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lundi 22 avril 2019

INÉDIT DE MON AMI ALAIN GAGNON

C’EST AVEC BEAUCOUP d’émotion que j’ai reçu Gloomy Sunday d’Alain Gagnon. Comme si Alain revenait me faire un clin d’œil et me saluer. L’écrivain est décédé en 2017. Un compagnon avec qui j’ai cheminé depuis ses premières publications. Tout le monde le sait, nous étions voisins. Lui, de Saint-Félicien et moi, de La Doré. Il a lancé son premier livre en 1970 et j’en faisais autant en 1971. Il amorçait l’aventure avec des nouvelles et je me risquais dans la poésie. Il aura été beaucoup plus prolifique que moi cependant, explorant le roman, le récit, des carnets, enfin toutes les manières de secouer les mots dans plus de trente-cinq ouvrages. Une œuvre impressionnante, touffue, diversifiée et inachevée. C’était un boulimique, un travailleur acharné que mon « pays » Alain.

Dans Gloomy Sunday, des légendes contemporaines précise l’éditeur, Alain (je me permets de l’appeler par son prénom) revient dans une forme d’écriture qu’il affectionnait, soit l’histoire brève, mais aussi le fantastique qui se glisse un peu partout dans ses publications, souvent de façon subtile. Je pense à Thomas K. ou encore Le gardien des glaces.
Bertrand Bergeron, grand connaisseur devant l’éternel, définit le genre comme suit : « La légende mord à pleines dents dans la réalité, car elle s’enracine dans un événement fondateur… … Elle raconte, de plus, une situation qui met en scène un être humain dans ses rapports avec un être surnaturel. »[1]
L’écrivain, ici, crée des légendes pour démontrer que le merveilleux, le surnaturel est toujours là, même si nous nous vantons de vivre dans un monde rationnel et que la science peut tout expliquer. Plus rien de mystérieux n’existe. Tout s'analyse, du moins nous le croyons, quand nous nageons allègrement dans les mythes du développement continu, de la démocratie et d’un meilleur avenir alors que nous mettons la planète en danger avec l’exploitation démente des ressources.

LE FANTÔME DU PARC

Il lance ce beau livre avec un événement qui a fait les manchettes, il n’y a pas si longtemps, dans le Progrès-Dimanche, journal où je travaillais en 1992. Cette nouvelle avait fait rigoler bien des collègues, surtout qu’on se moquait de l’auteur du reportage qui s’était laissé convaincre par les lubies d’un farfelu et des faits que personne ne pouvait vérifier. Les médias n’aiment pas les manifestations des revenants, à moins que ce soit eux qui les inventent et les répètent du matin au soir.
Alain reprend cette histoire et la pousse plus loin avec son personnage qui tente de faire la lumière et ne réussit qu’à embrouiller les pistes. Le propre de la légende est de ne jamais pouvoir trouver d’explication rationnelle. Plus on creuse, plus le mystère s’épaissit. Nous basculons dans des phénomènes qui échappent à l’analyse exacte ou à la logique cartésienne.

Rémi roule, se gare, marche longtemps dans la rue Saint-Jean. Il s’arrête au cimetière derrière l’église Saint-Matthew. Le crachin a cessé. Un vent doux du sud a chassé les nuages. Au-dessus du fleuve et du toit en pente brillent les étoiles. Il voudrait les interroger, mais il sait que, toutes belles qu’elles soient, elles ne répondront pas. C’est à l’intérieur de lui-même, pense-t-il, qu’il devrait s’adresser pour obtenir des réponses. Mais il ne saurait comment faire. (p.71)

Rémi a bien raison. C’est en nous qu’il faut chercher les réponses à ces histoires et elles ne seront jamais claires et nettes. Jamais nous ne pourrons tourner la page.

EXPLORATION

Alain nous convie encore une fois dans son pays littéraire, le territoire d’Euxémie, celui de Saint-Félicien pour ceux qui connaissent le secteur, avec la Bleue et la Louve. Je m’y sens chez moi. Un territoire qu’il a inventé pour mieux l’explorer dans toutes ses caractéristiques géographiques et en donnant toute la place à son imaginaire. Parce que, pour l’écrivain de Saint-Félicien, le concret comprend le monde que nous pouvons appréhender et parcourir et cette vérité invisible, peuplée de créatures malfaisantes, tout aussi palpables et maléfiques.
 
Et surtout toutes ces autres dimensions du réel, plus proches de nous que notre propre cœur. Des êtres plus ou moins intelligents y vivent, y grouillent partout ; nous entourent, nous veulent du bien, nous veulent du mal ; s’amusent à nos dépens parfois. (p.153)

L’œuvre d’Alain s’est toujours appliquée à explorer ces deux univers, à les faire entrer en contact l’un avec l’autre, ce qui provoque immanquablement des catastrophes. Mais pourquoi s’aventurer dans un territoire que personne ne prend au sérieux. Il faut lire attentivement la citation tout au début du recueil.
« Tous les pays du monde qui n’ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid. » L’assertion est du poète français Patrice de La Tour du Pin.
Voilà qui est fort intéressant. Tourner le dos aux contes et aux légendes, c’est comme si on s’amputait d’une partie de son cerveau et se condamnait à la disparition. Alain tente-t-il de sauver son pays, de lui redonner toutes ses dimensions ? Je suis porté à le croire parce qu’il misait plus que tout sur les plus hautes vertus de la littérature et des mots. Il répétait souvent que l’écrit éloigne la barbarie.

AVENTURE

Maisons hantées, disparitions, fantômes, animaux qui nagent dans les profondeurs des lacs, imaginaires inspirés des autochtones, Alain ne se prive de rien. Nous retrouvons des personnages familiers comme le chef de police de Saint-Euxème, Olaf Bégon, qui lui aussi a une histoire qu’il n’a jamais osé raconter, même s’il s’est fait un devoir toute sa vie, avec son métier, de voir l’envers des choses pour les rendre claires et précises. Il n’y a pas réussi souvent comme vous pouvez le constater en suivant ses aventures et ses enquêtes. Saint-Euxème est le pays par excellence pour les événements étranges où des êtres fantastiques entrent en contact avec le monde connu. Il peut y avoir des lieux, comme des points d’acupuncture, qui témoignent de cette réalité invisible et hasardeuse à fréquenter. On y risque toujours son équilibre mental. On peut y faire des rencontres qui marquent de manière indélébile ceux qui ont l’audace de s’y frotter.

Puis j’ai regretté de l’avoir fait. Étouffer les histoires anciennes par de nouvelles histoires, par plus d’histoires, n’est-ce pas la meilleure façon de se protéger contre les miasmes, les effets délétères des récits passés ? (p.223)

En plongeant dans les légendes et les histoires à dormir debout comme on répétait dans mon enfance, Alain témoigne d’une vie de plus en plus fragmentée. Une tentative de réconciliation avec un monde qui tourne le dos aux mythes pour s’enfermer dans des rêves économiques tout aussi dangereux.
Voilà, tout est dit. Qu’on le croie ou non, Alain réussit à nous guider dans des territoires qui font appel à des peurs, des craintes ataviques et secoue cette partie de notre cerveau où des désirs étranges se dissimulent. L’époque contemporaine regorge d’événements, de guerres, d’affrontements qui viennent du fond des âges et qui nous entraînent dans les plus horribles catastrophes. Toutes ces barbaries tribales, ces invasions pour l’appropriation des ressources naturelles, les tortures, les lubies militaires ne sont que des manifestations de ces pulsions qui montent d’un univers glauque qui ne demande qu’à se montrer au grand jour. Et pas un mur, si haut soit-il, ne peut nous protéger.
Alain se restreint aux frontières de son pays littéraire, mais réussit à ébranler certaines croyances, des certitudes en créant des êtres fascinants, des décors inquiétants, des phénomènes qui bafouent toute logique. C’est le propre du travail de mon ami qui encore une fois embrasse tout le vivant.
Voilà un humaniste qui me touche, qui m’émeut, me donne des frissons et m’entraîne dans une dimension que j’ai du mal à accepter même si je peux facilement me laisser séduire par le monde merveilleux de Ti-Jean et de ses contes. Il faut mon compagnon Alain pour me pousser dans cet univers que j’aime désamorcer par le rire quand je me trouve devant un public qui est prêt à toutes les histoires invraisemblables. Mon ami Alain s’y enfonce avec toute la vigueur qui était la sienne et difficile d’en sortir avec des certitudes. Un aspect de son œuvre à explorer et à découvrir. Du Alain pure laine, une écriture tellement bien maîtrisée.


GLOOMY SUNDAY, NOUVELLES d’ALAIN GAGNON publié chez Triptyque Éditeur, 2019, 330 pages, 23,95 $.




[1] Bergeron Bertrand, Contes, légendes et récits du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Éditions Trois-Pistoles, Trois-Pistoles, 2004.
http://www.groupenotabene.com/publication/gloomy-sunday

lundi 23 septembre 2013

Alain Gagnon travaille dans l'ombre


Alain Gagnon, si on accepte de le suivre, nous plonge dans des situations qui nous bousculent. Il est d’une habileté déconcertante. Dans Les Dames de l’Estuaire, j’avoue avoir interrompu ma lecture à quelques reprises pour reprendre mon souffle. Je sentais le piège se refermer sur moi et je n’aimais pas du tout cette sensation. J’ai dû résister à l’envie de fuir. Un monde étonnant, maîtrisé. J’aime surtout quand il décrit ces pays d’eau et de nuages, le phare, les bateaux. Il devient alors un peintre formidable qui ne peut que vous séduire.

Les familiers d’Alain Gagnon ne seront guère désorientés en lisant ces nouvelles. Ils y retrouveront des thèmes que l’écrivain explore depuis toujours, des mondes mystérieux, le surnaturel plutôt, cette dimension qui essaime au cœur de plusieurs de ses ouvrages. Je pense à La langue des Abeilles, Le ruban de la louve, Thomas K et Le gardien des glaces où le fantasme bascule dans la réalité.
Trois longs textes nous entraînent dans l’estuaire du Saint-Laurent que l’écrivain apprécie particulièrement. Je crois savoir qu’il a envisagé un certain temps de s’y établir pour en faire son lieu d’écriture.
«De ce fleuve, l’Estuaire a sans contredit ma préférence. Surtout ce tronçon que l’on nomme l’estuaire moyen — de l’île d’Orléans à l’embouchure du Saguenay. S’y mélangent les eaux douces et salées, l’urbanité de la rive sud et le large maritime. Et l’on y aperçoit une multitude d’îles fabuleuses: les Pèlerins, l’île Blanche, l’île Verte, l’île aux Lièvres, l’île aux Grues, les récifs de l’île aux Fraises…» (p.9)
Ces paysages marins le fascinent même s’il demeure fidèle à son pays d’origine. Son écriture s’ancre la plupart du temps dans Saint-Félicien et ses environs.
Le monde chez Alain Gagnon est menaçant, dangereux et peut broyer les humains. Ses héros sont des hommes de peu de mots qui ruminent de lourds secrets qui ont failli les briser. Des morts violentes autour d’eux, un exil, une douleur qui brûle l’âme. Tous sont hantés par le désir d’écrire, d’apprivoiser peut-être ce qui menace de les écraser et connaître ainsi une vie autre. Tous doivent puiser dans leurs dernières ressources pour survivre. Ses personnages sont rationnels, souvent calculateurs et n’hésitent jamais à éliminer ceux qui entravent leurs mouvements. La notion de bien et de mal n’a aucun sens pour eux. Ces loups solitaires, blessés, font leur chemin comme Thomas K, mais restent des marginaux.

Dames

Trois univers où des hommes doivent faire face à leurs démons. Dans La Toupie, Andreï s’isole pour apprivoiser peut-être des scènes qui le hantent et le ramènent dans son pays d’origine. Il s’installe dans un phare déserté à l’entrée du Saguenay. L’endroit est sauvage, terrible de violence et de dangers. Il va là pour se recentrer peut-être, trouver un autre équilibre.
«Tous, nous portons le mal. À la racine de notre être, de l’être, de la nature gîte le mal. Sa présence est une énigme, un mystère à résoudre pour chacun. Il nous suit, chien fidèle. Nous le ressentons et savons qu’il existe. Il noircit nos joies les plus pures, prend de multiples formes. Seule une grande souffrance peut nous en libérer et nous redonner le pouvoir entier sur soi. La souffrance est le feu qui transmute.» (p.45)
L’écrivain s’est inspiré d’une légende québécoise pour La Dame aux glaïeuls.
«— Matshi Skouéou, la mauvaise femme, traduit-elle. C’est le nom que donnaient les Amérindiens à cet être. Sous le Régime français, les Blancs l’ont appelée la Dame aux Glaïeuls ou la Jongleuse. Celle dont il ne faut pas répéter le nom, de peur de la faire venir. L’abbé Casgrain lui consacre plusieurs pages dans Légendes canadiennes. C’est dans cet ouvrage que les premiers propriétaires ont trouvé le nom de leur auberge, qui allait devenir un complexe hôtelier.» (p.73)
Enfin avec Le Gambit de la Dame, le lecteur fait face à un tueur professionnel qui ne rate jamais son coup. Lui aussi écrit et laisse ainsi une trace qui pourrait le perdre.
Ces êtres marqués luttent dans un monde cruel et impitoyable. Le héros chez Gagnon est condamné à vivre en marge, comme une sorte d’ermite. Moins il a de contacts avec ses semblables, mieux il va. C’est ce qui explique leur goût pour les lieux retirés, les grands espaces, la lecture et l’écriture qui met peut-être un peu d’ordre dans ce chaos.
Une œuvre importante que cet écrivain trop discret mène d’une main de maître.

Les Dames de l’Estuaire d’Alain Gagnon est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 24 février 2013

Et si René Descartes avait écrit de la poésie


Michaël La Chance, avec «Le cerveau en feu de M. Descartes», propose un livre inclassable que j’ai lu en soupesant les mots, évaluant les phrases qui ébranlent la vie et les jours, la pensée qui, souvent, nous pousse dans les plus étranges excitations. Une réflexion comme il ne s’en fait plus et qui permet de se calmer dans un siècle où l’avalanche d’informations fait de nous des analphabètes. Une entreprise vivifiante.

René Descartes, le 11 novembre 1619, a fait des rêves singuliers qu’il note dans un petit registre en parchemin. Rappelons pour la petite histoire que Descartes est soldat et qu’il sert dans les troupes de Maximilien de Bavière à cette époque.
«L’esprit enflammé par l’excès de tabac, le jeune philosophe est tombé dans un sommeil profond, pourtant il se réveille dans son rêve et interroge celui-ci tout en rêvant. Il interroge cette nouvelle existence entre la vie et la mort, entre la réalité et l’illusion: son corps entre-deux n’est qu’un reflet qui glisse parmi les reflets, une incarnation fantomale, qui tire ses énergies de l’affolement des images.» (p.9)
Deux de ces songes ont été reconstitués par Adrien Baillet en 1691 dans «Vie de M. Des-Cartes» et un troisième a été perdu. Une expérience qui a traumatisé le philosophe et changé sa manière de voir le monde et de l’expliquer.
«Cette nuit de 1619, quelque chose a été entrevu, que le philosophe n’aura de cesse de refuser; ce refus a décidé du destin spirituel de l’Occident. Nous voulons le rappeler aujourd’hui, alors que s’annonce un nouveau tournant et qu’éclôt, par petites éclaircies, le rêve d’une nouvelle façon d’occuper le monde.» (p.9)

Méditation

Michaël La Chance, avec sa manière personnelle d’aborder les choses, engage une méditation poétique des songes de M. Descartes, bouscule le philosophe, tente d’aller plus loin dans la réflexion, l’illumination qui met «le cerveau en feu» et fait plonger dans un monde où la raison s’étiole.
Bien plus, l’écrivain imagine un troisième songe. Une reconstitution en quelque sorte en s’appuyant sur les écrits de Baillet. Et pourquoi ne pas inventer un quatrième songe?
«Imaginons qu’il ait fait un quatrième rêve, qu’il ait trépassé d’un excès de fièvre, ou bien encore, qu’il se soit détourné des sciences pour écrire de la poésie.» (p.10)
Pour terminer, La Chance décrit un voyage qui s’amorce «par une robuste prise de tabac» dans les forêts de l’Équateur. Une forme de communion avec la terre, les plantes, les animaux, l’air et l’eau. Une vision guidée par l’Uwishin, un chaman qui entraîne les curieux dans des dimensions et des sensations méconnues.

Transformation

René Descartes, après ces illuminations, comment ne pas se tourner vers Rimbaud, a eu peur et il s’est accroché à la raison. Le «je pense, donc j’existe» vient de ce refus et explique «Le discours de la méthode». Ce que l’on nomme logique a pris le dessus sur tout depuis quatre cents ans et a fini par éliminer toute autre forme d’appréhension du monde. Le cartésianisme, malgré les séductions de cette réflexion, a fait en sorte d’éliminer toutes les autres formes de connaissance. La raison imposa sa dictature.
Cette approche nous pousse maintenant vers une catastrophe planétaire avec la prolifération des machines qui formatent l’homme. L’informatique étant peut-être le dernier virage de cette conception binaire de la réalité qui occupe toute la place sans pour autant apporter plus de liberté, de bonheur ou de temps à l’être humain pour le rêve et l’imaginaire.
«M. Descartes, c’est moi et c’est vous lorsque je m’accroche à une compréhension désincarnée du monde, lorsque je ne veux pas quitter une pensée de fer qui fait l’impasse sur une dimension de folie qui est en reste dans l’humain.» (p109)
À l’heure des changements climatiques et du réchauffement de la planète qui s’accélère, la consommation folle d’énergie fossile, il serait peut-être temps, avec M. La Chance, d’explorer de nouvelles pistes pour surprendre d’autres manières de penser, d’être et de vivre. Nous voilà devant les abîmes du cartésianisme qui prend le visage, de plus en plus, d’un délire rationnel et d’une fuite en avant. Une expérience de lecture assez unique que propose Michaël La Chance, une méditation nécessaire. Un baume pour ceux et celles qui ont mal à la pensée.

«Le cerveau en feu de monsieur Descartes» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

lundi 15 octobre 2012

Marie-Paule Villeneuve étonne encore une fois


Marie-Paule Villeneuve ne cesse d’explorer le monde du travail et les grandes questions sociales qui secouent notre société. L’exploitation, les luttes syndicales, les grandes manœuvres des capitalistes sont au menu de cette écrivaine. Je signale en particulier «L’Enfant cigarier» et «Les demoiselles aux allumettes» qui plongent le lecteur dans des univers que peu d’écrivains osent visiter.

Avec «Salut mon oncle», madame Villeneuve surprend par son humour caustique et son regard sans complaisance sur le monde contemporain.
Edgar, célibataire par conviction, ancré dans ses habitudes et ses manies, vit au milieu des orchidées et se gave des cotes de la bourse et de biscuits au chocolat. Il spécule, contribue à faire dérailler le système économique, semble-t-il. Un parasite qui ne crée aucune richesse, mais gonfle son bas de laine.
L’arrivée de son neveu change tout. Le garçon a vécu une peine d’amour, sombré dans la drogue au Saguenay et veut refaire sa vie après une cure de désintoxication.

Ménage

Edgar doit faire le ménage de son appartement pour accueillir ce jeune indésirable et secouer sa vie et ses manies. Véritable capharnaüm, il n’y arrivera pas et l’ours décide de faire appel à des «techniciennes sanitaires». Ces femmes vivent d’aide sociale et arrondissent leur fin de mois en travaillant au noir.
«De simple, calme et facile, la vie d’Edgar était devenue compliquée, bousculée et préoccupante en l’espace de quelques heures. Il n’aurait pas dû, non, il n’aurait pas dû dire oui. Mais il fallait quand même le faire, le maudit ménage.» (p.21)
Tout se précipite. La vie à deux et la bourse qui semble prise de vertige. Notre spéculateur voit son magot fondre à vue d’oeil. Il se résout à travailler comme spécialiste en placements après avoir «arrangé un peu beaucoup» son curriculum vitae. Le neveu entre à l’Université de Montréal, travaille dans un restaurant, aime la cuisine et les hommes. Un neveu homosexuel et un irascible macho. Beau couple!
La vie quotidienne donne lieu à des scènes cocasses quand elles ne sont pas hilarantes.
«Le lendemain, le réveil fut brutal pour Nicolas, encore dopé au Seroquel, le médicament qui devait chasser l’effet du cystal meth. La tête lourde, il reprit ses esprits en laissant couleur longtemps sur lui une eau fraîche, libératrice. Il garda un silence de moine devant son oncle muet, qui attendait devant la porte de la salle de bain, visiblement contrarié par sa présence.
— Je croyais que c’était un voleur, marmonna Edgar, peu habitué à partager ses matins.» (p.24)
 Un début de socialisation pour le tripoteur de chiffres, un dépaysement pour le jeune garçon protégé par sa mère. J’ai rigolé à m’en décrocher les mâchoires quand Edgar décide de secouer son corps en faisant du jogging et qu’il affronte le propriétaire d’une BMW. À se tordre!
Quête

L’oncle s’adoucit et même s’il ne l’avouera jamais, apprécie la présence de Nicolas, ce jeune homme délicat et plein d’attention. Le fils peut-être qu’il n’a jamais eu. Le neveu apprivoise le loup en lui préparant des plats. Un grincheux au ventre plein est déjà beaucoup moins irritable.
Un roman plein de tendresse, de bonheur malgré le ton ironique et sarcastique de Marie-Paule Villeneuve. Oui, je me suis amusé et l’écrivaine n’a pas son pareil pour décrire les travers des hommes et des femmes, leurs obsessions, leurs manies et leurs frustrations. Leur appétit pour le bonheur aussi.
Un roman plein d’humour, de situations rocambolesques parfois, de personnages sympathiques qui ont du mal à se faire une place dans un monde contemporain où les gadgets pullulent, où chacun ne pense qu’à soi.
Edgar est un tendre qui adore les orchidées, la musique et la lecture. Il ne lui en faut pas plus pour être heureux. Si, des profits à la bourse et la présence d’une femme. Il se laisse prendre aux jeux de l’amour avec Margo sans que le hasard se manifeste. Quant à Nicolas, il réussira à s’inventer une nouvelle famille.
Un roman sain, plein de rebondissements. J’ai eu un plaisir fou à lire Marie-Paule Villeneuve qui traite de graves questions en s’amusant. Une belle manière de pointer la violence faite aux femmes, l’exploitation des travailleurs affectés au débroussaillage, les intrigues et les luttes de pouvoir dans un milieu de travail, l’itinérance et la discrimination. Une écriture drôlement efficace.

«Salut mon oncle» de Marie-Paule Villeneuve est paru aux Éditions Triptyque.