TOUS LES LIEUX font naître des contes et des légendes, jalonnent l’histoire des
populations. Des faits vécus, des craintes ou encore des superstitions marquent
un territoire et permettent de se l’approprier. Ce peut être la géographie ou la
particularité d’un site qui fait courir l’imaginaire. Une collection unique des
Éditions Trois-Pistoles permet de visiter le Québec et ses régions, de nous
attarder aux contes et aux légendes pour en surprendre les particularités.
Pierre Landry nous entraîne cette fois sur la Côte-du-Sud du Saint-Laurent pour
un voyage singulier. J’ai eu le bonheur de visiter le Saguenay-Lac-Saint-Jean,
la Gaspésie, l’Abitibi, l’île de Montréal, Charlevoix et Québec avec cette
collection prestigieuse.
La Côte-du-Sud s’étend de
Notre-Dame-du-Portage aux paroisses s’étendant en périphérie de
Rivière-du-Loup. Un véritable pays qui longe le fleuve et monte par paliers
vers l’intérieur des terres. Pierre Landry survole l’ensemble de ce territoire
par de courts textes et donne un bel aperçu de cet espace à l’arrivée des
Blancs et des affrontements qui ont suivi jusqu’à la conquête du Canada par les
Britanniques.
Une belle manière de visiter
une vingtaine de paroisses, de se moquer du temps en allant des premiers
arrivants jusqu’à une époque récente. Une façon aussi de nous informer sur
l’histoire des lieux, le peuplement des paroisses, le travail et les croyances
de ces hommes et ces femmes qui vivaient surtout de la terre, de la pêche et de
la navigation. Le trafic de certains liquides illicites provenant de
Saint-Pierre et Miquelon a aussi eu son importance et été à l’origine de bien
des légendes.
Le plus intéressant reste
l’imaginaire et les croyances qui emballent l’esprit des gens et ces héros qui retiennent
l’attention au-delà de leur époque avec leurs exploits et leur audace.
LES DÉBUTS
Ce territoire a particulièrement
souffert pendant les guerres entre les Français et les Britanniques, avant 1760
et la Conquête. Le texte du major George Scott nous relate avec une froideur
stupéfiante les avancées de l’armée anglaise en 1759. Les militaires ne
rencontrent que peu de résistance, les résidents ayant presque tous fui dans
les bois. Les habits rouges brûlent résidences et bâtiments de ferme, rasent les
villages sans raison aucune. On peut imaginer la désolation et la misère de ces
populations pendant l’hiver qui suivra le pillage. À l’époque, on ne parlait
pas de crime de guerre… On répétera ces façons barbares en 1837 pour mater la
révolte. L’armée britannique, la meilleure au monde disait-on, ne faisait pas
de quartiers et se montrait particulièrement cruelle et insensible.
En somme, nous avons marché sur une distance de
cinquante-deux milles et, sur le parcours, nous avons brûlé 998 bons bâtiments,
deux sloops, deux goélettes, dix chaloupes, plusieurs
bateaux plats et petites embarcations, nous avons capturé quinze prisonniers,
dont six femmes et cinq enfants, et fait cinq victimes chez l’ennemi ; il y a
eu un blessé parmi nos réguliers et, chez les rangers, deux morts et quatre blessés. (p.44)
IRLANDAIS
Comment oublier les
événements qui ont marqué Grosse-Île où les migrants, des Irlandais surtout, arrivaient
en souffrant de la famine et de maladies contagieuses ? Ils devaient débarquer sur
cette terre de la désolation et de la mort pour une période de quarante jours.
C’était assez pour mourir dans la souffrance et la détresse. On pourrait parler
de l’île de la mort. Il suffit de visiter les lieux pour en avoir des frissons
dans le dos. Madeleine Ouellette-Michalska en a fait le sujet d’un roman
fascinant : L’été de l’île de Grâce.
L’île de quarantaine est une île aux bruits troublants. En
plus de la triste symphonie des cris de douleur et des divagations des malades,
on entend sans cesse un sinistre rappel, celui de la récolte faite par le
Moissonneur. C’est le grincement des petites charrettes transportant les morts
à l’ouest de l’île où sont creusées les tranchées. Ceci se poursuit jour et nuit.
On entasse jusqu’à dix corps à chaque voyage. (p-205)
Bien sûr les religieux
tiennent une place importante dans l’histoire de ce coin de pays comme partout
au Québec. Impossible d’éviter les agissements de certains curés qui ont
réalisé de véritables exploits. Je pense au curé Francheville qui a dirigé un
groupe de maquisards et fait en sorte de retarder la progression des troupes britanniques.
Un prêtre qui maniait aussi bien le fusil que le goupillon. Ils furent
malheureusement trop rares à se comporter ainsi, surtout pendant la période de 1837.
Des figures étonnantes surgissent
au fil des années comme l’abbé Charles Chiniquy qui, après avoir été le
champion de la lutte contre l’alcoolisme, ne se gêne pas pour dénoncer les
agissements des religieux. Les scandales sexuels commis par des ecclésiastiques
remontent à loin et l’Église a toujours tout fait pour les dissimuler. On
connaît maintenant les agissements de certains dans les maisons d’enseignement
et surtout le scandale des pensionnats indiens. Des pages peu glorieuses que
personne ne pouvait dénoncer alors sans en subir les conséquences. L’abbé
Chiniquy est exilé pour sa trop grande franchise et son désir de réformer les
mœurs de l’église. Notre Martin Luther n’aura guère de succès dans son monde
d’origine et vivra la plupart du temps aux États-Unis.
Je me rappelai alors ce que m’avait dit M. Perras, la
première année de ma prêtrise, des larmes et du désespoir de l’évêque Plessis,
lorsqu’il s’était aperçu que tous les prêtres du Canada, à l’exception de
trois, étaient des athées. Je me sentis humilié et honteux d’appartenir à ce
clergé de Rome dont une bonne partie, sinon la totalité, nageait dans des
infamies qu’on aurait à peine tolérées à Sodome. (p-590)
PORTRAIT
Pierre Landry dresse un
véritable panorama du Québec, de la vie des autochtones qui devaient bouger
constamment en hiver pour trouver du gibier et survivre. De la navigation, des
exploits incroyables de certains marins qui traversaient le fleuve dans des
conditions inimaginables. Des textes particulièrement intenses et vivants.
Il fait plaisir de lire Jacques
Ferron qui a exercé son métier de médecin dans ce territoire en début de carrière,
Arthur Buies, Philippe Aubert de Gaspé qui vivait à Saint-Jean-Port-Joli et
dont la présence est encore visible dans ce coin de pays. Des conteurs aussi et
des écrits du frère Marie-Victorin qui restent étonnamment modernes. J’ai particulièrement
aimé les textes de Gaétane de Montreuil qui prennent des couleurs avant-gardistes.
Elle y démontre un courage peu commun.
Avant même que le mot féminisme eût été prononcé dans la
province de Québec, avant même qu’il fut inventé, Jacques Latourelle, de
Sainte-Anne-de-la-Pocatière, avait ses idées arrêtées sur le rôle des femmes
dans l’humanité. Pour lui c’était une bête de somme, à laquelle il
reconnaissait un peu plus d’intelligence qu’à ses bestiaux, mais qui ne devait
employer cette faculté que pour le bien-être et les intérêts de son mari.
(p.460)
Une belle manière de se
souvenir et de découvrir ce qu’a été la vie de nos ancêtres dans le pays de la
Côte-du-Sud, ses activités, ses déplacements, ses fêtes du côté de Kamouraska
où l’on ne refusait jamais un verre, même au risque d’y perdre un nouveau-né
dans la neige. C’est peut-être la raison qui a fait qu’Anne Hébert a choisi ce
lieu pour y installer les personnages de son roman Kamouraska.
Esprits, feux follets,
revenants, personnages un peu détraqués nous fascinent pendant toute la lecture
de cette épopée. C’est un devoir de mémoire que de retourner sur ces périodes qui
ont précédé le Québec de maintenant et font que les gens s’attachent à un coin
de terre pour l’aimer et le magnifier. S’il y en a qui doutent de la Conquête
du pays par les Anglophones, plusieurs textes rafraîchissent la mémoire.
Pierre Landry nous permet
surtout de vivre l’aventure d’un peuplement francophone unique en Amérique du
Nord et nous aide à comprendre notre époque. Un ouvrage nécessaire et
passionnant.
Contes, légendes et récits de la
Côte-du-Sud, Pierre Landry, Éditions Trois-Pistoles, 708 pages, 69,95 $.
NOTE :
une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, été 2015, numéro 158.
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