«Culs-de-sac» de Sergio Kokis est, encore une fois,
un recueil de nouvelles senti, beau de couleurs et de pigments. Des textes
vivants et instinctifs qui ne se laissent ligoter par aucune théorie. L’écrivain
choisit toujours le plaisir, le songe qui l’emporte et lui fait inventer des
histoires qu’il ne trouve pas dans les librairies. Cela peut avoir l’air un peu
baveux, mais Kokis est comme ça.
J’aime surtout l’écrivain qui
n’hésite jamais à dénoncer les abus de pouvoir, les formes d’injustice qui
dépassent l’entendement et qui bafouent la vie humaine. Il est rare qu’un auteur
démontre une telle constance, une fidélité semblable à son univers, ses
préoccupations, son esthétique je dirais. Jamais il ne fait de concessions aux saveurs
du jour.
«Seule la littérature, par sa
grande richesse de fictions extravagantes, arrive encore à me captiver
entièrement, à assouvir ma soif d’aventures et d’existences imaginaires.»
(p.81)
«Culs-de-sac» présente encore
une fois le meilleur de Kokis. Tout y est: son goût pour les discussions, les réflexions
sur le sens de la vie et de la mort, l’art et les comportements des humains
dans des circonstances particulières. Tout cela avec son goût prononcé pour les
repas gastronomiques, les vins capiteux et les boissons qui permettent de
prolonger les discussions jusqu’aux petites lueurs du matin. Rien de trop bon
pour le cholestérol ou la tension artérielle, mais Kokis est au-delà de ces
préoccupations. Fumeur impénitent, il aime la rêverie, le plaisir de savourer
un scotch, d’allumer une pipe tout en multipliant les traits d’esprit.
«Je commençai à fumer à l’âge
de neuf ans. À cette époque, je n’avais pas d’argent pour acheter des
cigarettes. Je devais me contenter de les chiper à mon père ou à mes tantes. Je
ne me souviens pas comment, mais j’obtins alors une petite pipe bon marché;
avec elle, mon problème de tabac fut résolu une fois pour toutes. Je la
bourrais avec le contenu d’innombrables mégots trouvés par terre, même avec les
cigarettes qu’on me donnait. Si d’autres enfants avaient les poches remplies de
trésors hétéroclites, les miennes débordaient de brins de tabac. Ce fut le
début d’une passion qui ne me quitta plus.» (p.139)
Le psychologue n’est jamais
loin et la nouvelle se prête bien aux expériences. L’auteur aime pousser ses
personnages dans des situations où ils ne contrôlent plus leurs pulsions et leurs
craintes. Un pic rocheux où des militaires travaillent dans un phare, la
solitude terrible, le vent fou, insupportable. La frontière entre la vie et la
mort s’abolit. Des gens équilibrés commentent l’irréparable. Une explosion dans
une mine fait vivre le silence du tombeau à Pawel. Il ne sera plus jamais le
même après et ne pourra plus tolérer l’oppression et les carcans. Tout comme la
guerre transforme deux militaires en fauves prêts à tout.
Questionnement
Kokis n’hésite jamais à se
moquer de certaines croyances religieuses, des gens qui mettent l’écriture et
le rôle de l’écrivain au-delà de tout. En fait, il croit au plaisir, à la joie d’être
tout simplement.
«Le problème des frustrations
paralysantes se pose surtout lorsque l’objet de notre convoitise a l’apparence
illusoire de pouvoir être atteint par l’effort personnel ou par les études.
L’art d’inventer des histoires intéressantes – qui paraît relever uniquement de
la maîtrise de l’écriture – est l’un de ces objets de désir trompeurs,
fréquemment convoités et qui fourvoient parfois des gens très instruits.»
(p.213)
J’aime Kokis pour son regard
sur la société, sa foi en l’art, le beau, la pensée qui rejette tous les liens,
cette liberté qu’il recherche depuis «Le pavillon des miroirs» et qui fait que
les hommes sont vivants quand ils vont au bout de leurs obsessions ou de leurs
manies. Je l’aime, même s’il est un tantinet macho et que les femmes dans ses
écrits ne s’éloignent guère de la chambre du bordel.
Comment ignorer son humour
particulier, ses assertions bien acérées qui font souvent grincer des dents quand
il s’attarde à la situation du Québec, des écrivains et l’art en général. Kokis
a des idées et il ne se prive jamais de les dire haut et fort. C’est à prendre
ou à laisser. Et que cela fait du bien dans une société où des préjugés et des
clichés sont considérés comme des réflexions profondes.
«Culs-de-sac» de Sergio Kokis est paru chez Lévesque
Éditeur.