MONIQUE DURAND, dans Saint-Laurent
mon amour, offre des textes qui rappellent l’importance de ce cours d’eau
dans l’exploration du continent américain par les Européens. Un lien vital dans
le développement de la Nouvelle-France et du Canada. Elle nous fait prendre
conscience combien la vie du Québec est liée intimement à ce « fleuve aux
grandes eaux » comme l’a si bien qualifié le cinéaste et poète Pierre
Perreault. L’écrivaine nous entraîne dans des lieux mythiques comme la
Gaspésie, la Côte-Nord, Tadoussac ou l’île d’Anticosti. Une manière de
redécouvrir des coins de pays qui ne cessent de changer avec les saisons. Des
hommes et des femmes aussi, qui nous permettent de remonter dans le temps, et
d’autres qui aiment leur coin de terre, même si parfois, comme les résidents de
la Basse-Côte-Nord, ils finissent par croire que le bout du monde s’est
installé sur leur galerie.
J’ai lu avec un grand intérêt les textes que Monique Durand a
publiés dans Le Devoir l’été dernier.
Elle raconte une expédition dans le Nord-du-Québec sur des routes qui semblent prendre
la direction de l’éternité. Des heures sous des pluies diluviennes ou encore
des jours où elle a la certitude que le temps s’est recroquevillé dans une talle
d’épinettes. Des arrêts dans des relais, des rencontres avec des hommes qui ont
dompté la solitude et des escales dans des villes mythiques comme Fairmont. Au
bout, il y a le fleuve. On y revient toujours.
Une belle manière de voir le pays dans toutes ses dimensions. Ce n’est
pas sans me rappeler les reportages qu’a signés Gabrielle Roy sur la Côte-Nord
où elle raconte ses contacts avec les populations autochtones ou encore quand
elle accompagne une famille qui a quitté l’Acadie pour migrer en Abitibi. Un voyage
en train qui n’en finit plus. On relit Heureux
les nomades avec un bonheur renouvelé. Du journalisme comme on n’en fait
plus.
LE
FLEUVE
Monique Durand commence par nous offrir le fleuve dans son
immensité et sa splendeur, ses changements et ses surprises. Ce cours d’eau que
les Français ont apprivoisé peu à peu pour fonder la Nouvelle-France, traversant
le pays des Innus, des Algonquins, des Hurons et des Iroquois. Des îles
étonnantes, une nature qui s’apaise au fur et à mesure que les navires longent
les rives et évitent tous les dangers. Tadoussac, un port qui semblait vouloir
devenir le centre du Nouveau-Monde. La vie en a décidé autrement.
Et quelle belle idée d’imaginer la remontée du fleuve à partir de
Québec par Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne-Mance ! Cette navigation
devait changer le pays avec la fondation de Ville-Marie, une bourgade bien
modeste qui deviendra le cœur du Québec contemporain.
Ils prendront neuf jours pour remonter le fleuve depuis Québec
jusqu’à Montréal. En ce samedi 17 mai 1642, les ancres sont jetées près d’une
saillie de la rive, sur l’actuelle Pointe-à-Callière. C’est là que sera établie
Ville-Marie. Jeanne et Paul, émus, mettent le pied sur la terre ferme, après
des mois, des années à avoir anticipé ces instants, ces petits morceaux de
sublime qu’ils n’oublieraient jamais. (p.39)
Une belle fiction pour s’imprégner de ce moment, de cet esprit qui
allait changer bien des choses, surtout en cette période où la ville célèbre
son 375e anniversaire de fondation. Comment ne pas penser au très beau roman de
Monique Proulx qui nous fait voyager dans le temps et nous fait partir à la
recherche de ce qui reste de l’esprit des fondateurs dans cette grande ville
cosmopolite. Ce qu’il reste de moi
est un tableau magnifique de cette ville pas comme les autres. J’ai encore des
personnages de Monique Proulx dans la tête et ils ne cessent de m’interpeller et
de me bousculer.
GASPÉSIE
La Gaspésie avec ses 900 kilomètres de côte, ses anses, ses montagnes,
ses baies où il est possible de trouver un refuge, de s’installer pour saisir
sa vie à pleines mains. L’auteure raconte ses coups de cœur, son amour pour une
petite maison où elle cultive la paix, l’harmonie, la quiétude que tous les humains recherchent.
Lumières d’hiver, presque aveuglantes, « luminosité extrême »,
dit Louis-Edmond Hamelin, lumières d’été, douces et claires, de printemps, un
peu lactées, tirant sur le pastel, d’automne, mordorées. Elles nous ont
façonnés. Peuple au moral changeant d’un seul coup d’œil à la fenêtre. Peuple
vivant en dents de scie, excessif comme son climat, prompt aux réjouissances et
à la dépression, passant de candeur à nostalgie comme la pluie succède au beau
temps et les vagues déchaînées à la mer étale. (p.28)
Un pays qui hésite entre la montagne et la mer, les grands espaces
marins qui se perdent dans l’horizon et les rivières nerveuses qui deviennent
des routes qui nous entraînent jusqu’à la toundra qui fascine tant l’écrivain
nomade qu’est Jean Désy.
Des petits villages aussi au fond des criques que l’on ne peut atteindre
qu’en empruntant le bateau qui va d’un port à l’autre, apportant vivres et tout
le matériel nécessaire à la survie.
La Base-Côte-Nord vit tout entière au rythme de ce navire qui
combine transport de marchandises et de passagers, unique lien avec le reste du
monde pour plusieurs villages. « Le Bella
est arrivé. » Cette seule petite phrase, on dirait, rassérène. Surmonté de
grues, harnaché de containers, il porte sur dos des véhicules, des outils, des
denrées fraîches, bref, tout le nécessaire de la vie. (p.116)
Et les irréductibles de Natashquan, de Blanc-Sablon qui vivent en
autarcie, n’arrivent que difficilement à communiquer avec le reste du Québec.
Un pays où tout vient de la mer capricieuse qui peut vous emporter tout comme
elle peut vous nourrir : un pays qui habite les hommes et les femmes qui y
naissent et qui arrivent difficilement à s’en éloigner.
BANCS
Impossible de ne pas s’attarder à Terre-Neuve, cette île que les
Basques et les Bretons connaissaient depuis fort longtemps. Ils venaient y
pêcher pendant des mois. La morue était si abondante que l’on pouvait marcher
sur la mer, semble-t-il. La situation a bien changé.
Anticosti aussi, la fascinante, celle qui a été dans l’actualité
pour de bien mauvaises raisons récemment. L’idée du forage risquait de saccager
le fleuve et un paradis. Il faut se souvenir de l’intervention malheureuse de
Meunier qui a fait que les cerfs ont pratiquement détruit toute la végétation.
Des histoires terribles comme celle des frères Collin qui sont
partis trapper et qui meurent de faim et de froid dans l’hiver. Un drame qui a
marqué l’imaginaire parce qu’ils ont décrit minutieusement, au jour le jour, leur
long calvaire. Ou encore de cet hiver inimaginable qu’a vécu le père Crespel en
faisant naufrage sur l’île d’Anticosti. Il survivra par miracle quand plusieurs
de ses compagnons n’auront pas cette chance.
Pourquoi, dans les circonstances extrêmes, certains humains
survivent-ils alors que d’autres meurent ? Pourquoi six hommes survivront-ils à
l’enfer d’Anticosti en mangeant « jusqu’aux souliers de leurs Morts », et
quarante-huit autres pas ? La reconnaissance infinie que lui vouaient ses
camarades dont il pansait les plaies jours après jour « me donnoie les forces
et le courage dont j’avois besoin, écrit Crespel. Je n’avais que de l’urine
pour les nettoïer ; je les couvrais ensuite de quelques morceaux de linge que
je faisois sécher, et quand il me falloit ôter ces linges, j’étois sûr d’enlever
en même tems des lambeaux de chair. » (p.133)
Une belle manière de nous faire redécouvrir ce fleuve qui est
au coeur de notre histoire. Épreuves, drames, exploits et aussi route qui a marqué
notre regard et notre imaginaire.
Je pense à ce couple que j’ai rencontré lors d’un séjour à l’île
Verte, dans le phare que l’on a transformé en auberge. Un endroit parfait pour
ceux et celles qui veulent entrer en contact avec la nature, les oiseaux qui se
multiplient sur les battures. Ou encore surprendre le dos des bélugas et des
baleines au large quand nous avons la patience de devenir un regard. Le couple
s’intéressait aux oiseaux et aux baleines et voulait séjourner dans toutes les
îles du Saint-Laurent. Ils avaient fait escale à Terre-Neuve d’abord,
Anticosti et remontaient comme les navigateurs d’autrefois, prenant le temps de
s’arrêter pour voir autour d’eux. Leur périple se terminerait sur l’île de
tête, celle de Montréal.
Un peu curieux cependant que très peu d’ouvrages, du moins à ma
connaissance, ne s’intéressent aux Grands Lacs, là où tout commence pour le majestueux
fleuve. Ce serait certainement fort intéressant et je garde un si bon souvenir
de ma lecture, il y a bien longtemps, du roman Les Engagés du Grand Portage de Léo-Paul Desrosiers. Ce livre paru
en 1938 a été réimprimé trois fois la même année. Un grand succès à l’époque
qui nous fait parcourir la route de l’Ouest et la remontée jusqu’au lac
Supérieur. Cette aventure m’a fait rêver longtemps parce que je venais à peine
de sortir de l’adolescence quand j’ai lu cette épopée. De quoi vouloir
devenir coureur des bois et parcourir toutes les rivières d’Amérique. J’aurai
plutôt choisi la route des mots pour rêver toutes les aventures imaginables en
me moquant du temps.
Monique Durand fait rêver par ses incursions dans le temps et cet espace toujours à découvrir.
SAINT-LAURENT
MON AMOUR de MONIQUE DURAND est
paru chez MÉMOIRE d’encrier.
PROCHAINE
CHRONIQUE :
L’ÂME DES MARIONNETTES de SERGIO KOKIS
paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.
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