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mercredi 28 juillet 2021

UN RÉCIT FONDATEUR QUI BOUSCULE ENCORE

LA LITTÉRATURE DES PREMIÈRES NATIONS est de plus en plus présente au Québec. Elle a même ses vedettes avec Joséphine Bacon, Naomi Fontaine, Natasha Kanapé Fontaine et Marie-Andrée Gill. Michel Jean, un métis, vient de connaître un succès remarquable avec Kukum. Je pourrais m’attarder à Thomas King, un écrivain impressionnant et Richard Wagamese qui s’est imposé avec Cheval indien. Comme dans toute littérature, il y a les précurseurs, des individus qui ont réalisé de grandes premières par le biais des anthropologues. Il faut signaler le très beau témoignage de Mathieu Mestokosho chasseur innu, propos recueillis par Serge Bouchard, un incontournable. Un texte qui a inspiré Gérard Bouchard pour son roman Mistouk. Je ne savais rien de Markoosie Patsauq même si son court ouvrage a été diffusé dans les années cinquante. Le premier Inuit à écrire dans sa langue. Son histoire a connu beaucoup de succès et occupe une place unique dans l’imaginaire des peuples du Nord. 



Chasseur au harpon a d’abord été rédigé en inuktitut. Tout de suite, l’auteur en a fait une version anglaise pour la publier, transformant le récit premier. Valérie Meminiuk et Marc-Antoine Mathieu ont eu la bonne idée de retrouver le texte original pour offrir cette nouvelle version française.

 

Il a été un des premiers aviateurs et pilotes inuits, et ses histoires qui racontent notre monde — vivre avec la terre, la glace et les animaux indispensables à notre survie — sont le remarquable testament de quelqu’un qui a su trouver sa place et son équilibre dans ces deux mondes. À mon avis, il n’existe pas meilleur témoignage de sa confiance dans ces deux mondes que la manière dont il a écrit son histoire, souvent entre deux vols, dans l’attente de conditions météorologiques plus clémentes. (p.9)

 

Mary Simon tient ces propos dans la courte préface qui présente l’auteur et le roman. À noter qu’elle vient d’être nommée gouverneure générale du Canada. 

Chasseur au harpon décrit le Nord, le pays d’avant l’arrivée des Blancs qui ont tout bouleversé. Les Européens ont chamboulé l’Amérique en s’emparant de toutes les terres et des ressources. Il y a eu un avant et un après en Amérique avec Christophe Colomb, comme un ancien et un Nouveau Testament. 

Les Inuits utilisaient le harpon et se déplaçaient sur la neige et les glaces avec leurs chiens. Ils vivaient dans des igloos et survivaient pendant les longues périodes d’hiver, chassant quand le jour le permettait pour trouver à manger. 

 

Si ce qu’écrit Patsauq s’inspire d’histoires racontées dans son enfance par divers membres de sa famille, de toute évidence il les a modelées à sa façon pour donner naissance à un texte original. (p.103)

 

LÉGENDE

 

Nous nous aventurons dans le conte, la légende, le mythe où le chasseur se mesure à l’ours polaire, son plus terrible ennemi. Le roi du Nord est le pire animal que l’homme doit affronter pour survivre. Pour le terrasser, il faut la participation de tous et des chiens qui attaquent dans un ensemble coordonné. Cette entreprise demande l’effort des plus expérimentés et habiles. 

 

Les ours mettent souvent les hommes en échec, même quand ils sont traqués. La chasse à l’ours est la plus exigeante de toutes. Parfois, si un ours est arrêté par les chiens, il peut les tuer. Parfois aussi, il peut tuer un homme. Les ours blancs sont terribles. On les chasse malgré tout, car il n’y a pas le choix. Ils donnent de la nourriture et des vêtements. (p.14)

 

Le narrateur raconte les aventures de Kamik, un garçon inuit qui apprend les secrets de la chasse avec son père qui est un maître et le plus habile de son clan. Le jeune homme participe à sa première expédition en suivant les traces d’un ours blessé qui s’avère des plus dangereux. La traque tourne à la tragédie. Tous meurent et Kamik, seul, sans les chiens, sans ressources, doit survivre. Il erre dans le désert de glace, affronte le froid et un vent terrible. Il marche pendant des jours, parvenant à échapper aux loups qui rôdent, à l’ours qui sent sa présence à des kilomètres. Il résiste grâce à son savoir et sa volonté, garde espoir d’être retrouvé par les gens d’un autre village partis à sa recherche avec sa mère. 

 

QUOTIDIEN

 

Ce court récit décrit sans fioritures les occupations des femmes et des hommes, leurs peurs, leurs angoisses quand ils partent sur les traces de l’ours, de clans qui font face à tous les dangers, rusent avec le vent et le froid. Une lutte de tous les instants dans ce monde sans pitié, un territoire d’une fascinante beauté où la moindre erreur est fatale. Des jours à résister aux blizzards, à patienter pour tuer un phoque qui vient respirer à la surface de la glace, à traquer ce gibier si rare pendant un hiver sans fin 

Au pays des ours blancs, il faut tout faire collectivement parce qu’un homme seul ne peut rien. L’individualité si valorisée dans nos sociétés contemporaines est inimaginable dans un climat comme celui du Grand Nord. Nul ne peut survivre longtemps en se coupant des siens. 

Kamik, avec toutes les ressources de son corps et de son esprit, est enfin retrouvé par les chasseurs du clan voisin. Il n’est pas au bout de ses peines cependant. En traversant la rivière, sur les glaces flottantes pour rejoindre son nouveau village, le destin frappe une fois de plus.

 

Angutik est le premier à voir ses chiens tomber dans l’eau à travers la glace fine. Puis il sent que la glace qui le soutient se brise, et voit son traîneau commencer à couler. Il crie à Ujamik de descendre du traîneau. Prise au dépourvu, celle-ci tarde à réagir et se retrouve à l’eau. Angutik tente alors d’avancer vers elle, mais la glace sur laquelle il marche se brise encore, et il tombe également à l’eau. (p.86)

 

Après avoir vécu l’enfer, la faim, la peur, le froid, Kamik voit sa mère périr avec la jeune femme qu’il allait épouser. 

Une histoire qui nous plonge dans un monde révolu qui fait rêver certains nostalgiques qui ne réalisent pas les difficultés que tous devaient affronter quand ils chassaient avec une arme rudimentaire, se protégeaient de l’ours polaire qui pouvait pulvériser un igloo d’un coup de patte. Un récit précieux, vrai, qui décrit toute la dureté et la grandeur de cette époque. 

Un texte saisissant, pertinent comme si on sentait la respiration du marcheur, le bruit de ses pas sur la neige et la glace qui craque, les halètements des chiens et la présence de l’ours pas très loin. Parce qu’au Nord, la mort est blanche, imprévisible et terrible de violence, de beauté aussi quand le soleil s’attarde sur les montagnes aveuglantes et pleines d’ombres bleues. Un propos unique qui nous pousse devant les choses essentielles, le témoignage d’un précurseur, un récit précieux qui a donné la parole à tout un peuple et fait découvrir un monde.

 

PATSAUQ MARKOOSIEChasseur au harpon, Éditions du Boréal, Montréal, 2021, 19,95 $.


https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/chasseur-harpon-2762.html 

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