vendredi 21 octobre 2016

Jean Désy se laisse emporter par sa pensée nomade

JEAN DÉSY AIME le Nord et en a souvent parlé dans ses romans et ses récits. Les habitants de ces lieux qui ont su s’adapter à un climat particulièrement rude le fascinent. Il en a tiré une manière de vivre, une façon de voir qui lui procurent des « vibrations d’âme ». Certains lieux vous emportent et permettent, peut-être, d’atteindre une autre dimension quand le ciel multiplie les étoiles, quand dans le désert le silence devient palpable. Dans Amériquoisie, Jean Désy regroupe des textes écrits au fil des ans, réfléchit à l’esprit nomade, le monde autochtone et métis qui pourrait changer notre regard et nos façons de vivre en cette terre d’Amérique.

Le terme Amériquoisie témoigne de la quête du pays « qui n’est toujours pas un pays », d’une patrie que l’on ne cesse de chercher et d’inventer, de trouver et de perdre, d’une réalité qui reste au cœur du devenir de tous les résidents du Québec. L’histoire a cherché de nouveaux qualificatifs pour dire cette terre d’Amérique, la présence des Européens francophones et des Autochtones. Il y a d’abord eu le terme canadien qui désignait les premiers Blancs à vivre au Canada. Après la Conquête, ce fut les Canadiens français pour différencier la présence française de celle des anglophones. Au début des années soixante, le terme québécois est apparu pour désigner les habitants du territoire du Québec. Faut-il trouver un autre nom pour englober les nations indiennes qui vivent ici depuis des millénaires ?
Gilbert Langevin, dès les années 1970, parlait d’Amériquois dans sa poésie. Un poème tiré de son anthologie PoéVie témoigne de sa pensée.

Amériquois
avec ou sans fusil
par gestes et par cris
plaise à tous que notre vie
donne aux racines
suprématie

Jean Désy reprend le terme et en donne une définition qui correspond à cette volonté de dire le Québec de maintenant dans toutes ses dimensions.

L’Amériquoisie, c’est le pays rassemblant les gens des Premières nations comme ceux qui vinrent en terre d’Amérique après Christophe Colomb… … On peut imaginer que l’Amériquoisie pourrait représenter le territoire de tous les Québécois à travers l’Amérique du Nord. (p.6)

Une idée inclusive pour employer un mot à la mode qui englobe tous les résidents du Québec, surtout les nomades qui parcouraient cette terre du nord au sud, de l’est à l’ouest, avant l’arrivée des Européens.
Jacques Cartier, dans son journal, n’arrête pas de baptiser les lieux qu’il découvre en remontant le fleuve Saint-Laurent. C’est le début de la dépossession pour les Autochtones. Les Européens feront partout la même chose, en Amérique ou en Asie, convaincus que le monde leur appartenait.

AUTOCHTONES

Désy est fasciné par les pays du nord qui ont longtemps été négligés. Ils ont fait fantasmer des écrivains comme Yves Thériault dans Agaguk, ou encore Paul Bussières dans Mais qui donc va consoler Mingo ? Un pays rêvé, un pays qui englobe tous les vivants de ce territoire qui est le dernier refuge de la vie sauvage.

Le métissage, c’est l’union physique de deux personnes de groupes ethniques différents qui permet la venue au monde d’un être neuf, issu de deux univers, mais fraîchement ouvert à un univers plus large, plus libre, plus aéré. La métisserie, c’est le métissage, mais culturel, affectif, spirituel, idéel. (p.7)

Ce métissage a été important au début de la présence française. On encourageait des jeunes à faire des séjours prolongés dans les tribus indiennes pour y apprendre la langue et pratiquer le métier de « truchement ». Ce fut la naissance des coureurs des bois qui ont choisi souvent de vivre à l’indienne, adoptant leurs mœurs et en épousant des autochtones. Ils devenaient « des ambassadeurs » entre les nombreuses tribus qui se partageaient le territoire et les Français qui faisaient le commerce des fourrures. Ils explorèrent l’Amérique du Nord, parcourant les fleuves et les rivières, étendant les frontières de la Nouvelle-France à la grandeur du continent.
Le cinéma américain nous a montré souvent des chariots avançant lentement dans les plaines de l’Ouest. Les migrants se butent souvent à des tribus indiennes avant de s'approprier leurs terres. On oublie que ces vallées ont été parcourues par les coureurs des bois francophones, formant une nouvelle société métisse où le français et les langues indiennes se mélangeaient. Ce personnage du coureur des bois a été biffé de nos manuels d’histoire, étant mal vu par le clergé qui imposait la vie sédentaire pour mieux contrôler ses ouailles.
Une époque fascinante que Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque ont fait revivre dans Elles ont fait l’Amérique ou dans la série radiophonique De remarquables oubliés animée par Bouchard. De véritables héros qui ont exploré un continent. Je pense à Émilie Fortin, originaire d’Alma, et Nolasque Tremblay de Chicoutimi qui ont marché l’Amérique du Nord. Émilie Fortin a été la première femme blanche à vivre au Klondike. 

MAINTENANT

On peut rêver devant les exploits des coureurs de bois et des découvreurs, mais qu’en est-il aujourd’hui ? Un courant de pensée voudrait que le Québec soit une terre métisse. Des films, des essais tentent de prouver cette réalité. Des regroupements de métis demandent d’être reconnus par les gouvernements. John Saul, dans ses ouvrages, tente de démontrer que le Canada a hérité de la pensée indienne par sa manière de voir la réalité et de régler les conflits. La fameuse pensée circulaire, une certaine volonté de conciliation et la recherche du consensus. Les Casques Bleus seraient nés de cet esprit. On peut ajouter au Québec notre désir de vivre pendant la période d’été près de la nature, notre passion pour la chasse et la pêche, le goût du voyage qui viendrait de notre héritage nomade.
Je veux bien que l’on fasse tout pour que les Autochtones retrouvent leur pays, qu’on abolisse les frontières des réserves et qu’ils deviennent des citoyens de première instance dans le Plan Nord qui fait saliver les exploiteurs du Sud. Je m’inquiète cependant. Le Plan Nord risque de détruire un dernier refuge. Les entreprises vont là pour s’approprier les ressources naturelles, raser les forêts, détruire souvent l’habitat des autochtones et des animaux. Un plan d’invasion qui va mener à la destruction de territoires fragiles. Les habitants de ces pays n’ont pas été consultés, il va sans dire. Comme quoi les erreurs historiques se répètent.

ESPRIT MÉTIS

Il est vrai que les Innus s’expriment de plus en plus, particulièrement dans la poésie et la chanson. Tout comme certains le font dans l’Ouest canadien et en Colombie-Britannique. Je pense à Thomas King, un romancier et essayiste remarquable, qui décrit la réalité révoltante des peuples premiers.
Ces voix autochtones expriment leur réalité et aussi la nôtre, forcément, après plus de 400 ans à vivre sur un même territoire.

Je suis d’une Amérique poussée vers ses côtes les plus déchiquetées. Cela me force à travailler dur, à me battre avec mes rêveries les plus bizarres, les plus délirantes et les plus créatrices. Je rêve d’une métisserie amériquoise. Je rêve d’une Amériquoisie que j’habiterai avec passion. Et quant à l’anglo-saxonie mondialisante contemporaine, je me dis qu’avec les amours et les amis, nous finirons bien par l’amadouer sans y sombrer tout à fait. (p.37)

ESPRIT NOMADE

Jean Désy jongle avec l’esprit nomade, ce désir de départ, de mouvement qui est la vie. Cette envie d’aller marcher sur les glaciers, de voir la toundra, de grimper au sommet des montagnes, de sentir sur sa peau l’air chaud de la Vallée de la Mort, d’écouter ce pays oublié qui a laissé des traces partout dans l’Ouest américain.

Le ciel des déserts, qu’ils soient chauds et faits de sable, ou froids, comme la toundra arctique, invite à la contemplation. Comme si l’aridité des lieux ainsi que l’absence quasi totale de végétation commandaient un mouvement de repli vers le « ciel intérieur », pour immédiatement retourner vers le « ciel extérieur », les deux  « cieux » rassemblés favorisant la contemplation. Les déserts furent de tout temps des lieux de prédilection pour les anachorètes. (p.64)

Je me souviens d’un arrêt à La Grange en Géorgie. Un serveur ne savait pas ce que signifiait le nom de sa ville. Il était tout étonné d’apprendre que c’était un nom français et que des Francophones s’étaient installés là avant les Anglophones. Des noms comme des épitaphes que peu d’Américains savent lire de nos jours.
À vrai dire, je me méfie un peu de ceux qui se disent métis et réclament des droits. Je me méfie parce que ce peut être une autre manière de spolier les Autochtones. On connaît les débats où des métis réclament des territoires de chasse et de pêche, veulent participer aux négociations avec les Innus dans l’Approche commune. Il me semble que cela risque de chambouler tout un processus de reconnaissance.

BONHEUR

Jean Désy livre ici des pages magnifiques sur son bonheur de parcourir le Grand Nord, d’oublier les frontières sous un ciel qui semble se rapprocher de la terre pour mieux l’envoûter. Il vibre quand il s’attarde dans les déserts de l’Ouest américain. J’ai connu des moments fabuleux en Arizona, sur une mesa, ou encore en traversant la Vallée de la Mort. Nul ne sait ce qu’est le silence, s’il ne s’est pas arrêté au milieu de cette vallée où le sel fait des plaques blanches sur l’horizon. Un silence qui envoûte, vous transporte dans une dimension capable de vous effaroucher.
Jean Désy est un rêveur qui n’aime pas les frontières. Je le comprends parce que j’ai bien du mal avec les enfermements. L’Amériquoisie reste à définir. C’est peut-être une étape vers la reconnaissance du pays du Québec. On peut se sentir chez soi dans l’Ouest américain, mais les coureurs des bois n’y ont fait que passer, y laissant des noms que peu de gens savent décrypter maintenant. L’écrivain et poète rêve l’utopie pour qu’elle advienne, mais c’est une approche individuelle où il trouve sa pleine satisfaction dans des lieux peu fréquentés, face à une nature qui fait croire qu’il y a peut-être une autre dimension à la vie.


AMÉRIQUOISIE de JEAN DÉSY est paru chez MÉMOIRE D’ENCRIER.

PROCHAINE CHRONIQUE : PASSION CHRONIQUE de JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU publié aux ÉDITIONS TROIS-PISTOLES.