FRANCE BOISVERT nous invite dans une
classe avec de vrais étudiants dans Professeur de paragraphe. Un groupe où l’on étudie le français, la
littérature comme on le fait partout au Québec dans les cégeps ou les
universités. Maurice enseigne depuis un certain temps, trop peut-être. Voilà un
résistant qui a vécu toutes les réformes du ministère de l’Éducation, la
mutation des étudiants et des étudiantes au cours des années. France Boisvert
connaît bien ce sujet puisqu’elle enseigne le français et la littérature depuis
trente ans. Voilà l’occasion de nous faire vivre les difficultés qu’un missionnaire de la littérature rencontre
au jour le jour quand il tente de susciter la curiosité des jeunes envers certains
grands prosateurs de la langue française.
D’habitude, je ne m’attarde pas aux livres qui me déçoivent. Autrement
dit, au lieu de dénigrer le travail d’un écrivain, je préfère passer à un autre
livre. C’est pourquoi sur mon blogue, vous ne trouverez pas souvent de
chroniques négatives, du moins dans ma période récente. Certains disent que je
fais des chroniques de complaisance,
que je suis un gentil chroniqueur qui flatte les écrivains dans le sens du
poil. Un premier regard sur mes textes peut donner cette impression.
Il se publie des centaines de romans, d’essais et de recueils de
nouvelles au Québec chaque année. Alors si un titre n’apparaît pas dans mes
chroniques, vous pouvez vous demander si j’ai eu le temps de le lire, ou si cet
ouvrage n’a pas réussi à me convaincre. Je ne parle jamais non plus des
publications à compte d’auteur.
Il y eut une époque où j’avais la détente rapide et me permettais de
véritables incursions dans les nouveautés, sabre à la main. Pour les curieux,
allez fouiner dans les archives de mon blogue.
RETOUR
Vous le savez, je suis également écrivain. Et j’ai goûté à la
médecine de certains critiques au cours des années. Réginald Martel a été
particulièrement cinglant, me réduisant en charpie à plusieurs occasions. Le
critique de La Presse m’a laissé sur
le carreau, surtout après la parution de mon roman Les Oiseaux de glace. Ça fait mal à l’être et je peux dire que la
blessure ne cicatrise pas vraiment. Alors, cela m’incite à la prudence et je
connais les conséquences d’un texte dévastateur.
Je tente plutôt d’établir un dialogue avec un écrivain, souvent
quelqu’un que j’ai rencontré, que j’aime bien et que je croise dans les salons
du livre. Parce que je suis toujours là quand l’occasion se présente de rencontrer
des écrivains et de dénicher de nouveaux auteurs. Certains tournent le dos
quand ils me voient. D’autres me tiennent responsable d’avoir saboté leur
carrière d’écrivain. Je me suis toujours dit que je devais pouvoir prendre un
café avec l’auteur que je venais de malmener dans un journal ou une revue. Je
ne suis pas l’ennemi des écrivains. Je les accompagne depuis si longtemps.
APPROCHE
Je considère maintenant que mes chroniques font partie de ma démarche
littéraire. Elles sont aussi importantes que mes œuvres de fictions ou mes
carnets. C’est une manière de parler de soi et des autres, de tenter de cerner
le grand mystère de la fiction et de la littérature. Ce plaisir que l’on
éprouve ou pas devant un texte, une histoire, une écriture.
Je n’ai pas de grilles d’analyse, de moule pour dire si un livre
est réussi ou pas. Quelqu’un qui se risque dans la critique ou la chronique y arrive
avec ses préjugés, ses préférences, ses limites et ses goûts. Tout comme
l’écrivain a ses lectures, ses auteurs favoris et un genre où il se sent à
l’aise. Un écrivain et un chroniqueur sont des frères siamois.
Je cherche en tant que lecteur à faire un bout de chemin avec un auteur.
Il faut que ça clique, que le courant passe, que nous allions
quelque part. La magie doit s’installer, que j’adhère à sa démarche. Enfin, il doit y avoir aussi une écriture, un style, ce que j’appelle une musique. Il faut une empreinte. Malheureusement, il arrive que ça ne marche pas, ça arrive même assez souvent.
Et je suis un lecteur qui peut se laisser convaincre facilement. J’oublie mes goûts, mes préférences naturelles pour accompagner un romancier ou une romancière avec le plus d’empathie possible. Je ne dois surtout pas chercher un autre livre dans celui que je lis. Lire le livre et seulement le livre que j’ai dans les mains. Et quand je deviens chroniqueur, je dois faire ressentir ce plaisir et raconter l’aventure que j’ai vécue.
Et je suis un lecteur qui peut se laisser convaincre facilement. J’oublie mes goûts, mes préférences naturelles pour accompagner un romancier ou une romancière avec le plus d’empathie possible. Je ne dois surtout pas chercher un autre livre dans celui que je lis. Lire le livre et seulement le livre que j’ai dans les mains. Et quand je deviens chroniqueur, je dois faire ressentir ce plaisir et raconter l’aventure que j’ai vécue.
PROFESSEUR
Et Professeur de paragraphe
dans tout ça ? Habituellement, je ne me serais pas attardé à un roman comme
celui de France Boisvert. Premier réflexe : je me tais. Et puis ce n’est
pas si simple. Je suis déçu par ce roman et un peu fâché contre France
Boisvert. L’enseignement de la littérature, des œuvres importantes a pris
tellement de place dans ma vie. Comme si elle me touchait personnellement dans ce
roman.
J’ai eu du mal avec ce ton, ce cynisme qui transpire dès
les premières pages. Maurice ne croit qu’en la littérature française et celle
des grands prosateurs russes. De quoi me faire grogner ! Les écrivains du Québec
sont de pauvres asthmatiques même s’il semble en lire quelques-uns. Et pour
lui, tous les étudiants sont des cancres et des ignares. La certitude que je
partais en voyage avec un homme qui allait me tomber sur les nerfs pendant des
jours.
À l’aube, les professeurs qui dispersaient le premier cours de la
journée pouvaient entendre leurs sinistres croassements saluer leur arrivée.
Tout au long de la journée, la bande d’oiseaux noirs surveillait les années et
venues des gens pour s’envoler de leur perchoir et laisser planer leur ombre
au-dessus des lieux, imperturbables aux diverses réformes prescrites par le
ministère de l’Éducation qui s’enchaînaient les unes aux autres en un savant
désordre. (p.13)
Ça donne le ton. Corneilles et étudiants et enseignants.
L’impression d’être dans un collège des années 40. Malgré tout, il semble que quelques-uns
aiment les cours de Maurice. Il se démène et donne tout comme un joueur de
hockey à chacune de ses présences.
VIE
Et puis on bascule dans sa vie personnelle. Sa vie de couple qui chambranle. Sa Janou rédige un dictionnaire de la nouvelle orthographe
française. On n’en apprendra pas beaucoup sur le sujet.
Inutile de préciser que mon mariage m’enrage et bat de l’aile.
Janou et moi, nous nous sommes installés dans les us et coutumes de
l’encroûtement qui conforte, l’aveuglement volontaire, le déni des petits
défauts qu’on ne voit plus, l’automatisme des enchaînements produisant le
montage d’une relation indolore, inodore et sans saveur assurant la durée.
(p.45)
Maurice se retrouve avec une syphilis en plus. Où a-t-il pu attraper
ça ? Peut-être dans ses lectures. Notre professeur doit se débattre aussi avec
une accusation d’agression sexuelle. Une étudiante, dont il ne se souvient plus,
et le voilà forcé d’aller en thérapie sinon il risque l’expulsion du collège.
Là, nous sommes loin de la classe, des étudiants et de
l’enseignement. Dans un éclair de lucidité, il se questionne sur son travail et
peut-être sa manière de faire. Est-ce mission impossible que d’enseigner la
littérature et le français dans le Québec de maintenant ?
Enseigner le français s’avère une mission impossible, l’occasion
d’un voyage au bout de la nuit où j’emprunte chaque jour le pont des soupirs
pour déboucher sur un pays qui n’existe pas. Reste l’utopie. Si la nouvelle
orthographe avait permis aux jeunes de mieux maîtriser la langue française, ça
se saurait. J’examine mon stylo devenu exsangue parce que je l’ai dévidé de sa
sève carmina buriné, vermeille merveille, tout ce rouge sur du noir n’a rien à
voir avec le sang bleu et sa particule, ô moi qui ne suis que pure roture…
(p.84)
France Boisvert touche un sujet qui mérite mieux que le cynisme
qui corrode la société du Québec depuis trop longtemps et surtout pas ces jeux
de mots qui ne font jamais sourire. L’occasion était tellement belle. Il y a de
si belles initiatives dans les collèges. Le Prix des collégiens par exemple… Et,
je me suis souvenu de ce répétait Gaston Miron : « Dans un poème,
il faut n’y trouver qu’un seul poème ». C’est ça avec France Boisvert. Il y a
deux ou trois romans qui se chevauchent.
J’attends le roman sur le sujet qui va me bouleverser, une sorte de
Monsieur Lazhar peut-être. Professeur de paragraphe ne remplit pas
ses promesses. Du moins, je n’y ai pas trouvé ce que j’attendais. Et là, le
doute me secoue. Si c’était moi… Peut-être que je suis parti du mauvais pied et que j'ai cherché un autre roman dans celui que j’avais dans les mains ? C’est comme ça. Un
chroniqueur n’est jamais sûr, même dans ses enthousiasmes et ses détestations.
C’est cela la beauté de l’entreprise. Un questionnement toujours à reprendre.
PROFESSEUR DE PARAGRAPHE de France
BOISVERT, une publication de
LÉVESQUE ÉDITEUR.
LÉVESQUE ÉDITEUR.
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