CAROLINE THÉRIEN, dans Ce
que l’avenir ne dira pas, propose une vingtaine de nouvelles regroupées
sous trois titres au nom évocateur. Augures,
Nécromances et Clairvoyances. Les augures seraient des signes ou des événements
qui permettent de prévoir l’avenir. C’était également le nom d’un
prêtre, dans les temps anciens, qui interprétait des phénomènes
naturels et sauvait ainsi ses fidèles du pire et du mal. La nécromancie permettrait
d’entrer en contact avec les morts et de dialoguer avec eux tandis que la
clairvoyance est plus difficile à cerner. On parle d’un
don qui permet de savoir exactement le moment de sa mort et de prédire les plus
grandes catastrophes. Caroline Thérien cherche peut-être tout simplement une manière
de cerner l’humain dans ses peurs, ses craintes et ses espérances.
Je ne suis pas
très friand des romans où les morts hantent les vivants, où la peur colle au
dos des fantômes et des revenants. J’aime encore moins les films où les
cadavres se dressent dans les cimetières pour s’en prendre à tout ce qui est
vivant. J’ai tenté récemment de visionner Saint-Martyrs-des-Damnés
de Robin Aubert et j’ai abdiqué après quelques scènes. Les gros plans, les
visages tordus, les yeux creux qui dégagent une étrange lumière, ce n’est pas
pour moi.
Je retrouve
peut-être les craintes de mon enfance, ces moments où l’on jouait à se faire
peur, où les morts revenaient la nuit pour nous tourmenter. Mon père m’effarouchait
souvent en racontant qu’au temps de la grippe espagnole, on avait enterré des
gens vivants. Plusieurs s’étaient réveillés dans leur cercueil, sous deux
mètres de terre. Après ces histoires, je hurlais la nuit, réveillant toute la
famille. Je tremblais devant le monstre qui cherchait à m’attirer dans un
cercueil ou un lac de boue. Je suis peut-être demeuré ce petit garçon
effarouché et c’est pourquoi je n’aime pas ce genre de littérature et de
cinéma. La peur, je l’ai connue enfant et je ne veux plus la fréquenter.
Autant plonger
dans un premier texte pour vous montrer de quoi il retourne. Une nouvelle
intitulée Darjeeling, comme le thé. Vous
allez être rassuré comme je l’ai été après quelques lignes par cette jeune
femme qui entre dans une librairie et demande un thé. Un
écrivain perd souvent son lecteur dès la première page ou il l’accroche et le retient
jusqu’à la fin.
Un
soir où je m’apprêtais à fermer ma boutique, une fille est entrée avec la
pluie. De fins cheveux roux émergeaient de son capuchon comme les tentacules
d’une méduse, et son manteau dégouttait sur le plancher. Sans dire un mot, sans
même rabattre sa coiffe, elle a fait un pas vers moi. Au passage, ses doigts
ont effleuré l’échine brisée des livres cordés sur les rayons. Ses genoux, qui
pointaient à travers son jean, étaient écorchés. Tachés de boue. (p.13)
Là, j’ai su que
j’irais plus loin avec Caroline Thérien. Le mot précis pour décrire son
personnage, le placer dans un décor qui détonne un peu. Cette femme s’évade du
monde de la pluie pour demander une tasse de thé. Tout y est. Les cheveux roux
(la mauvaise réputation des roux) comme les tentacules d’une méduse. L’animal
ou la déesse qui apparaît pour la première fois dans L’odyssée d’Homère ? Une divinité née de l’union de la terre et de
la mer. Des époques se confondent et nous ne savons plus à quoi nous attendre.
FRONTIÈRE
Caroline Thérien
sait jusqu’où aller et ouvre doucement une fenêtre, pousse une porte, pointe
une direction et c’est à moi de faire le chemin, de comprendre ce qu’il y a à
comprendre. J’aime qu’elle fasse confiance à mon intelligence. Nous basculons
du côté de conte et de la légende, des histoires un peu floues où le réel et
l’imaginaire se confondent.
Aussitôt
réveillée, elle a bondi hors de sa boîte, un peu chancelante parce qu’elle
avait fait la morte pendant toutes ces années. Comme un gros rat, elle s’est
jetée sur le mur de sa chambre pour en ronger le plâtre. Elle s’y est fait un
nouveau nid et, depuis, elle vit dans les murs ou flâne dans le plafond, juste
au-dessus de son piano.
Puisqu’il
ne sait plus comment dormir, il a tout le temps de se demander ce qui lui a
pris de vouloir réveiller les morts. Les morts, tout le monde le sait, sont
comme des enfants. Une fois tirés de leur sommeil par un violent cauchemar, ils
refusent de se remettre au lit. (p.86)
L’impression de revivre
ces rêves d’enfant, d’entendre ces bruits qui me tenaient éveillé la nuit, faisant
en sorte que je ne voulais plus dormir, imaginant des êtres faméliques qui se
faufilaient dans les fentes du plancher.
Je retrouve là des
échos aux histoires de mon père et de mes oncles dans la manière de cette
écrivaine. La nature devient vivante, animale et peut vous avaler comme vous repousser.
Et il y a ces rencontres que vous n’arrivez jamais à oublier et qui vous
laissent comme une âme qui va à la recherche de son corps.
PAYS
Caroline Thérien aime
le flou, l’imprécis, ce qui est le propre du conte qui ne s’attarde jamais aux
décors. L’action avant tout. Bien sûr, il faut savoir que nous sommes quelque
part, dans un village et c’est suffisant pour embarquer dans le grand canot de
la Chasse-Galerie et se laisser séduire par les promesses du diable et de tous
les sorciers de la terre.
J’aime ces pays de bord de mer où la brume et les nuages ouvrent une autre
dimension.
Voilà
des années que vous ne rêvez plus, ajoutez-vous en partageant ce qui reste de
la bouteille. Pas que ça vous manque. La noirceur moelleuse de votre sommeil
étouffe tout. Depuis, tous les vins, même les portugais racés, vieillis dans la
cave des vieux contrebandiers, ont le même goût, mais, au moins, pas un
ectoplasme ne vient gêner votre torpeur, et la mer, au plus profond de la nuit,
n’est plus qu’un bruit ambiant. Et ce soir vous ne demandez rien de plus. Un
peu de repos au bord d’une route tronquée par l’océan. (p.109)
Caroline Thérien ne
s’éloigne guère du monde de maintenant pour réinventer le mystère, l’étrange,
le curieux dans des histoires qui ne s’expliquent pas, mais qui peuvent venir
perturber notre vie et notre tranquillité à une époque où l’on pense tout apprendre
en consultant Internet et Wikipédia.
Un monde ancien
colle à notre époque et nous montre que l’humain change peu malgré toutes ses
découvertes et ses prétentions. Une quête de sens, une tentative qui repousse
certaines frontières.
Caroline Thérien
est fort habile et il est difficile de résister à son écriture. Un rythme
s’impose, une musique qui nous berce dans des histoires qui oscillent entre le
possible et l’imaginaire. C’est vivant, de peu de mots et juste. J’aime. Tout
se passe dans la tête du lecteur et c’est suffisant pour se perdre dans un
étourdissement ou un rêve éveillé.
CE QUE L’AVENIR NE DIRA PAS
de CAROLINE THÉRIEN, une publication de LÉVESQUE ÉDITEUR.
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