qu’une vie se transforme en aventure.
Une vie admirable même si j’aurais aimé que le militant prenne un peu de recul face à sa vie trépidante et donne un éclairage contemporain à sa longue marche. Un modèle d’intégrité intellectuelle. Il faudrait offrir «Non, je n’accepte pas» à Jean Brault et Charles Guité pour qu’ils comprennent que les entreprises et l’État ne sont pas des auges où l’on peut s’empiffrer. Encore vaudrait-il qu’ils lisent!

«Non, je n’accepte pas» de Serge Mongeau est publié aux Éditions Écosociété.

samedi 19 août 2006

Clara Ness évite les leurres du succès

Une véritable salve d'applaudissements pour Clara Ness en 2005, lors de la parution de «Ainsi font-elles toutes». Chantal Jolis, à Radio-Canada, n’avait pas assez de mots pour décrire son enthousiasme. Et Dieu sait qu’elle ne manque pas de vocabulaire d’habitude.
Son premier roman était assez remarquable, il faut le dire. Un court récit qui décrit les amours obsédantes d’une jeune femme, une étudiante en médecine. Elle aime Paul et Ruiz tout en se payant une aventure avec Agnès. Il y a aussi les rencontres dans les bars qui surgissent comme des collisions.
Une quête frénétique de jouissance, des amours qui broient le corps et l’âme, brûlent la vie et poussent hors du temps. Une écriture forte, des petites phrases comme des fléchettes qui happent le lecteur. Particulièrement intelligent, halluciné et troublant.
J’ai relu ce premier ouvrage avant d’aborder «Genèse de l’oubli», le nouveau roman de Clara Ness. J’ai envie d’applaudir. L’écrivaine a quitté cet univers de sexualité pour s’attarder à un homme et une femme qui cherchent à rompre avec leur enfance. Il était à peu près certain qu’en faisant ce choix, les commentaires seraient négatifs. Elle a résisté. Bravo!

Ruptures

Hadrien vit à Québec avec Ariane. Il a fui la France, un père qui ne pensait qu’à sa carrière de comédien et terrorisait sa famille. Il a voulu la grande rupture, celle qui fait quitter un pays et se perdre dans l’anonymat de l’étranger.
«D’abord, partir. Ensuite, vivre. C’est tout. C’est une question de survie. Je ne peux pas t’expliquer. J’étouffe ici. Et là-bas, c’est plein de promesses. J’ai vingt ans, je ne connais rien de la vie. On ne voit rien en France. On ne sait rien. On est à l’abri de tout. Tout est mort. Paris est une ville finie.» (p.54)
Ariane, une Québécoise, n’a fait que glisser d’un quartier à un autre dans sa tentative de fuite. Elle s’est éloignée de Sainte-Foy et de ses parents qui s’effacent dans cette banlieue en n’imaginant que leur confort un peu fade.
«Elle avait grandi dans ce que l’Amérique avait inventé de plus laid, de plus médiocre, de plus odieux, l’endroit du plus mauvais goût de la terre, le plus violent et le plus morbide : la banlieue. Mais elle savait bien qu’elle irait, enfant modèle tout droit sortie de la comtesse de Ségur, qu’elle retournerait demain dans sa famille enchantée qui habitait cette banlieue confortable et sûre.» (p.105)
Le père d’Hadrien meurt et il arrive ce qui doit arriver. Même s’il s’était juré de ne jamais remettre les pieds en France, Hadrien répond à l’appel de sa mère. La famille, on ne l’oublie pas, surtout quand on devient père d’une fillette.
Quête de sens

Ariane et Hadrien cherchent une nouvelle identité après avoir été écrasés par leurs parents. Au volant de son taxi, il sillonne Québec comme s’il allait se surprendre au coin d’une rue. Ariane étudie au conservatoire pour devenir comédienne. Lui va d’un client à un autre, elle du drame au rire.
Beaucoup de symboles tissent ce texte. Le taxi toujours en maraude, la maison de massage qui permet à Ariane de retrouver la joie du toucher. Hadrien, sous les mains d’Ariane, prend conscience de son corps. Un univers de dérobades, de glissades, ce qui n’empêche pas le couple de trouver un certain équilibre.
«… Ils s’offrirent l’un à l’autre dans cette ville qu’ils connaissaient à peine, ils étaient jeunes, ils se réveillèrent dans la lumière oblique du matin, ils entendirent les camions de livraison qui déchargeaient leurs caisses de bières dans les bars avoisinants, enveloppés dans cette luminosité blanche de l’hiver, dans ces soleils amassés qui leur coulaient dans les veines. Vers midi ils reprirent le chemin de Québec, là où les eaux se rétrécissent.» (p.116)
Un roman bien fait et bien écrit. Clara Ness ne sera pas l’auteure d’un seul livre. Le lecteur découvre une écrivaine qui s’affirme avec bonheur.

«Genèse de l’oubli» de Clara Ness est publié chez XYZ Éditeur.