Printemps 2012. Des grèves étudiantes éclatent partout au
Québec. On réclame la gratuité scolaire et un accès plus grand à l’université.
Un conflit sans précédent par son ampleur et sa durée. Les médias s’enflamment.
Violence policière, droit de manifester, de recevoir des cours en recourant aux
injonctions, droits individuels qui semblent avoir préséance sur les droits
collectifs, liberté d’expression et dissidence. Comme si pendant quelques
semaines, il avait été possible d’imaginer une façon autre de voir et d’être au
Québec.
Gabriel
Nadeau-Dubois a été l’un des porte-parole de cette grève étudiante, de ce printemps érable qui a accaparé à peu
près tous les bulletins de nouvelles pendant des mois. Avec Martine Desjardins
et Léo Bureau-Blouin, ces jeunes ont étonné par leur calme, leur sagesse et la justesse
de leurs propos. Nadeau-Dubois a vite été perçu comme le «mouton noir», se
faisant souvent reprocher d’être le pur et l’intransigeant qui refusait toutes
négociations.
Retour
Gabriel
Nadeau-Dubois revient sur cette période particulière de l’histoire du Québec où
des centaines de jeunes sont descendus dans les rues et, après des mois de
contestations, ont su rallier une bonne partie de la population à leur cause.
Tenir tête nous fait vivre ces événements de l’intérieur. L’étudiant
en philosophie raconte la mobilisation étudiante, les réunions interminables de
l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) qui avait choisi
de débattre toutes leurs décisions en assemblée générale, limitant ainsi singulièrement
le rôle des représentants qui devaient s’en tenir à des mandats précis. Un
phénomène que les médias n’ont jamais comprit ou voulut comprendre.
«La plupart de
ceux qui ont fait le procès des assemblées générales de grève n’ont d’ailleurs
jamais assisté à une seule d’entre elles et ignorent qu’on y encourageait de
manière constante — et presque naïve diront certains — le discours politique.
Une priorité qui s’est avérée lourde et rebutante par moments, qui a mis à l’épreuve
la patience de plusieurs, mais qui a aussi donné lieu à des échanges politiques
d’une richesse inouïe.» (p.55)
De quoi dérouter
les journalistes qui apprécient les réactions spontanées, aiment quand une
question reçoit une réponse. Les médias veulent du direct, de l’émotion et
souvent du sensationnel.
Problème
La gratuité
scolaire et le rôle des universités, les conséquences de la décision du gouvernement
Charest de hausser les frais de scolarité retiennent l’attention de
Nadeau-Dubois. Des mesures similaires ont eu des effets néfastes dans d’autres
pays. Baisse de la fréquentation des universités de façon significative en
Angleterre et aux États-Unis, endettement des diplômés qui n’arrivent plus à
s’en sortir dans le climat économique présent. Un questionnement fort pertinent
sur le rôle des universités qui, peu à peu, deviennent des «laboratoires» pour
les entreprises privées. Le rôle traditionnel de ces institutions qui formaient
des citoyens capables d’analyser, de questionner, de critiquer et de juger
semble bien loin des préoccupations des recteurs. Il faut que ce soit efficace,
rapide et comptabilisable.
Médias
Nadeau-Dubois
insiste aussi sur les réactions de la plupart des chroniqueurs et des
commentateurs, pendant cette période. Tous ont tapé joyeusement sur les
étudiants, demandant au gouvernement de les ramener dans les salles de cours,
les privant ainsi de leur liberté d’expression et du droit de manifester. Une unanimité
particulièrement suspecte, des embardées spectaculaires dans certains cas.
«Denise Bombardier
s’alarmait le plus sérieusement du monde de l’effondrement de l’État de droit
dans les pages du Devoir. Avec le
recul, ses propos paraissent d’un ridicule consommé: «La rue a gagné sur l’État
de droit. Les lois votées à l’Assemblée nationale et celles imposées par les
tribunaux pourront désormais être
invalidées dans les faits par des groupes divers qui ont fait leurs classes ce
printemps en bloquant Montréal la rouge, en noyautant les réseaux sociaux, en
intimidant leurs adversaires et en usant de violence.» S’en était fait de la
démocratie, le Québec sombrait dans le chaos.» (p.169)
Gabriel
Nadeau-Dubois s’interroge aussi sur la judiciarisation du conflit,
l’interprétation des juges qui ont accordé des injonctions, niant ainsi les
droits d’une majorité en privilégiant les désirs individuels.
Un essai vivant,
percutant, vivifiant qui ramène des questions qui n’ont pas encore trouvé de
réponses. Notre société est à la dérive, peut-être, mais pas pour les raisons
que l’on ne cesse de remâcher. Heureusement, il y a une jeunesse intelligente
et articulée qui questionne et refuse d’avaler les couleuvres des dirigeants.
Il faut tenir tête, c’est la seule manière de progresser, de changer des
choses. Un éclairage nécessaire qui peut servir de leçon, du moins je l’espère.
Tenir tête
de Gabriel Nadeau-Dubois est paru chez Lux Éditeur.
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