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lundi 4 novembre 2013

Gabriel Nadeau-Dubois donne sa version


Printemps 2012. Des grèves étudiantes éclatent partout au Québec. On réclame la gratuité scolaire et un accès plus grand à l’université. Un conflit sans précédent par son ampleur et sa durée. Les médias s’enflamment. Violence policière, droit de manifester, de recevoir des cours en recourant aux injonctions, droits individuels qui semblent avoir préséance sur les droits collectifs, liberté d’expression et dissidence. Comme si pendant quelques semaines, il avait été possible d’imaginer une façon autre de voir et d’être au Québec.


Gabriel Nadeau-Dubois a été l’un des porte-parole de cette grève étudiante, de ce printemps érable qui a accaparé à peu près tous les bulletins de nouvelles pendant des mois. Avec Martine Desjardins et Léo Bureau-Blouin, ces jeunes ont étonné par leur calme, leur sagesse et la justesse de leurs propos. Nadeau-Dubois a vite été perçu comme le «mouton noir», se faisant souvent reprocher d’être le pur et l’intransigeant qui refusait toutes négociations.

Retour

Gabriel Nadeau-Dubois revient sur cette période particulière de l’histoire du Québec où des centaines de jeunes sont descendus dans les rues et, après des mois de contestations, ont su rallier une bonne partie de la population à leur cause.
Tenir tête nous fait vivre ces événements de l’intérieur. L’étudiant en philosophie raconte la mobilisation étudiante, les réunions interminables de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) qui avait choisi de débattre toutes leurs décisions en assemblée générale, limitant ainsi singulièrement le rôle des représentants qui devaient s’en tenir à des mandats précis. Un phénomène que les médias n’ont jamais comprit ou voulut comprendre.
«La plupart de ceux qui ont fait le procès des assemblées générales de grève n’ont d’ailleurs jamais assisté à une seule d’entre elles et ignorent qu’on y encourageait de manière constante — et presque naïve diront certains — le discours politique. Une priorité qui s’est avérée lourde et rebutante par moments, qui a mis à l’épreuve la patience de plusieurs, mais qui a aussi donné lieu à des échanges politiques d’une richesse inouïe.» (p.55)
De quoi dérouter les journalistes qui apprécient les réactions spontanées, aiment quand une question reçoit une réponse. Les médias veulent du direct, de l’émotion et souvent du sensationnel.

Problème

La gratuité scolaire et le rôle des universités, les conséquences de la décision du gouvernement Charest de hausser les frais de scolarité retiennent l’attention de Nadeau-Dubois. Des mesures similaires ont eu des effets néfastes dans d’autres pays. Baisse de la fréquentation des universités de façon significative en Angleterre et aux États-Unis, endettement des diplômés qui n’arrivent plus à s’en sortir dans le climat économique présent. Un questionnement fort pertinent sur le rôle des universités qui, peu à peu, deviennent des «laboratoires» pour les entreprises privées. Le rôle traditionnel de ces institutions qui formaient des citoyens capables d’analyser, de questionner, de critiquer et de juger semble bien loin des préoccupations des recteurs. Il faut que ce soit efficace, rapide et comptabilisable.
Médias

Nadeau-Dubois insiste aussi sur les réactions de la plupart des chroniqueurs et des commentateurs, pendant cette période. Tous ont tapé joyeusement sur les étudiants, demandant au gouvernement de les ramener dans les salles de cours, les privant ainsi de leur liberté d’expression et du droit de manifester. Une unanimité particulièrement suspecte, des embardées spectaculaires dans certains cas.
«Denise Bombardier s’alarmait le plus sérieusement du monde de l’effondrement de l’État de droit dans les pages du Devoir. Avec le recul, ses propos paraissent d’un ridicule consommé: «La rue a gagné sur l’État de droit. Les lois votées à l’Assemblée nationale et celles imposées par les tribunaux pourront désormais être invalidées dans les faits par des groupes divers qui ont fait leurs classes ce printemps en bloquant Montréal la rouge, en noyautant les réseaux sociaux, en intimidant leurs adversaires et en usant de violence.» S’en était fait de la démocratie, le Québec sombrait dans le chaos.» (p.169)
Gabriel Nadeau-Dubois s’interroge aussi sur la judiciarisation du conflit, l’interprétation des juges qui ont accordé des injonctions, niant ainsi les droits d’une majorité en privilégiant les désirs individuels.
Un essai vivant, percutant, vivifiant qui ramène des questions qui n’ont pas encore trouvé de réponses. Notre société est à la dérive, peut-être, mais pas pour les raisons que l’on ne cesse de remâcher. Heureusement, il y a une jeunesse intelligente et articulée qui questionne et refuse d’avaler les couleuvres des dirigeants. Il faut tenir tête, c’est la seule manière de progresser, de changer des choses. Un éclairage nécessaire qui peut servir de leçon, du moins je l’espère.

Tenir tête de Gabriel Nadeau-Dubois est paru chez Lux Éditeur.

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