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lundi 12 avril 2004

Apprivoiser la mort pour mieux vivre

Daniel Danis ne cesse d’étonner au théâtre avec des textes d’une qualité et d’une originalité déconcertantes. Songeons à «Cendres de Cailloux» et plus récemment au «Langue-à-langue des chiens de roches» où la poésie porte la quête de ce dramaturge pas comme les autres. Une qualité d’écriture exceptionnelle, un pouvoir d’évocation qui a changé la façon d’écrire le théâtre au Québec et en France où il connaît du succès. Il ne fallait pas s’attendre à autre chose de sa rencontre avec la photographe Suzan Coolen.

Dans un récit qui tient à la fois de la réplique théâtrale, de la poésie, de la description pure et narrative, Daniel Danis nous plonge dans des émotions et des situations où la vie prend des dimensions insoupçonnées.
Antoine a adopté un garçon que l’on croit être un Haïtien. Il ramène ce poupon qui fera sa joie et celle de son épouse. Le bonheur se profile avec ses sourires et ses couches mais ce serait mal connaître Danis. Mireille abandonne Antoine quelques heures seulement après l’arrivée de l’enfant, le quittant avec le bébé pour un autre homme.

Dix ans après

Dix ans plus tard, le garçon frappe à la porte d’Antoine. Le jeune Gabriel est atteint d’un cancer incurable et n’a que quelques mois à vivre. Le récit de Daniel Danis s’amorce. Pas de place pour les dentelles et les faux-fuyants. Il faut trouver un sens où il n’y en a pas peut-être.
Antoine apprivoise ce fils qu’il n’a jamais eu et qu’il va perdre dans quelques semaines. Il doit recentrer sa vie, abandonner le monde artificiel du cinéma qui est le sien. Il faut tout vivre avec Gabriel, l’accompagner à chaque instant. Ils se réfugient chez l’oncle Dave, celui qui a recueilli Antoine il y a longtemps. La violence du père était meurtrière alors.
La vie alors donne de grands coups d’épaule, soulève des émotions qui retournent le corps et font oublier les agitations inutiles. Il faut vivre chaque seconde, chaque minute comme l’éternité.
Antoine découvre la tendresse, l’amour et le bonheur. L’oncle Dave, encore, se fait passeur, shaman et initiateur. La mort pourra être belle, fascinante, envol et Gabriel s’y entraîne avec ces «pères» qui cherchent tout autant que lui.
Daniel Danis offre un texte d’une qualité exceptionnelle. Ses phrases sont aiguisées comme des sabres. Il faut s’imprégner de la beauté de cette langue baroque et incantatoire. Daniel Danis surprend avec ses trouvailles, des images qu’il est le seul à oser.
«Il neige en ce onze des morts. Pourtant, il pleut sur mes os et mes viscères, une pluie incessante, froide. Chaque partie de ma peau me semble quadrillée au marqueur noir pour inscrire les jours du mois avec ses hauts et surtout ses bas, comme pour me tatouer une peau novembrienne. Il pleut des ennuis sur une peau d’ennui. Je déambule comme une statue de plomb, creuse et sans semelle aux pieds qui, derrière elle, trace la coulée des eaux d’un être sans mémoire. Quand surgit ce maudit mois, les pensées inondent tout le calendrier de noyade tentaculaire répétée.» (p.43)
Daniel Danis suit les difficiles contours qui font les liens entre les humains, ces élans souvent brisés et malmenés qui laissent des blessures qui guérissent si mal. Sans compromis, il pousse encore plus loin sa réflexion, sa tendresse pour ces êtres plus doués pour la fuite que la vie. Apprivoiser la mort, c’est accepter la douleur de la séparation mais aussi la grâce de vivre; se faufiler dans tous les lieux de son corps. Parce que la mort peut donner un sens à la vie.
«Toute en sueur, toute en souffle, elle va d’abord, comme je l’ai vue, s’accroupir en catcheur sur son pénis ramolli, elle va descendre ses genoux au long des côtes d’Antoine, s’étendre sur sa poitrine, déposer sa tête au creux de son épaule et appuyer sa bouche dans son cou. Ils vont reprendre leur souffle… … Plutôt comme une tortue! Elle pensera qu’elle est une tortue sur le sable chaud du Sud, avec du bon vent plein d’odeurs soufflées de la nature, elle se verra pondre des œufs dans un nid creusé à même la plage. De sa bouche rouge sortira un: Je t’amoure. Je t’amoure.» (p.86)

 J’ai lu et relu ce texte, m’avançant et revenant pour en savourer la justesse, la densité et toute la beauté. L’écriture de Daniel Danis devient une sorte de mantra, de prière qui nous dessille l’être, pour ne pas dire l’âme.
Suzan Coolen s’intéresse à des objets si familiers qu’ils en sont devenus invisibles. Des plumes, une feuille d’arbre, une balle. Avec ces sujets, elle crée un espace, un lieu, un univers où le sujet acquiert une force et une plénitude fascinante. Une nouvelle identité je dirais. Les photographies de Suzan Coolen inventent des espaces tout comme les phrases de Daniel Danis. Une belle collaboration. Un plaisir rare que ce «Terre océane».

«Terre océane» de Daniel Danis et Susan Coolen est paru aux Éditions  Dazibao.         

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