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dimanche 11 novembre 2012

Marjolaine Bouchard continue son beau travail


Après «Alexis le Trotteur», paru en 2011, Marjolaine Bouchard chausse les souliers du «Géant Beaupré», un personnage dont je savais peu de choses. Serge Bouchard, dans sa formidable émission de radio «Les grands oubliés», a été le premier à me sensibiliser à cet homme particulier. Il y a aussi la chanson de «Beau dommage», bien sûr.

Édouard Beaupré est né dans les plaines du Manitoba en 1881 d’une mère d’origine indienne et d’un père Canadien français comme on disait à l’époque. Une célébrité de son vivant même s’il a connu une existence brève. Il est mort à 22 ans aux États-Unis, à Saint-Louis, l’année de l’exposition universelle, des suites d’une forme de tuberculose pulmonaire. Il mesurait alors huit pieds trois pouces et pesait 375 livres.
Il était l’aîné d’une famille métisse qui vivait dans les grandes plaines de l’Ouest peu après la rébellion menée par Louis Riel. La fin d’une époque. La poussée des émigrants venant de l’Est et de l’Europe menaçait leur façon de vivre. Et le bison, une ressource essentielle pour ces nomades, disparaissait peu à peu. Ils ont dû faire de l’élevage, ce qui n’allait pas de soi.
«Tout avait commencé avec la Rébellion, en 1869, et Louis Riel, le Métis qui avait réussi à fonder un premier gouvernement provisoire, à créer un nouveau territoire manitobain pour y assurer le droit des Métis. On en parlait encore. Que de petites guerres pour l’occupation de ces contrées! Chaque tribu, Cris, Pieds-Noirs, Assiniboines, Montagnais, Métis, Blancs, catholiques, protestants: tout le monde voulait défendre ses terres, ses croyances, sa langue, ses façons de diviser le sol, en rectangles selon le système seigneurial de la Nouvelle-France, en carrés, à la manière de cantons anglais. Comme si le territoire était une courtepointe à couper aux ciseaux!» (p.12)
L’agriculture, ils en avaient une vague idée. Gaspard Beaupré, le père d’Édouard, tentera d’élever des bêtes avec plus ou moins de succès. Il travaillera surtout pour Jean-Louis Légaré, une figure mythique de l’Ouest, un héros par ses façons de faire et sa vision du pays. Ce polyglotte négociera avec le gouvernement des États-Unis au nom des Sioux qui s’étaient réfugiés au Canada pour échapper à l’armée américaine.

Enfance

Édouard grandit pour des raisons mystérieuses. L’école, où il a du mal à se concentrer, l’étouffe. Tout y est trop petit. Ce sera le lot de sa vie. Les maisons, les chaises, les lits, les wagons des trains seront toujours trop étroits ou trop courts pour ses longues jambes et son corps qui semble vouloir occuper toutes les plaines jusqu’aux Rocheuses.
«Pour passer inaperçu, Édouard marchait le dos voûté et penchait continuellement la tête de côté pour faire oublier sa taille. On l’appela Midi-moins-dix. Tranquille et toujours obéissant, enfermé dans son silence, il commença à avoir des tics. Il se passait sans cesse la main sur la figure, tordait la bouche, plissait le nez. Ses grands yeux effarouchés, assez écartés, donnaient à son visage une expression qu’on voit seulement chez les imbéciles, les moribonds ou les grands sages.» (p.63)
À l’âge de neuf ans, il quitte l’école pour travailler. Doté d’une force peu commune, il fait écarquiller les yeux quand il soulève des poids énormes. Il sera heureux comme cowboy, mais sa taille et son poids feront en sorte qu’il devra renoncer à ce travail. Ce sera le drame de sa vie. Le jeune homme qui aspirait à fonder un foyer et avoir des enfants ne connaîtra que la marginalité et la solitude. Son amour pour Antonia, la jeune institutrice, est pathétique. Et il y a toujours un beau parleur pour l’exhiber dans les foires. Ces promoteurs sans scrupules le laissent la plupart du temps sans un sou.

Solitude

Édouard Beaupré sera un homme terriblement seul, trouvant un peu de réconfort auprès des marginaux et dans l’alcool. Confiné à un wagon pendant ses tournées avec le cirque, il n’est pas seulement prisonnier de son corps, mais aussi des gens qui exploitent sa singularité. La différence coûte cher.
Encore une fois, Marjolaine Bouchard excelle dans sa façon de décrire l’époque. Des scènes dérangeantes dans les cirques avec ces «curiosités de la nature» que l’on exhibe pour quelques sous. Elle démontre une belle empathie pour ce personnage qui n’a trouvé sa place nulle part, même après sa mort. Un roman qui fait réfléchir à la condition humaine.
Un ouvrage d’une grande justesse, un récit passionnant, touchant, d’une tristesse sans nom. Il y a là matière à faire un film. Il me semble que ce pourrait être fascinant.

«Le géant Beaupré» de Marjolaine Bouchard est paru chez Les Éditeurs réunis.

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