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vendredi 3 mars 2017

Monique Durand fait redécouvrir le Saint-Laurent

MONIQUE DURAND, dans Saint-Laurent mon amour, offre des textes qui rappellent l’importance de ce cours d’eau dans l’exploration du continent américain par les Européens. Un lien vital dans le développement de la Nouvelle-France et du Canada. Elle nous fait prendre conscience combien la vie du Québec est liée intimement à ce « fleuve aux grandes eaux » comme l’a si bien qualifié le cinéaste et poète Pierre Perreault. L’écrivaine nous entraîne dans des lieux mythiques comme la Gaspésie, la Côte-Nord, Tadoussac ou l’île d’Anticosti. Une manière de redécouvrir des coins de pays qui ne cessent de changer avec les saisons. Des hommes et des femmes aussi, qui nous permettent de remonter dans le temps, et d’autres qui aiment leur coin de terre, même si parfois, comme les résidents de la Basse-Côte-Nord, ils finissent par croire que le bout du monde s’est installé sur leur galerie.

J’ai lu avec un grand intérêt les textes que Monique Durand a publiés dans Le Devoir l’été dernier. Elle raconte une expédition dans le Nord-du-Québec sur des routes qui semblent prendre la direction de l’éternité. Des heures sous des pluies diluviennes ou encore des jours où elle a la certitude que le temps s’est recroquevillé dans une talle d’épinettes. Des arrêts dans des relais, des rencontres avec des hommes qui ont dompté la solitude et des escales dans des villes mythiques comme Fairmont. Au bout, il y a le fleuve. On y revient toujours.
Une belle manière de voir le pays dans toutes ses dimensions. Ce n’est pas sans me rappeler les reportages qu’a signés Gabrielle Roy sur la Côte-Nord où elle raconte ses contacts avec les populations autochtones ou encore quand elle accompagne une famille qui a quitté l’Acadie pour migrer en Abitibi. Un voyage en train qui n’en finit plus. On relit Heureux les nomades avec un bonheur renouvelé. Du journalisme comme on n’en fait plus.

LE FLEUVE

Monique Durand commence par nous offrir le fleuve dans son immensité et sa splendeur, ses changements et ses surprises. Ce cours d’eau que les Français ont apprivoisé peu à peu pour fonder la Nouvelle-France, traversant le pays des Innus, des Algonquins, des Hurons et des Iroquois. Des îles étonnantes, une nature qui s’apaise au fur et à mesure que les navires longent les rives et évitent tous les dangers. Tadoussac, un port qui semblait vouloir devenir le centre du Nouveau-Monde. La vie en a décidé autrement.
Et quelle belle idée d’imaginer la remontée du fleuve à partir de Québec par Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne-Mance ! Cette navigation devait changer le pays avec la fondation de Ville-Marie, une bourgade bien modeste qui deviendra le cœur du Québec contemporain.

Ils prendront neuf jours pour remonter le fleuve depuis Québec jusqu’à Montréal. En ce samedi 17 mai 1642, les ancres sont jetées près d’une saillie de la rive, sur l’actuelle Pointe-à-Callière. C’est là que sera établie Ville-Marie. Jeanne et Paul, émus, mettent le pied sur la terre ferme, après des mois, des années à avoir anticipé ces instants, ces petits morceaux de sublime qu’ils n’oublieraient jamais. (p.39)

Une belle fiction pour s’imprégner de ce moment, de cet esprit qui allait changer bien des choses, surtout en cette période où la ville célèbre son 375e anniversaire de fondation. Comment ne pas penser au très beau roman de Monique Proulx qui nous fait voyager dans le temps et nous fait partir à la recherche de ce qui reste de l’esprit des fondateurs dans cette grande ville cosmopolite. Ce qu’il reste de moi est un tableau magnifique de cette ville pas comme les autres. J’ai encore des personnages de Monique Proulx dans la tête et ils ne cessent de m’interpeller et de me bousculer.

GASPÉSIE

La Gaspésie avec ses 900 kilomètres de côte, ses anses, ses montagnes, ses baies où il est possible de trouver un refuge, de s’installer pour saisir sa vie à pleines mains. L’auteure raconte ses coups de cœur, son amour pour une petite maison où elle cultive la paix, l’harmonie, la quiétude que tous les humains recherchent.

Lumières d’hiver, presque aveuglantes, « luminosité extrême », dit Louis-Edmond Hamelin, lumières d’été, douces et claires, de printemps, un peu lactées, tirant sur le pastel, d’automne, mordorées. Elles nous ont façonnés. Peuple au moral changeant d’un seul coup d’œil à la fenêtre. Peuple vivant en dents de scie, excessif comme son climat, prompt aux réjouissances et à la dépression, passant de candeur à nostalgie comme la pluie succède au beau temps et les vagues déchaînées à la mer étale. (p.28)

Un pays qui hésite entre la montagne et la mer, les grands espaces marins qui se perdent dans l’horizon et les rivières nerveuses qui deviennent des routes qui nous entraînent jusqu’à la toundra qui fascine tant l’écrivain nomade qu’est Jean Désy.
Des petits villages aussi au fond des criques que l’on ne peut atteindre qu’en empruntant le bateau qui va d’un port à l’autre, apportant vivres et tout le matériel nécessaire à la survie.

La Base-Côte-Nord vit tout entière au rythme de ce navire qui combine transport de marchandises et de passagers, unique lien avec le reste du monde pour plusieurs villages. « Le Bella est arrivé. » Cette seule petite phrase, on dirait, rassérène. Surmonté de grues, harnaché de containers, il porte sur dos des véhicules, des outils, des denrées fraîches, bref, tout le nécessaire de la vie. (p.116)

Et les irréductibles de Natashquan, de Blanc-Sablon qui vivent en autarcie, n’arrivent que difficilement à communiquer avec le reste du Québec. Un pays où tout vient de la mer capricieuse qui peut vous emporter tout comme elle peut vous nourrir : un pays qui habite les hommes et les femmes qui y naissent et qui arrivent difficilement à s’en éloigner.

BANCS

Impossible de ne pas s’attarder à Terre-Neuve, cette île que les Basques et les Bretons connaissaient depuis fort longtemps. Ils venaient y pêcher pendant des mois. La morue était si abondante que l’on pouvait marcher sur la mer, semble-t-il. La situation a bien changé.
Anticosti aussi, la fascinante, celle qui a été dans l’actualité pour de bien mauvaises raisons récemment. L’idée du forage risquait de saccager le fleuve et un paradis. Il faut se souvenir de l’intervention malheureuse de Meunier qui a fait que les cerfs ont pratiquement détruit toute la végétation.
Des histoires terribles comme celle des frères Collin qui sont partis trapper et qui meurent de faim et de froid dans l’hiver. Un drame qui a marqué l’imaginaire parce qu’ils ont décrit minutieusement, au jour le jour, leur long calvaire. Ou encore de cet hiver inimaginable qu’a vécu le père Crespel en faisant naufrage sur l’île d’Anticosti. Il survivra par miracle quand plusieurs de ses compagnons n’auront pas cette chance.

Pourquoi, dans les circonstances extrêmes, certains humains survivent-ils alors que d’autres meurent ? Pourquoi six hommes survivront-ils à l’enfer d’Anticosti en mangeant « jusqu’aux souliers de leurs Morts », et quarante-huit autres pas ? La reconnaissance infinie que lui vouaient ses camarades dont il pansait les plaies jours après jour « me donnoie les forces et le courage dont j’avois besoin, écrit Crespel. Je n’avais que de l’urine pour les nettoïer ; je les couvrais ensuite de quelques morceaux de linge que je faisois sécher, et quand il me falloit ôter ces linges, j’étois sûr d’enlever en même tems des lambeaux de chair. » (p.133)

Une belle manière de nous faire redécouvrir ce fleuve qui est au coeur de notre histoire. Épreuves, drames, exploits et aussi route qui a marqué notre regard et notre imaginaire.
Je pense à ce couple que j’ai rencontré lors d’un séjour à l’île Verte, dans le phare que l’on a transformé en auberge. Un endroit parfait pour ceux et celles qui veulent entrer en contact avec la nature, les oiseaux qui se multiplient sur les battures. Ou encore surprendre le dos des bélugas et des baleines au large quand nous avons la patience de devenir un regard. Le couple s’intéressait aux oiseaux et aux baleines et voulait séjourner dans toutes les îles du Saint-Laurent. Ils avaient fait escale à Terre-Neuve d’abord, Anticosti et remontaient comme les navigateurs d’autrefois, prenant le temps de s’arrêter pour voir autour d’eux. Leur périple se terminerait sur l’île de tête, celle de Montréal.
Un peu curieux cependant que très peu d’ouvrages, du moins à ma connaissance, ne s’intéressent aux Grands Lacs, là où tout commence pour le majestueux fleuve. Ce serait certainement fort intéressant et je garde un si bon souvenir de ma lecture, il y a bien longtemps, du roman Les Engagés du Grand Portage de Léo-Paul Desrosiers. Ce livre paru en 1938 a été réimprimé trois fois la même année. Un grand succès à l’époque qui nous fait parcourir la route de l’Ouest et la remontée jusqu’au lac Supérieur. Cette aventure m’a fait rêver longtemps parce que je venais à peine de sortir de l’adolescence quand j’ai lu cette épopée. De quoi vouloir devenir coureur des bois et parcourir toutes les rivières d’Amérique. J’aurai plutôt choisi la route des mots pour rêver toutes les aventures imaginables en me moquant du temps.  
Monique Durand fait rêver par ses incursions dans le temps et cet espace toujours à découvrir.

SAINT-LAURENT MON AMOUR de MONIQUE DURAND est paru chez MÉMOIRE d’encrier.


PROCHAINE CHRONIQUE : L’ÂME DES MARIONNETTES de SERGIO KOKIS paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.


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