« GAZA ÉCRIT GAZA », un recueil de textes dirigé par l’écrivain et enseignant Refaat Alareer touche l’âme et l’esprit. Quinze auteurs palestiniens ont décidé de traduire leur réalité, de dire ce qu’ils vivent depuis plus de cinquante ans au jour le jour. Les morts, les bombes, les arrestations, les innombrables contrôles quand ils doivent se déplacer et surtout l’arrivée des bulldozers qui rasent les oliveraies et qui détruisent le lieu où ils travaillaient depuis des générations. Ils deviennent alors des errants qui transportent tout ce qu’ils ont sur leurs épaules, soulevant la poussière dans une longue caravane de la faim et de la dépossession. L’ouvrage a d’abord été publié en anglais et quinze écrivains d’un peu partout ont participé à la traduction en français. Parmi eux, huit auteurs du Québec ont mis leur énergie et leur générosité au service de ces écrivains de la survie. On parle de Joséphine Bacon, Anaïs Barbeau-Lavalette, Gabriel Robichaud, Stanley Péan et sa fille, Laura Doyle-Péan, Kev Lambert, Perrine Leblanc et Martine Delvaux. Un livre important qui témoigne de l’état du monde et peut-être aussi de toutes les erreurs que nous avons commises dans le passé et que nous n’osons pas remettre en question.
Gaza, cette bande de terre située près d’Israël, cet espace de toutes les turpitudes, de toutes les violences difficiles à imaginer. Une terre bombardée depuis des générations, une population qui vit dans la peur et le bruit des avions et des missiles, quand ce n’est pas celui des drones qui maintenant entourent toutes les agglomérations de ce pays que Donald Trump voulait convertir en site touristique pour les biens nantis. Un endroit où les gens marchent sur les ruines et la désolation, la crainte, dans l’odeur de putréfaction des cadavres, cherchant de quoi manger et boire, un lieu pour respirer et dormir en toute tranquillité. Il semblerait que ce désir fondamental ne soit pas possible pour tous sur notre planète.
Pourtant, il y a des hommes et des femmes qui réfléchissent et qui se battent avec d’autres armes que les bombes et les drones dans ces territoires occupés. Refaat Alareer, professeur de littérature et de création à l’Université islamique de Gaza, a eu l’idée de solliciter de jeunes étudiants et étudiantes pour qu’ils racontent leur histoire dans de courts textes initialement rédigés en anglais, dans le but de toucher un public international. Ces témoignages ont ensuite été publiés en français par les éditions « Mémoire d’encrier », qui s’engagent à donner une parole aux personnes marginalisées et ignorées du monde.
« Véritable orateur, il dénonçait avec force et éloquence le colonialisme, le nettoyage ethnique ainsi que le blocus inhumain et illégal imposé à Gaza. Mais sa véritable passion résidait ailleurs. Elle était dans les histoires enfouies sous les ruines, dans les voix qui criaient fort, mais que le monde refusait d’entendre. Il écoutait ces voix avec une attention infinie, et nous répétait sans cesse : “Elles comptent. Elles comptent. Elles comptent.” » (p.237)
Un enseignant qui croyait à la puissance des mots, qui savait écouter et surtout comprendre ce que ses étudiants et étudiantes lui confiaient. Il leur a demandé d’écrire, il les a encouragés à le faire et ils ont entendu son message.
TÉMOIGNAGE
Ayah Rabah, étudiante en médecine, l’exprime fort bien à la fin de cet ouvrage où l’on donne la parole à tous les écrivains et écrivaines pour qu’ils expliquent leur démarche, disent pourquoi ils ont décidé de raconter un moment puisé dans leur vie, un petit bout de leur parcours qui allait se fonder dans la grande histoire de ce coin de terre. « J’écrivais pour me protéger de la folie de la guerre qui rugissait à l’extérieur. J’écrivais ce que je vivais, et cela me redonnait la force et de la résilience. »
Tous ont obéi à cette nécessité intérieure, à ce besoin de parler, de se faire entendre, de croire qu’il est possible de toucher d’autres personnes qui peuvent comprendre la situation dans laquelle ils tentent de se faire une existence décente et tranquille. Parce que vivre sous les bombes, sous les attaques en pleine nuit, les déflagrations, la famine et la peur, la mort de ceux qui nous entourent n’est pas dans la normalité des choses.
LE QUOTIDIEN
Des récits simples, des histoires, des événements qui s’insèrent dans une tragédie qui ne cesse de prendre de l’ampleur chaque fois qu’un drone est lancé, qu’une bombe souffle une maison ou l’aile d’un hôpital, creuse un trou au cœur d’une route ou d’un parc. Des souvenirs, des moments de l’enfance, des jeux et la survie par miracle, un hasard incompréhensible. Je pense à ce texte de Rawan Yaghi. Elle raconte la hâte d’une petite fille qui veut s’amuser avec ses amis dans la rue. Sa mère lui demande de manger avant d’aller les rejoindre et puis…
« Les enfants rient et retournent à leur partie. Et une fraction de seconde un flash lumineux explose devant mes yeux. Je suis projetée contre le mur de la cuisine avant de m’étaler au sol. Des briques tombent des murs, immédiatement suivies de bris de verre. Genoux et mains tremblantes, je ne peux me remettre debout. J’entends un son étrange et dérangeant, tel un sifflement ininterrompu, et j’étouffe à cause de la fumée. Ma mère se précipite, hurlant, hystérique. Elle tâte chaque partie de mon corps, s’assurant que je suis indemne, et me prend dans ses bras. » (p.52)
Tous ceux qui bondissaient, couraient et criaient dans la rue sont morts. Les corps sont là, éparpillés dans la poussière, démembrés. La petite fille a été épargnée par hasard… Mais, est-ce vraiment une chance que de voir tous ses amis tuer et d’être oubliée du côté des vivants ?
ÉVÉNEMENTS
Bien sûr, il y a des tragédies comme celle qu’a vécu Rawan Yaghi, un texte terrible de cruauté. On peut aussi parler d’un mal de dents qui fait qu’on est obligé de faire des choses que l’on ne ferait pas normalement. Une militaire israélienne qui est attirée par un homme dans un parc avant de comprendre ce qui se passe.
Des moments du quotidien comme l’attente d’un visa pour sortir et étudier aux États-Unis ou en Angleterre, qui devient une véritable comédie de l’absurde digne de Samuel Beckett. L’obstination d’un père de famille à retourner voir sa maison dont il a été chassé pour y mettre une bombe.
« — Écoute, fils. Ce qu’il y a de plus terrible dans une occupation, c’est qu’ils ne se préoccupent pas des intentions. C’est pour cela que toute occupation est pernicieuse. S’ils m’avaient surpris avec ces explosifs. J’aurais été fusillé — nous aurions été fusillés. Ils n’auraient pas vérifié nos intentions, et même s’ils l’avaient fait, ils ne nous auraient pas crus. L’occupation est un mal. Oui, elle vole et détruit, mais elle enseigne aux gens la haine, et pire, la méfiance. C’est pour cela que nous laissons ici une bombe qui est un message : je peux détruire cette maison, mais je choisis de ne pas le faire. Parce que je voudrais que les gens commencent à se poser des questions au sujet de la moralité de leur comportement envers nous. Tu es mon fils, et tu es dans mon cœur, dit Abu Salem. » (p.148)
Des scènes terribles, des hommes et des femmes admirables de résilience qui n’arrivent pas à vivre en paix sur leur terre ou dans une oliveraie héritée de leurs ancêtres. Il faut du courage pour lever la voix, pour murmurer cette plainte qui se fait entendre depuis plus de cinquante ans. Comment l’humanité et tous les pays dits civilisés peuvent-ils tolérer une telle situation ? Des humains souffrent, meurent, survivent blessés dans leur pensée et leur chair dans une indifférence coupable. Des enfants crèvent de faim et n’ont que des ruines pour jouer dans des odeurs de corps en putréfaction.
Est-ce cela être humain ?
Ces récits nous font douter de l’intelligence humaine et de notre capacité à vivre dans le respect des autres et l’acceptation des différences. Des textes bouleversants rédigés par des hommes et des femmes admirables qui racontent cette « blessure à l’âme de l’humanité. »
ALAREER REFAAT : « Gaza écrit Gaza ». Mémoire d’encrier, Montréal, 2025, 279 pages, 29,95 $.
https://memoiredencrier.com/catalogue/gaza-ecrit-gaza/
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