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mercredi 1 juin 2016

Marité Villeneuve revient sur son drame familial

Une version de cette chronique est parue
dans Lettres québécoises, Été 2016,
numéro 162.
MARITÉ VILLENEUVE a vécu un drame terrible, il y a plus de trente ans. Son frère dépressif met fin à ses jours après avoir tué son jeune garçon de deux ans. Un geste inexpliqué et inexplicable, une tragédie que l’on surprend dans une autre ville, que l’on voit dans les journaux, qu’on ne peut imaginer dans sa famille. Que s’est-il passé, qu’est-il arrivé ? Est-il possible de comprendre le geste de ce frère ? Y a-t-il un sens ou une explication à donner à cet événement qui a tout pulvérisé ? Comment regarder quelqu’un dans les yeux après un tel geste ?

Printemps 1977, à Jonquière. Les manchettes dans les journaux, les médias indiscrets comme toujours, moins que maintenant avec l’information en continu qui fait que des journalistes prennent d’assaut ceux qui gravitent dans les environs d’un drame ou d’une catastrophe. Le pire est arrivé. Le geste que personne ne peut imaginer.

Le 26 mars 1977, mon frère Rick, âgé de trente et un ans, s’enlevait la vie après avoir tué son fils de deux ans. Un acte désespéré dans un moment d’extrême détresse. (p.11)

Y a-t-il des mots pour dire l’impossible ? Que faire quand un cratère s’ouvre sous vos pieds et que vous êtes aspirés avec ceux et celles que vous connaissez depuis toujours ?
Marité Villeneuve ne pensait qu’à l’avenir. Et un tsunami frappe dans le pays de son enfance, dans sa famille, chez ceux qu’elle aime plus que tout et avec qui elle est devenue une femme.

FAIRE FACE

La famille ne sait plus, ne comprend pas. Tout s’effrite ! Tous se sentent coupables. Pourquoi ils n’ont rien vu ? Et il y a les regards, les silences et les éloignements des amis, des voisins, des collègues au travail. Ils se sentent visés, scrutés, marqués comme des êtres honteux parce qu’il y a eu ce geste, ce saut dans le vide, sans un mot d’explication. Que comprendre ? Est-il possible d’accepter ? Comment ne pas se sentir coupable d’être vivante et de n’avoir pas su voir le moment où il aurait été possible de faire en sorte que cela n’arrive pas ?

Perdre en même temps deux personnes, et dans des conditions aussi tragiques, cela relève de l’impossible, de l’impensable. La mort d’un proche, on la vit dans l’intimité, entouré des siens. Vécue sur la place publique, sous la violence des regards et des préjugés, avec l’œil intrusif des médias, de cette mort-là on ne guérit jamais. J’écris pour soigner mes morts. Et ce faisant, j’espère aussi soigner les vivants. (p.11-12)

Comment retrouver sa vie après, retourner au travail, se retrouver devant des collègues et entendre des remarques désobligeantes, imaginer des murmures, des commentaires et des allusions ? Il y a de quoi fuir, chercher à devenir un autre ou se retirer dans ses terres comme le fera le grand frère Paul.
Marité Villeneuve devait se marier dans l’été. A-t-elle le droit de penser au bonheur après un tel geste ? Est-ce encore possible ?

Plus rien n’est possible. Je ne veux plus me marier. Je suis en train de faire sauter ma vie en l’air. Je l’ai fait. J’ai chambardé ma vie pour quelques mois d’une passion qui ne durera pas. Et il n’y a pas de retour possible. Le fiancé éconduit, profondément blessé, on le comprend, ne me pardonnera pas. (p.31)

Et après, le long chemin avec un poids terrible sur les épaules, dans ses pensées, ses rencontres. Elle aura besoin de temps, de tellement de temps pour jongler avec les morceaux de ce puzzle. Sa vie d’écrivaine deviendra un pèlerinage où chaque mot, chaque phrase la rapprochent de ce 26 mars 1977. Sculpter sa vie, Les pleurantes, Je veux rentrer chez moi, tous ses livres convergent vers ce jour qui a pulvérisé la famille, ce début de printemps qui l’a jetée dans une autre vie. Les écrivains sont souvent en quête de guérison. Il y a une blessure, un drame et les livres sont là pour apprivoiser la douleur, l’accepter et respirer peut-être.
Marité Villeneuve travaillera comme psychologue pour entendre le mal des autres, pour oublier peut-être sa propre douleur sans cesse méditée. Il y a sa peine terrible, mais que faire devant la douleur d’un père qui n’arrivera jamais à comprendre, une mère qui réclame justice, son frère Paul, l’écrivain qui, après avoir publié Johnny Bungalow s’est tu. L’homme de tous les mots arpentait le silence parce que les phrases lui échappaient. Peut-être qu’il avait compris qu’elles ne peuvent rien changer à la vie et qu’elles ne sont que des cataplasmes. Je ne sais pas. Je me demande toujours ce qui peut faire en sorte qu’un écrivain se taise et tourne le dos à ce qui fait sa vie. Que faudrait-il pour que je fasse taire les mots dans ma tête, moi qui navigue sur les phrases depuis si longtemps ?

ACCOMPAGNER

La psychologue accompagnera sa mère en fin de vie, tentera de guérir de ce drame en sculptant, en créant pour se rapprocher de ce jour marqué au fer rouge. Dans J’écris sur vos cendres, elle s’aventure tout doucement sur la fragilité de son monde. Elle écoute ses proches et demande comment va leur vie après ce jour de mars. Il faut tenter de voir, pas disculper, mais rendre justice à ce frère désespéré qui n’arrivait plus à respirer dans les yeux des autres, voyait son avenir et celui de son jeune fils comme une douleur sans fin.
Elle parcourt les chemins de sa vie à l’aller comme au retour, l’avant comme l’après. Le courage de la mère, le silence du père avec la réclusion du grand frère l’écrivain qui avait si bien raconté le Québec dans Johnny Bungalow, une fresque qui nous portait de la colonisation en Abitibi jusqu’aux soubresauts de la crise d’Octobre à Montréal.
Marité Villeneuve le sait peut-être maintenant. Toute son œuvre tourne autour de cette journée, du geste désespéré de son frère qui l’a poussée dans une autre dimension. Elle n’aura jamais cessé de chercher à comprendre, de s’expliquer peut-être ce geste pour ne plus se sentir le poids du monde, elle la psychologue, celle qui devait voir et savoir toutes ces choses.

Parfois il faut se taire. Longtemps. Laissez le temps faire son œuvre. Et tenter d’oublier, simplement, oui, oublier, et s’accrocher très fort à la vie. C’est ce que Julien tentait d’expliquer à Elsa quand elle ressassait le passé. Il disait qu’il fallait tourner la page et vivre le présent. Elle, elle n’a jamais réussi. Mais les mères réussissent-elles à oublier la mort de leurs enfants ? Lui non plus d’ailleurs, n’a jamais pu, mais se taire, oui, cela il pouvait. (p.32)

Un livre de tendresse, de courage et d’amour où l’écrivaine tisse des liens, scrute les gestes de ses parents et de ses proches qui n’ont jamais pu comprendre ce drame et l’accepter. L’écrivaine parcourt lentement les sentiers de son passé pour sentir avec sa raison et son cœur ce Big Bang qui a tout emporté.
Je me suis souvent attardé sur ses phrases comme l’auteure a dû le faire en écrivant, biffant, recommençant pour arriver à dire juste. J’ai vite constaté que Marité Villeneuve me demandait aussi ce que j’aurais pu faire ou dire dans de telles circonstances. J’étais journaliste en 1977, au journal Le Quotidien du Saguenay-Lac-Saint-Jean. J’ai vu les manchettes certainement, mais je n’en garde aucun souvenir. Pourtant c’est un événement qui bouscule l’ordre des conférences de presse, crée une véritable onde de choc. Pourquoi ce trou de mémoire ? Devient-on insensible quand on fait métier de raconter les drames qui secouent la société ? Pourquoi je ne me souviens pas de ce 26 mars 1977 ? Je lisais tous les journaux alors. Je devrais me souvenir. Il y a tellement d’événements dont je me rappelle, mais rien de ce jour de mars.
Ça me questionne.  
Marité Villeneuve fait preuve d’un courage remarquable en osant secouer les cendres et écrire. L’écrivaine est admirable de résilience et d’empathie parce que la plupart du temps, on fait silence devant un tel geste. Personne n’aime y revenir pour toutes les raisons que l’on connaît et qui font tellement mal. Bien sûr, elle a trouvé les mots pour le dire, s’expliquer et tenter de comprendre un frère qui n’arrivait plus à supporter le fait d’être vivant.
Voilà le récit d’une femme courageuse qui veut comprendre et regarder la vie avec un sourire, arriver peut-être à vivre un dimanche tranquille à Pékin. J’écris sur vos cendres est un témoignage d’une sincérité et d’une délicatesse remarquable.

VILLENEUVE MARITÉ, J’écris sur vos cendres, Éditions Fides, 216 pages, 19,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : Nirliit de JULIANA LÉVEILLÉ-TRUDEL publié à La Peuplade.

dimanche 12 juin 2011

Marité Villeneuve poursuit sa réflexion

Ouvrir un livre de Marité Villeuneuve n’est pas sans conséquence. Le lecteur prend le risque de questionner sa vie et ses façons de faire. Parce que cette écrivaine s’aventure dans des récits à caractère réflexif, une écriture qui témoigne d’une transformation ou d’une mutation de l’être presque.
«Pour un dimanche tranquille à Pékin» ne fait pas exception. À quarante ans, Marie Vaillant «un personnage qui me ressemble et qui me dépasse en même temps», prévient l’auteure, quitte tout. Elle vend sa maison, à peu près tout ce qu’elle possède et part en voyage, le temps de rattraper ses rêves ou de les dépasser.
«Était-ce une quête insensée? Je voulais faire de ma vie une œuvre d’art. Transformer la douleur en beauté. J’avais côtoyé la souffrance et la mort: je voulais toucher la face ensoleillée du monde. Y avait-il une terre promise? Une fleur au baume guérisseur en quelque pays lointain? Je la trouverais cette fleur rare, j’en étais sûre. J’allais la rapporter. Et tout cela allait se dire, s’écrire dans le livre merveilleux (je l’imaginais ainsi) que je ferais en cours de route et que je publierais au retour… (pp.12-13)

Périple

Marie Vaillant quitte ses amis, son psy, confie la gestion de ses affaires à son père et s’embarque sur Queen Elisabeth II.
«Que mon cœur bat lorsque le bateau franchit les limites de l’île, s’enfonçant dans le brouillard. Je suis à la pointe avant du navire, m efforçant de lire un avenir que je ne discerne pas.» (p.25)
Le voyage la mènera en Angleterre, en France, en Espagne, en Italie, en Égypte et en Chine. Un an pour méditer, lire, tenter d’écrire, rédiger de longues lettres aux amis pour garder le contact.
La première partie du périple prend des allures de retrouvailles puisqu’elle rencontre des gens et retrouve des lieux fréquentés alors qu’elle était étudiante.
«On a beau savoir qu’il faut se perdre pour mieux se retrouver. On a beau se rappeler que d’autres l’ont fait avant soi, suivre les traces de l’écrivaine partie à l’aventure il y a cinquante ans. On a beau savoir tout cela, le sol que l’on foule est toujours nouveau et on ne met jamais les pieds dans les traces exactes des autres. Chemin de solitude, tel est le voyage. Le compagnon rencontré au hasard de la route sera tantôt laissé. Attachement et arrachement. Déplacer ses racines avec soi, s’arrêter quelque part, pas trop longtemps si l’on veut revenir, repartir avant que les racines ne s’ancrent dans un sol d’adoption. Repartir, mais garder les racines bien vivantes.» (p.57)
Cette écrivaine partie il y a cinquante ans est Gabrielle Roy, bien sûr.

Attentes

Des rencontres, la solitude aussi et des tentatives d’écriture. Marie n’aura pas le roman imaginé dans ses bagages au retour. Il est difficile de croire que l’on puisse plonger dans une fiction tout en se déplaçant constamment. L’écriture exige un ancrage et une forme de sédentarité.
Elle rédigera quelques nouvelles, renoncera à son projet et s’efforcera de vivre l’instant présent. Elle s’initiera au bouddhisme, réfléchira à sa vie, réussira peut-être à apprivoiser ses craintes et ses peurs.
«Voyager au-dehors ou au-dedans de soi… Il y a des jours où je ne sais plus. Je ne sais plus le sens de mon voyage. Je ne sais plus si je voyage davantage quand je suis dans ma chambre là-haut, à écrire, ou sur la route à visiter du pays. Je ne sais plus ce que partir signifie. «N’oubliez pas, écrit Borges, que tout ce que vous allez lire, c’est un voyage autour de ma chambre.»» (p.132)

Retour

Le long périple ramènera Marie au Québec. Elle se tiendra un peu en marge avant de replonger, s’attarde dans Charlevoix, rencontre Mathieu et vivra l’amour.
Une quête touchante qui prend souvent l’aspect d’un journal de voyage. Un récit dense, qui permet à l’écrivaine de prendre son élan. On y retrouve des moments effleurés dans les autres publications de Marité Villeneuve et c’est toujours d’une justesse remarquable. Le genre de témoignage qui secoue des habitudes. C’est pourquoi les écrits de Marité Villeneuve deviennent une belle occasion de faire un peu le tri dans les distractions de sa vie. Des récits qui touchent l’essentiel.

«Pour un dimanche tranquille à Pékin» de Marité Villeneuve est paru aux Éditions Fidès.

dimanche 30 janvier 2011

Marité Villeneuve sculpte sa vie

L’art, on le sait, prend souvent la forme d’une quête. On n’effleure pas les mots, le pinceau ou encore l’argile, sans bousculer l’autre qui se cache en soi. Autrement dit, des désirs et des blessures, que nous dissimulons dans nos contacts quotidiens, surgissent dans nos créations.

Certains thérapeutes passent par les dessins ou l’écriture pour faire découvrir à leurs patients un certain refoulé.
Marité Villeneuve, psychologue de formation et écrivaine, connaît la force des mots et de l’expression artistique. Dans «Des pas sur la page, l’écriture comme chemin», elle s’attardait au rôle de l’écrit dans une démarche de réflexion sur soi.
Dans «Sculpter sa vie», le titre est fort révélateur, Madame Villeneuve entreprend une réflexion à partir de petites sculptures qu’elle a réalisées au cours des années.
«Le jour où je me suis assise devant l’argile, une multitude de femmes ont surgi sous mes doigts. Ces personnages, je les ai appelés les Pleurantes. Non pas « pleureuses » mais « pleurantes », un mot qui pleure et qui chante, un mot qui contient à la fois la détresse et le chant.» (p.13)
Des femmes repliées sur soi, bouche ouverte sur une douleur qui vient du plus profond de l’être.
«J’avais repoussé jusqu’au dernier moment l’angoisse de mon confronter à l’argile. Mais il arriva ce premier matin de la création, ce premier tête-à-tête avec la motte, sans autre consigne que de faire ce que je voulais. Vite, je me raccrochai à cette pensée, ce désir : me créer, d’abord, me créer, ensuite je verrai.» (p.20)
Au cours des ans, il est né une petite famille de cette activité. Et voilà qu’après une décennie, elles s’imposent et demandent la parole d’une certaine manière.

Témoignage

En sculptant, écrivant ou peignant, des mondes surgissent avec force. Peut-être parce qu’ils sont bâillonnés depuis toujours. L’inconscient prend sa revanche alors et donne des œuvres qui étonnent.
«Ainsi sont les Pleurantes. Nées de gestes rassembleurs : sentir, caresser, pétrir, écraser, malaxer, pétrir encore. Issues d’une mouvance intérieure, dans des alternances de silence et de bercement, de violence et de tendresse. Jusqu’à surgissement d’une forme, tirée du néant, du chaos. Nées de là, de ce chaos.» (p.39)
Denise Desautels a emprunté une démarche similaire en écrivant «autour» des installations de Michel Goulet.
«S’il est un mot que le travail dans l’argile m’a appris, c’est celui de consentir. En modelant la terre, on apprend à s’abandonner à ce qui émerge, à accepter l’imprévisible. Non pas se soumettre ni obéir aveuglément, mais sentir avec. En accord avec la terre. Sentir que cette forme, même en dehors de ma volonté propre, m’indique peut-être un chemin. Sentir : savoir de l’intérieur, connaître par les fibres sensibles, reconnaître en soi. Consentir, c’est aussi déposer son fardeau.» (p.113)
Une belle manière de cerner ces pulsions qui poussent vers le geste créateur et libérateur. Une façon de réfléchir à sa vie, à ce qui se cache en soi et qui ne demande qu’à s’exprimer. Parce que toute création est un appel, un cri qui tente de rejoindre l’autre.

Démarche

Un livre d’émotions qui emprunte la démarche de l’aveugle qui cherche sa route. Parce que créer, c’est peut-être apprivoiser ces obstacles (en nous comme hors de nous) qui empêchent de trouver la paix et de bondir dans la plus grande des libertés.
Marité Villeneuve continue ici une réflexion qui cherche à mieux se connaître et à apprivoiser l’humain qui se livre dans la création. Un essai qui nous confronte. Il est difficile de ne pas revenir aux photos des figurines et de réfléchir à ce qu’elles nous disent. Madame Villeneuve devient un guide, une confidente dans cette démarche essentielle qui exige beaucoup de franchise. Parce que les pleurantes bousculent et interpellent. Une lecture qui se retourne vers soi tel un miroir.  

«Sculpter sa vie» de Marité Villeneuve est publié aux Éditions Fides.

dimanche 10 janvier 2010

Katia Canciani écrit à Antoine de Saint-Exupéry


Katia Canciani a été pilote, adorait se glisser entre les nuages, avoir la sensation d’être un oiseau.
La vie a fait en sorte que celle qui cherchait à s’envoler est demeurée au sol. L’arrivée des enfants, la vie qui prend une autre direction. L’écriture a pris la place que ses trois marmots veulent bien lui abandonner.
Dans «Lettre à Saint-Exupéry» elle décide d’écrire à l’auteur du «Petit prince». Après tout, il était pilote et écrivain. Elle se raconte, le convoque dans un café pour discuter. Elle connaît ses romans bien sûr. Elle parle de son rêve de voler, de l’école de pilotage de Chicoutimi, ses problèmes en tant que femme dans un monde masculin, un accident grave à l’amerrissage. Elle a amorcé une carrière d’instructeur jusqu’à son ras-le-bol devant l’attitude de certains étudiants. Cela arrive, même quand on sait défier la gravité. Les humains demeurent les humains.
Katia Canciani confie ses craintes devant le monde de l’écriture. Il doit savoir lui, l’auteur de «Vol de nuit» et de «Terre des hommes». Il y a peut-être une manière de saisir les mots, un plan de vol pour inventer un roman. Bien sûr, Saint-Exupéry reste silencieux. À chacun de trouver son chemin et de vivre ses expériences.
Katia Canciani survole l’œuvre de Saint-Exupéry, glane une phrase ici et là, raconte ses frayeurs devant ce nouveau monde.
Ses illustrations sont naïves à souhait, enfantines même. Clin d’œil au «Petit prince» peut-être, mais là encore rien de convaincant. Un ouvrage sympathique, sans plus.

« Lettre à Saint-Exupéry » de Katia Canciani et publié aux Éditions Fides.

samedi 15 août 2009

Carmel Dumas ne réussit pas à convaincre

Tous en conviennent. «L’Osstid’show» a été un point tournant dans la musique et la façon de présenter un spectacle au Québec.
Bruno Roy dans «L’Ossstidcho ou le désordre libérateur», un essai fort bien documenté, le démontre parfaitement. Malgré une graphie différente, les deux auteurs parlent du même événement.
Carmel Dumas remonte au temps des boîtes à chansons pour plonger dans les spectacles multidisciplinaires, se permet des incursions côté cinéma, des médias, du théâtre et des arts visuels, tentant d’établir des liens avec ce qui se vit en Californie et en France. Une démarche globale et particulièrement ambitieuse.

Années folles

Au début des années 60, les frontières deviennent des passoires et la jeunesse du monde apprécie les mêmes musiques et cultive les mêmes révoltes. Le Québec vit alors des moments d’effervescence. Les compositeurs et les interprètes sont bousculés par les Beatles, les Doors, Frank Zappa et Bob Dylan. Les murs des boîtes à chansons ne peuvent supporter autant de décibels.
«C’est à cette heure magique, qui ne sonne qu’à des moments très distanciés dans l’Histoire, que remonte l’origine de L’Osstid’show, un des récits préférés d’un Québec entre chien et loup, un brin nostalgique de ses années lumineuses d’aventure et de conquête. L’histoire tourne autour d’une explosion artistique extraordinaire, provoquée par l’effet combiné des bombes posées par le Front de libération du Québec et des pétards circulant au hasard de la bohème psychédélique.» (p.7)

Spectacle unique

Carmel Dumas s’attarde auprès du noyau qui a donné «L’Osstid’show»: Mouffe et Louise Forestier, Robert Charlebois et Yvon Deschamps, mais c’est l’ensemble de la vie artistique de Montréal qu’elle tente de décrire à grands traits.
Autant le dire, j’ai souvent pris plus de plaisir à m’attarder aux photographies qu’au texte. Parce que quand Carmel Dumas s’excite quand elle cherche à décrire le réveil du Québec. Ses envolées font sourire.
«Montréal est une fille de port aux sangs mêlés dont les princes des églises, les rois de la finance, l’aristocratie des arts et lettres et les mandarins politiques se disputent férocement le lit. C’est flatteur, elle ne le nie pas. Elle adore qu’on la courtise et qu’on la complimente, que l’on accourt en grand nombre à ses fêtes et que l’on rêve des impossibles rêves en regardant virevolter ses jupons aux volants multicolores, taillés à même les oripeaux de ses éclectiques amants dont elle protège jalousement la parcelle d’âme qu’elle leur a dérobée durant leurs étreintes.» (p.46)
Plus de sobriété aurait mieux servi son propos. Peut-être aussi que son «point de vue global» était un pari impossible à tenir. J’y reviens, cette manière de dire donne l’impression que l’auteure écrit en apnée.
«À sa mort, (Maurice Duplessis) même s’il tenait encore la majorité des enfants de la belle province d’une poigne solide, le Chef avait presque totalement perdu le contrôle de Montréal. Elle se moquait ouvertement des conventions, faisant les poches aux hommes d’affaires anglophones et s’envoyant en l’air avec les Parisiens anarchistes, ces excentriques en rouge et en noir qui s’étaient amenés en même temps que la télévision, chantant à tue-tête « La mauvaise réputation » et « Le gorille » de Georges Brassens.» (p.48)
«Montréal show chaud», avec ses raccourcis et ses clichés, s’avère le document brouillon d’une groupie qui n’a pas su garder ses distances pour démêler les fils d’une époque pas comme les autres.

«Montréal show chaud» de Carmel Dumas est paru aux Éditions Fides.

dimanche 21 juin 2009

Yves Beauchemin retrouve la voix du conteur

Après «Le Matou» et «Juliette Pomerleau» qui ont marqué l’imaginaire des Québécois, Yves Beauchemin nous entraîne dans un conte où certains travers de notre société font surface.
Un jeune renard attire tous les regards avec sa fourrure d’un bleu éclatant. Il naît dans une famille singulière. Ses parents ont le don de la parole et son père Albert sillonne les routes au volant de son camion tandis qu’Iphigénie, la mère, s’occupe de sa tanière, la seule à avoir l’électricité au Québec. Autour du jeune renardeau gravite Octave, un ours au grand cœur, un canard à  la force herculéenne et Bruno le squelette qui doit se faire discret. Sa nature fait qu’il affole les humains quand il se pointe. De temps en temps, ils reçoivent la visite d’une famille de fantômes.
L’idée n’est pas nouvelle, Monsieur de Lafontaine a donné la parole aux animaux dans ses fables et il n’est pas rare de croiser un animal à la langue bien pendue dans les contes traditionnels. Yves Beauchemin retrouve une longue tradition.
Tout pourrait aller comme dans le meilleur des mondes s’il n’y avait une sorcière qui dissimule bien son jeu.
«Gertrude Grondin cachait à tous son état de sorcière. Officiellement, elle était brodeuse de voiles à bateaux. Comme il n’y avait pas beaucoup de bateaux à voiles dans la région, et encore moins de personnes désireuses d’orner leurs voiles de broderies, les affaires étaient plutôt calmes. Gertrude Grondin s’en fichait, son métier lui servait uniquement de façade, ce qui lui permettait des activités autrement lucratives (et la plupart du temps illégales).» (p.47)
La sorcière, qui a changé son nom pour celui d’Eulalie Laloux, jette un sort à la famille de Renard Bleu et les plonge dans un profond coma. Pour contrer le sortilège, il doit résoudre une énigme.
«Écoute-moi bien, car je ne répéterai pas. Si tu veux que tes parents et ta petite vaurienne de sœur reviennent à la vie, il faudra que tu leur laisses tomber dans la gueule cinq gouttes du sang d’un enfant qui aura dormi pendant quatre-vingt-dix ans. As-tu compris? Cet enfant existe! Il suffit de le trouver.» (p.68)

Mauvais sort

Toute l’histoire consiste à déjouer le mauvais sort et à percer cette énigme. L’aventure mènera Renard Bleu, Octave l’ours et le canard athlétique aux quatre coins du Québec. Ils rencontreront un premier ministre fort soucieux de son image, un homme d’affaires connu, un ermite abitibien plutôt étrange. Ce sera pourtant Bruno le squelette qui trouvera la clef de l’énigme.
«Bon sang! rappelez-vous la phrase qu’elle m’a dite! «Là où se trouve l’enfant qui dort depuis quatre-vingt-dix ans, on marche sans toucher le sol et il n’y a pas de vent.» Qui marche sans toucher le sol? Les poissons, bien sûr. Et dans le fond de l’océan, il ne peut y avoir de vent, car il n’y a pas d’air. Que dites-vous de ça?» (p.272)
On retrouvera finalement l’enfant qui repose dans la voûte du Titanic, au fond de l’océan Atlantique. Renard Bleu réussira l’impossible avec l’aide de ses amis, particulièrement du bébé fantôme. Ils délivreront l’enfant et ramèneront la famille de  Renard Bleu à la vie. Tout est bien qui finit bien.
Intérêt

L’intérêt de ce conte plein de rebondissements et d’inventions, repose sur des clins d’oeil au monde contemporain. Les politiciens avec Jean Charest en tête, l’homme d’affaires Paul Desmarais et certains fonctionnaires qui étourdissent Renard Bleu avec leur jargon.
«Au risque, monsieur Renard Bleu, d’insatisfaire en vous une appétence longuement nourrie, je me dois de fournir à votre système cognitif les éléments suivants : notre chargé de programmes scientifiques, monsieur Franz-Ferdinand Bhottyne, se voit force vous imposer sa malheureuse absence et m’a demandé de le suppléer pour l’occasion.» (p.122)
Yves Beauchemin s’amuse et il est difficile de ne pas en faire autant. Le conteur envoûte le lecteur qui accompagne Renard Bleu le sourire aux lèvres. Comme si nous avions été ensorcelé par la vilaine Eulalie Laloux. Une belle lecture pour l’été.

«Renard bleu» d’Yves Beauchemin est publié aux Éditions Fides.

jeudi 12 juillet 2007

La mémoire reste le fondement d’une société

Les humains croient souvent qu’ils marqueront leur époque, laisseront des encoches sur les siècles et qu’on évoquera leurs noms bien longtemps après leur mort. Pour ce faire, ils s’obstinent à édifier des villes, des empires et des machines indispensables à «la progression de l’humanité». Et puis, après quelques décennies, la trouvaille du siècle dernier fait sourire et semble futile. Même les plus grandes civilisations ont plié devant la marche implacable du temps.
Les continents sont devenus des immenses jardins de vestiges. Tous les paysages, de la plaine à la montagne, portent les cicatrices des activités humaines. Même les océans n’ont pas été épargnés. Tous les pays sont de vastes palimpsestes que très peu de gens savent lire et interpréter.
Heureusement, des individus font oeuvre de mémoire. Les archéologues, les anthropologues et les historiens agissent en détrousseurs de vies. Les artistes, à leur manière, secouent la poussière de l’oubli et se faufilent dans la durée. Un effort, peut-être dérisoire pour contrer l'amnésie collective. Biographies, sagas historiques et certains romans tentent de réactualiser des exploits et des aventures qui ont constitué l’esprit les nations.

Grands distraits

Pourtant, les humains sont terriblement distraits. Ils oublient souvent de regarder l’environnement, de saluer les «témoins» qui ont été les architectes de leur monde. Une clôture affaissée, une maison ouverte aux vents et à la pluie, des champs abandonnés à la végétation sont les pages d’un livre qui s’efface peu à peu. Il suffit de circuler dans le parc de Pointe-Taillon, par exemple, pour buter sur des vestiges qui rappellent les humains qui ont défriché cette partie de territoire, il y a un siècle. Ce peut être les fondations d’une maison ou un massif de roses qui semble s’être égaré au milieu d’une pinière.
Dans «Les rescapés du Styx», Jane Urquhart, une romancière canadienne anglaise, entraîne le lecteur dans une fresque à la fois contemporaine et historique. Jérome, artiste, se passionne pour les ruines qui balafrent le paysage et sa propre vie, Sylvia reconstitue son environnement en fabriquant des cartes tactiles pour une amie aveugle. Andrew, une sorte de géographe, explore la saga de sa famille, remonte jusqu’à l’arrivée du premier Woodman en Amérique, l’époque des grandes entreprises forestières qui coupaient tout autour des Grands lacs, du flottage du bois sur le Saint-Laurent et des immenses radeaux qui flottaient jusqu’à Québec. À la fin de sa vie, il est aspiré par la maladie d’Alzheimer qui grignote peu à peu sa mémoire pour ne laisser qu’une immense page blanche. Il est à l’image des sociétés qui s’effacent et se reconstruisent sur des ruines.
«La convergence de la vie. Je pense que ça peut vouloir dire que, pendant que tu restes stable, tu dois aussi accepter que le monde va changer autour de toi, et que tu dois demeurer ouvert et conscient de ces changements bien que ça suggère aussi que ta vie converge avec celle de Dieu, ou quelque chose de cet ordre.» (p.164)

Écrire le paysage

Madame Urquhart fait renaître des figures oubliées, des hommes et des femmes fascinants. Elle permet de voir vraiment et de comprendre l’écriture du paysage. Sans quoi, nous marchons comme des aveugles qui effleurent les objets, trébuchent sur des signes sans savoir d’où ils viennent. Parce que le présent n’est que la couche la plus récente du passé. Une société ne peut demeurer vivante sans avoir conscience de ses grandes époques.
«C’est étrange, maintenant que j’y pense, qu’on accorde toujours autant d’attention à la construction, alors qu’en réalité le processus de désintégration est omniprésent, inévitable.» (p.336)
En ce siècle où l’on néglige d’enseigner l’histoire, où l’on confie à peu près tout aux ordinateurs, le roman de Jane Urquhart dévoile un siècle, ses folies commerciales, ses soifs de profits et de richesses. Une vision qui a mené à l’épuisement des ressources, à une pollution de plus en plus terrifiante et au réchauffement accéléré de la planète.
De quoi tirer des leçons et cesser de se comporter en ignorant. L’avenir n’est possible qu’en tenant compte de ceux qui nous ont précédés. Le pire fléau qui menace l’humanité est de croire que tout commence et se termine avec sa génération.

«Les rescapés du Styx» de Jane Urquhart est paru en traduction française aux Éditions Fides.
http://www.fides.qc.ca/livre.php?id=10

samedi 14 mai 2005

Marité Villeneuve vit la maladie de sa mère

«C'est un livre pour aider à mieux comprendre ce que vivent les personnes âgées. Tout ce qu'on perd en vieillissant parfois. Tout ce dont il faut se détacher. Les maisons que l'on quitte...» (p.146)
«Je veux rentrer chez moi», permet au lecteur de confronter une maladie dont peu de gens parlent. Alzheimer est un mot qui fait frémir. La mère de l'auteure a été touchée par cette maladie comme beaucoup de gens au Québec. Le plus célèbre aura peut-être été le cinéaste Claude Jutra. Marité Villeneuve, écrivaine et psychologue native de Jonquière, dans ce journal touchant, émouvant et particulièrement juste, nous plonge dans une aventure pas comme les autres.
De novembre 1998 à mai 2004, elle a accompagné sa mère, a vécu les différentes étapes de cette maladie qui pousse l'être dans un véritable trou noir. Des premiers symptômes à la fin. L'écrivaine, dans des carnets rédigés au jour le jour, nous fait vivre cette rencontre ou cette confrontation.
«Pendant cinq ans, j'ai donc tenu un journal. Au départ, je voulais surtout essayer de comprendre l'univers intérieur d'une personne dite «atteinte», témoigner de son combat quotidien pour conserver sa mémoire et sa dignité, et témoigner du vécu d'une accompagnante.» (p.10)

Lourde entreprise

Marité Villeneuve ne savait pas ce qui l’attendait quand elle a choisi d’accompagner sa mère. La plupart des gens se contentent de confier la «personne atteinte» à des spécialistes et de la suivre comme ils peuvent. Vivre la maladie de sa mère, au jour le jour, devenir son miroir peut s'avérer une tâche redoutable. Une décision qui demande du courage, de la patience, de l’empathie et surtout être capable de se «couper de l'émotion» pour ne pas être trop touché. On peut penser que la formation de psychologue de Marité Villeneuve l’aiderait. Et bien non! Il n’y a pas de préparation. Que faire devant sa mère qui ne reconnaît plus ses proches? L'auteure redevient une petite fille. Les émotions surgissent, des images, des mots et des bouts de phrases la plongent dans son enfance. Elle est rapidement confrontée à ses propres images et à ses blessures.
«Bref, ce cahier a été le lieu où je pouvais projeter ma détresse sans qu'elle ne paraisse trop lourde. J'emploie ici le mot détresse et me sens en même temps presque coupable. Comment oser parler de «ma» détresse quand ce n'est pas moi qui suis «atteinte». Mais je le suis peut-être également; peut-être l'aidant l'est-il aussi, pris malgré lui dans le filet de la «démence» (je déteste ce mot, mais il y a des jours où je n'en trouve pas d'autres). (p.83)

Réactions

Marité Villeneuve guette ses réactions face à la confusion, à la perte du langage, à l’incapacité de reconnaître ses proches, aux colères, à l’envie de fuir et à la honte. Son récit nous permet de franchir les différentes étapes jusqu'à la toute fin, de vivre le lent glissement qui pousse un homme ou une femme hors de soi.
Elle garde ce qu'il faut de distance pour nous faire comprendre la maladie et peut-être aider à mieux la vivre. Elle nous brosse les dernières années d'une femme admirable, d’une femme courageuse. C’est alors que le talent de l’écrivaine se manifeste. Un livre d'émotions, sensible et particulièrement juste.
Cela m'aura permis de mieux comprendre les derniers moments de certains de mes proches. Parce que, très souvent, la famille des personnes atteintes est gardée dans l'ignorance ou à l'extérieur d'un langage codé et accessible uniquement aux spécialistes.
Un récit qui deviendra une référence pour nombre d'accompagnants qui pourront mieux faire face à ce que vit une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer et comprendre ses réactions. Nécessaire!

«Je veux rentrer chez moi» de Marité Villeneuve a été édition aux Éditions Fidès.