Est-il possible d’avoir une autre chance, de vivre un bonheur quotidien? Graziella a connu Marquis après avoir quitté une autre vie. Il est reparti et il y a un fils maintenant qui arrive mal à s’adapter au monde. Francis lance un appel sur internet: homme cherche femme. Il a l’habitude des problèmes concrets sur la ferme. Un amour naissant après bien des turpitudes et des déceptions.
Le sort de Bonté III d’Alain Poissant m’a
entraîné dans un monde peu fréquenté par les écrivains. L’un des personnages,
Francis, est producteur laitier. Il travaille du matin au soir à la ferme familiale,
à Napierville, le lieu de naissance de Louis Cyr. Il s’occupe des vaches, de mille
choses, hésite dans sa solitude même s’il y a sa mère avec qui les
communications sont réduites au minimum. Bonté III est une vache de cinq ans
qui ne donne plus de lait. Pourtant, son hérédité est parfaite et elle devrait
être l’une des meilleures laitières du troupeau. Il y a souvent, comme ça, des
phénomènes inexpliqués et inexplicables, autant chez les bêtes que chez les
humains.
«Une ferme était un spectacle
continu. Il y avait le ciel. Il y avait les vaches. Il y avait les chiens et
les chats. Il y avait les outardes. Il y avait les pigeons. Il y avait les
moineaux. Il y avait les fermiers eux-mêmes qui, dès les premiers beaux jours
du printemps, sortaient leurs tracteurs et leur machinerie pour les ranger à la
vue le long des hangars et des remises.» (p.11)
Des gestes dictés par les exigences
des bêtes, les semences et les récoltes, la pluie et le beau temps. Et que de
connaissances il faut pour suivre un troupeau! Parce qu’une ferme est une
entreprise où tout se calcule de nos jours.
Les exilés
Des connaissances de Francis
sont parties découvrir une autre vie en ville. Graziella est de ceux-là. Une
fille efficace, intelligente qui pensait refaire l’avenir dans l’atmosphère
feutrée des banques. Employée parfaite, impeccable, elle disparaît comme ça,
sans laisser de traces.
«Un mois avait passé. La
famille de Graziella avait fait ce qu’il fallait. Le CLSC avait fait ce qu’il
fallait. La SQ aussi. Mais c’était une autre Graziella que celle qui avait
laissé le souvenir d’une élève studieuse qui leur était revenue. Elle ne
voulait rien savoir. Simplement ne rien savoir. Un choix clairement exprimé:
achalez-moi pas. Elle ne paraissait pourtant ni perturbée ni déprimée. Aucun
propos négatif ou défaitiste ou suicidaire. Pas de gros mots. Pas de soliloque.
Pas d’alcool. Pas de drogue. On aurait dit quelqu’un qui, tout en vivant parmi
les autres, se refuse à être comme les autres et revendique une place à part.»
(p.27)
Vie de village
Marquis n’a jamais su dire
non à une femme. Il est allé de l’une à l’autre sans jamais s’arrêter. Une
aventure avec Graziella, le temps de lui faire un enfant et il est déjà
ailleurs. Son père, forgeron de métier, une sorte de Vulcain, a connu une vie
tragique. Un accident bête emporte le père et le fils. Les funérailles où
l’ancêtre, un centenaire, reconduit sa progéniture au cimetière donnent un moment
unique.
«Dans la file d’attente pour
le cimetière, il ne pouvait maintenant qu’être le premier en avant. La vigueur
en lui s’en était retournée. Ses mains étaient couvertes de taches brunes. Il
se tenait le dos cassé comme tous les vieux qui avaient travaillé fort. Sous
les poils sauvages de ses sourcils, ses yeux couleur de pruneau avaient l’air
de guetter la puissance batailleuse de la vie. Elle était là. Elle était là.
Elle était encore là. En lui, cependant, les forces n’étaient plus de taille. À
un moment donné, la vie allait donner un grand coup et le monde qu’il avait
construit allait basculer.» (p.64)
Alain Poissant trace un
portrait juste d’un milieu où les gens se mesurent à la vie et à la mort. Il y
a aussi les surprises et les déceptions inévitables. Chacun doit miser sur sa
chance et c’est ce que Graziella et Francis font. Ils tentent de s’apprivoiser
pour faire un bout de chemin main dans la main.
«Sur la route, plusieurs
voitures avaient ralenti en passant. Grazie dit qu’elle avait l’impression que
tout Napierville savait, et regardait. Une bonne affaire de faite ! dit
Francis.» (p.92)
L’espoir luit. Il suffit de faire
confiance aux jours et aux nuits qui esquissent les saisons, d’être attentif
aux désirs qui ne meurent jamais. Un roman humain, senti, accordé aux mouvements
des saisons. Un récit plein de délicatesse et d’empathie.
Le sort de Bonté III d’Alain
Poissant est paru aux Éditions Sémaphore.
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