Dany Laferrière est devenu, au fil des ans, l’écrivain que l’on voit partout et qui a réponse à tout. Il est le romancier officiel des médias du Québec en quelque sorte. Je l’ai entendu expliquer les tensions séculaires et historiques entre les villes de Québec et Montréal, le phénomène Maurice Richard, s’étendre sur la nomination de Michaëlle Jean comme Gouverneure générale du Canada et commenter l’actualité. Il peut se contredire dans une phrase, proférer des énormités, se reprendre dans un rire et emberlificoter tout le monde. C’est le même écrivain qui promettait, il y a quelques années, de ne plus écrire après avoir signé une dizaine d’ouvrages. Cela ne l’a pas empêché de reprendre certains de ses titres et de les gonfler de plusieurs pages.
En avril dernier, il lançait «Je suis un écrivain japonais». L’auteur du magnifique «Le Cri des oiseaux fous» y effleure la question de l’identité, un sujet délicat qui a fait frémir bien des Québécois au cours de la dernière année. En ces temps d’accommodation raisonnable et de Commission Bouchard-Taylor, il tombait pile. On était en droit de souhaiter une réflexion originale. On le sait, Laferrière aime bien nager contre le courant.
Eh, bien non, le cinéaste à ses heures se contente de pirouettes et de clichés déconcertants. Oubliez le Japon! Il ne connaît rien à ce pays sauf les écrivains Mishima et Basho. Il lui fallait un bon titre. Tout est là! Un coup de marketing!
«Quel que soit le livre, ce sont ces mots qui le représenteront. Ce sont ces mots que l’on verra le plus souvent. Pour les autres, il faudra ouvrir le livre. Alors que ces mots seront toujours là sous nos yeux. Ils contiendront tous les autres mots du livre. Pas besoin de relire le livre de Garcia Marquez, il suffit de dire «Cent ans de solitude» ou «À la recherche du temps perdu» s’il s’agit de Proust… » (p.13)
Paresse
Laferrière lance des idées prometteuses, mais ne s’attarde pas pour dégager une pensée originale. Un roman qui devient la copie de ces émissions de télévision où les invités défilent. On y aborde tous les sujets sans jamais reprendre son souffle. Quand cela risque d’être intéressant, vite il faut passer à autre chose.
L’écrivain effleure pourtant une question importante pour les petites nations qui peuvent disparaître devant la culture commerciale qui s’impose partout dans le monde. Le droit à la différence, à l’identité, à sa culture, tout cela est lancé pêle-mêle. Il se contente de hausser les épaules. Son ego est tel qu’il est au-delà de tous les nationalismes. Cela l’agace et il a même du mal avec ses origines caribéennes. Comme si la littérature pouvait s’épanouir sans ancrage et sans terreau national.
«Même moi, je n’arrive pas à démêler chez moi le vrai du faux. C’est que je ne fais aucune différence entre ces ceux choses.» (p.24)
Tout est permis alors. Et tout ce qu’il dit, faut-il le prendre au sérieux?
«Je crée un univers, et je n’ai pas l’intention de le partager. J’ai quelques noms de filles, un titre, des voix, une ville que je connais trop bien, et une que je ne connais pas. Je n’ai besoin de rien d’autre pour faire un roman.» (p. 248)
Hésitation
J’ai lutté tout au long de cette lecture, mais Dany Laferrière est ratoureux. Comme j’allais refermer le livre, une réflexion sur l’écriture me happait. Comme ça jusqu’à la fin, même si j’ai eu l’impression que rien ne commence et que rien ne se termine dans cette filière japonaise.
«J’écris vite aussi. Peut-être mal, mais toujours vite. J’affirme être le meilleur sprinter de ma génération. On devrait me croire sur parole, car tout le monde ne cultive pas pareille audace. Dire qu’il est le meilleur. Dans les autres métiers, oui, mais en littérature.» (p.253)
Un texte qui se regarde aller, baveux aussi et souvent insipide. Dany Laferrière ne sera jamais un écrivain japonais, mais il habite le pays de son nombril. C’est peut-être là le problème. Il oublie dans ce roman que l’essence de la littérature est de s’attarder et de défaire les clichés, d’aller au-delà pour trouver un regard original et universel. En ce sens, Dany Laferrière tient sa promesse. Il n’a pas écrit de nouveau roman.
«Je suis un écrivain japonais» de Dany Laferrière est publié chez Boréal Éditeur
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