Les massacres, les prises d’otages, les exécutions font partie de
notre réalité avec les frappes aériennes, les bombardements et les opérations
des commandos terroristes. L’attentat contre l’équipe de Charlie-Hebdo a laissé le monde dans la stupeur. Pendant ce temps,
on a presque ignoré le massacre perpétré par le groupe islamiste Boko Haram au
Nigéria. On parle de 2000 victimes. Au Proche-Orient, la guerre fait partie du
quotidien depuis des générations. Les enfants n’ont connu que les affrontements
et des bombardements du matin au soir, les bombes qui illuminent le ciel comme pour
le plus beau des spectacles.
Ghayas
Hachem est né à Beyrouth et vit à Montréal depuis des années. Il a vécu la
guerre dans son enfance, les bombardements et Play Boys, son premier roman, témoigne de cette réalité de façon
troublante. Un monde qui m’a rappelé L’orangeraie
de Larry Tremblay, un roman qui rafle des prix depuis sa parution et qui pousse
notre réflexion vers ces enfants que l’on mobilise pour commettre des actes
terroristes.
Ref’at
vit avec son frère Ramzi et sa mère à Beyrouth, une ville devenue un véritable
champ de bataille. Le père a disparu et on ne sait s’il est vivant ou mort.
J’ai toujours senti et su que mon père était
quelque part, mais il ne fallait pas que je donne l’impression de vouloir en
savoir plus. Les larmes coulaient aussitôt sur les joues de ma mère. Son visage
se fermait. Il n’était pas mort pour autant. Le noir que maman portait depuis
moins d’un an était pour sa mère. (p.34)
Les
hommes vont et viennent dans ces pays avec la mort qui colle à leurs talons. La
guerre est là, lointaine, à côté dans l’immeuble. Elle devient un spectacle pour
les enfants.
C’est là que mon cousin et moi observions
ensemble les batailles nocturnes sur la montagne. Les missiles s’y abattaient,
violets, bleus, jaunes, orange. Et, comme des oiseaux migrateurs soudain pris
de panique, les éventails de balles saupoudraient les villages lointains. Les
sons étaient trop faibles. Ils avaient le sérieux de pétards d’enfants. (p.35)
Cow-boy
règne au rez-de-chaussée. Ce combattant mène une étrange guerre, interroge des
prisonniers, les torture, les élimine avant de recommencer. Et il y a ces autos
rutilantes que l’on prend à l’ennemi et que l’on astique pour montrer sa force
et sa virilité.
Les
cousins s’inventent des aventures avec les voisines et des amours. Ils en sont
à cet âge. La mère de Wissame pleure le soir et se plaignant de son mari qui la
bat et la viole. Tout bascule quand Ramzi invente un nouvel état qui va régner
sur tous les autres. Les jeux prennent l’étrange contour de la réalité où des
groupes armés cherchent à éliminer l’autre. Ramzi se nomme chef suprême et s’impose
par la force.
Quand Ramzi nous remarqua enfin, il se leva
instinctivement et monta sur la chaise. Il demeura immobile un instant. Puis il
se mit à lire d’une voix disgracieuse et ferme, en regardant au loin,
par-dessus nos têtes, avec un air sombre, et comme si son regard ne se heurtait
à aucun mur. « Mesdames et messieurs, gouverneurs de la terre et leurs
estimables ministres, je m’adresse à vous en présence de vos états-majors pour
vous faire part d’une déclaration historique qui changera le visage de ce monde
pour toujours. Après la déclaration que vous entendrez dans quelques instants,
il faudra corriger tous les atlas. Aujourd’hui, la carte du monde change à
nouveau. Tout comme elle changea après les cataclysmes majeurs qui nous firent
passer d’une ère à une autre. Aujourd’hui, je proclame la fondation d’un
nouveau pays : l’État des Patriarches. » (p.76-77)
Wissame
ne se laisse pas faire, surtout avec un père qui exerce terrorise son foyer et
traite sa femme comme une esclave.
Jeux tragiques
Les
jeux se transforment en confrontations d’une cruauté dérangeante. Ref’at se
range du côté de son frère et le cousin est battu cruellement. Les enfants reproduisent
cette guerre qui déchire la ville, transforme les hommes en fauves qui
n’hésitent pas à faire des adolescentes des esclaves sexuelles.
Ref’at
rend visite de plus en plus souvent au Cow-boy, est initié à la sexualité et à
la violence, manipulé et poussé vers des actes terribles.
« Je veux juste que tu remarques l’origine
des balles. Elles sont américaines. Ce ne sont pas les nôtres. Nous tirons
normalement des soviétiques. Ça te montre que non seulement on a enconné leurs
mères, à ces Américains (c’est ainsi que le Cow-boy désignait les forces du
camp adverse), mais on les a enconnées avec leurs propres zobs. On leur a coupé
ensuite les zobs pour les leur faire manger, pour leur fermer la gueule, à ces
salauds. Dans nos réfrigérateurs, juste là-haut, dit-il en pointant le doigt
vers l’immeuble, on a apporté leurs cadavres et ils ont fini par les dégueuler,
leurs zobs. » (p.90-91)
Ghayas
Hachem décrit l’horreur qui pousse des êtres aux pires exactions. Des individus
décident de la vie et de la mort des autres, éliminent un vieil homme qui tient
un petit commerce avec sa femme. Le couple a juste le malheur d’exister. Les
enfants grandissent dans cette violence et les affrontements.
Un
texte bouleversant, souvent terrible, particulièrement inquiétant et actuel
quand on sait qu’un commando pakistanais est entré dans une école pour tuer 140
enfants. Que dire de cette fillette lestée de bombes que l’on a fait exploser
dans un marché…
Nous
vivons en barbarie.
Ce
roman décrit une réalité inacceptable, montre comment on forme des tueurs qui se
font exploser dans une foule en espérant faire le plus de victimes. Cette folie
menace l’avenir de l’être humain. Sommes-nous en train de basculer dans la
démence ? La guerre se justifie maintenant par le plaisir de massacrer le plus d’innocents.
Play Boys est une grenade qui risque d’exploser entre vos
mains. Nous savons, nous connaissons, mais nous n’aimons pas nous attarder,
sauf quand la mort frappe dans un pays comme la France. Un texte qui m’a tordu
l’esprit et l’âme. Notre époque n’est-elle capable que d’aller de plus en plus
loin dans l’horreur ?
Play Boys de Ghayas Hachem est paru aux Éditions du Boréal, 224 pages, 26,95 $.
Merci beaucoup pour votre chronique.
RépondreEffacerJe vous invite à ajouter le nom de Raif Badawi à ceux, beaucoup trop nombreux, des victimes de barbarie à notre époque. Car, oui, le mot semble malheureusement être juste pour décrire ces situations inhumaines.
http://austintoutvabien.overblog.com/2015/01/on-ne-me-fouettera-jamais-pour-avoir-ecrit-ce-texte-raif-badawi-lui-a-ete-condamne-a-1000-coups-de-fouet-et-10-ans-prison-pour-avoir
Merci.