FRANÇOISE SAGAN arrive dans la littérature française comme un tsunami avec Bonjour Tristesse. Elle a dix-huit ans. Le milieu littéraire est
en effervescence. Tous tentent de l’approcher, de la rencontrer et d’être de
son cercle d’amis. Parce que la jeune femme est de tous les événements et vit à
un rythme effréné. Des rencontres, des amours éphémères, des mariages qui durent
le temps d’une fête, des livres qui séduisent les lecteurs et qui en
redemandent. L’écrivaine fait les manchettes des journaux et les rumeurs
circulent. Mais qui s’attarde à Peggy Roche qui se faufile dans l’ombre ?
Marie-Ève Lacasse est connue des lecteurs sous le nom de Clara Ness. Elle a publié des romans sous ce pseudonyme, il y a quelques années. Ce livre est une façon pour l’écrivaine de retrouver sa propre identité dans le monde littéraire.
Françoise Sagan est rapidement devenue une vedette entourée d’une
foule d’hommes et de femmes qui ne lui laissaient pas le temps de respirer. Malgré
tout, elle trouve le temps d’écrire. Marie-Ève Lacasse s’attarde à ses amours,
ses voyages, ses périodes d’éclipses et l’écriture envers et contre tous.
Françoise Sagan n’est pas quelqu’un que j’ai lu avec avidité, je
dois l’avouer, mais elle reste un phénomène de la littérature française. Écrire
un roman, une œuvre culte à dix-huit ans, n’est pas donné à tout le monde.
C’est ce qui se produit avec cette fille qui trouve son nom de plume dans un
roman de Marcel Proust. Son père refusait de voir son nom de famille sur la
couverture d’une œuvre de fiction. Il a peut-être changé d’avis avec le temps,
mais l’histoire ne le dit pas. Françoise est née Quoirez.
S’approcher d’un monstre sacré qui a fait les manchettes pour ses
frasques et ses passages à vide est un pari que relève fort brillamment Marie-Ève
Lacasse dans Peggy dans les phares.
Un titre étrange qui trouve sa raison dans le récit. La Peggy en question est une
mannequin connue dans le monde de la mode et des médias. Les deux sont des
vedettes et aiment les femmes, ce qui ne s’avoue pas à l’époque. Il ne faut pas
oublier que nous sommes dans les années soixante et les amours entre personnes
d’un même sexe sont tabous. Françoise Sagan, qui aime bien provoquer, attirer
les regards et n’en faire qu’à sa tête pour le grand plaisir de ses admirateurs,
reste discrète sur cet aspect de sa vie. Peut-être que ses lecteurs ne lui
auraient pas pardonné. Ses amours avec Peggy Roche sont un secret bien gardé.
IDENTITÉ
Une vie secrète pour l’idole d’une génération, des relations
troubles avec une Peggy toujours là malgré les frasques de Françoise, ses
aventures avec d’autres femmes et même des mariages, ses séjours à l’hôpital où
elle gît entre la vie et la mort.
Quelques semaines plus tard tu es de nouveau hospitalisée, cette
fois dans une clinique spécialisée de Garches pour te libérer de ta nouvelle
addiction. L’orviétan destiné à te soulager t’a rendue dépendante. Il y a ce
corps dont on ne fait pas grand-chose quand on est écrivain et qui pourtant
vous rappelle à l’ordre, se plaint, vous envoie ses signaux, crie bien fort
qu’il voudrait qu’on s’occupe de lui, de l’intérieur mais aussi de l’extérieur,
de son enveloppe. C’est encombrant, mais c’est comme cela. Quand tu te lèves,
la douleur est si grande qu’elle t’empêche de t’élever. Tu voudrais qu’on
t’assomme une bonne fois pour toutes, c’est ton mot préféré d’ailleurs, tu le
répètes à l’envi : tout est assommant, l’époque, les gens, la télévision.
(p.17)
Peggy lui pardonne ses infidélités, ses rebuffades et ses insultes.
Beaucoup auraient tourné le dos à Sagan pour bien moins que cela. Mais cet
amour est plus fort que tout. J’aime ces retrouvailles, ces rencontres
particulières où on se vouvoie, où on a l’impression de vivre dans une fiction
de l’écrivaine où tout est lent, éthéré, plongé dans une sorte de brume qui
masque la vie et les choses.
À l’hôpital militaire Peggy tourne autour du lit de Françoise,
s’assoit sur la chaise, regarde par la fenêtre, caresse son visage, humecte ses
lèvres d’eau. On vient de retirer le tube dans sa bouche. C’est une Françoise
de conte, celui des princesses qui attendent un baiser pour se réveiller. Au
fil des jours Françoise remonte doucement des profondeurs. Peggy lui parle de
choses et d’autres, de la collection qu’elle n’en finit plus d’imaginer, de la
vie au journal, des gens croisés dans la nuit. Elle dit aussi que les rideaux
sont affreux, comparant la chambre à celle d’un précepteur de province. Enfin
elle fixe le sol, longtemps, concluant son monologue par : comment vous
sentez-vous ? (p.57)
Madame Lacasse refuse de multiplier les anecdotes ou de s’attarder
à ces fêtes interminables où l’on boit jusqu’à s’évanouir. Il aurait été facile
de parler des virées dans le Midi, dans certains villages, des départs et des
arrivées, des rencontres avec les grands
de ce monde, dont François Mitterrand, un ami de l’écrivaine avec qui elle fera
un voyage en Amérique qui se termine mal.
ÉCRITURE
Marie-Ève Lacasse se moule à l’écriture de Sagan, sa manière
d’évoquer sans jamais appuyer. Une entreprise particulièrement difficile. J’aime
cette couleur, cette mélancolie, cette musique si particulière.
« Ses livres, ses
personnages étaient fréquentables sans être follement audacieux. L'héroïne,
c'est elle. Mais attention, si ses romans n'avaient pas dégagé ce charme
étrange et vaguement suranné qu'on a une fois pour toutes nommé « la
petite musique » de Sagan, ce qui l'énervait, il ne lui serait pas arrivé
de vivre cette expérience bizarre : être adorée par des centaines de
milliers de gens qui la trouvaient irrésistiblement sympathique, intelligente
en diable. » [1]
Ce « charme suranné » contrastait avec la vie de Peggy. Cette femme
vivait devant les photographes et les caméras.
Nous voici dans les années 70. Tout change, tous misent sur la
jeunesse. Tout est possible dorénavant. On repousse l’autorité, tente toutes les
expériences et les dérives. Sagan se retrouve au seuil de la mort à plusieurs
reprises. Peggy hésite entre la colère et l’amour, la rancune et le dévouement.
Parce que Sagan reste toujours capricieuse, impulsive et se sert d’un peu tout
le monde autour d’elle. Peggy écope la plupart du temps.
FIDÉLITÉ
Un roman remarquable qui rend l’atmosphère de l’époque et de la vie
de Sagan, du monde de la mode et des soirées où l’on vide toutes les
bouteilles, où l’on part sur un coup de tête pour la Provence ou encore dans
une maison de campagne pour continuer la fête. Sagan fonce à une vitesse folle
sur les routes. La mort la guette au tournant.
C’est émouvant, juste, d’une retenue remarquable. J’aime cette
femme volontaire, capable de diriger des défilés de monde, de les concevoir, de
tenir le haut du pavé, de faire la une des magazines et se faire si discrète
dans ses amours.
Un roman fascinant qui permet de nous faufiler dans la vie de
Sagan, celle que l’on ne veut pas voir, celle que l’on a toujours évité de bousculer,
préférant le mensonge, le cinéma que l’écrivaine entretenait autour de son
personnage. Lacasse démontre la fragilité de la femme qui écrit envers et
contre tous malgré le bruit et la fureur.
Peut-être que Sagan était en avance de son temps en vivant la vie
d’une vedette comme on les aime maintenant. Elle a fait de sa vie une œuvre
tout en écrivant des livres qui la disent dans son mal de vivre et d’être.
C’est l’essentiel et Marie-Ève Lacasse l’a bien compris.
PEGGY DANS LES PHARES de MARIE-ÈVE LACASSE est paru aux Éditions Flammarion Québec.
PROCHAINE
CHRONIQUE : COMME
DES SAUVAGES
d’EMMANUELLE TREMBLAY.
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