Charlie,
la grande amie de Pierre-Paul, disparaît après un jeu particulier. Les inséparables
tentent de se faufiler dans le rêve récurent du garçon où, par un passage
secret, il débouche dans une pièce impossible à retrouver dans la réalité.
Comme s’il y avait une dimension autre dans la demeure familiale, un grenier
qui n’existe que dans son rêve. Y a-t-il un passage secret, un autre réel?
Pierre-Paul
s’endort auprès de son amie et quand il ouvre l’œil, le lit est vide. Charlie
est rentrée chez elle.
«Je
ne l’ai jamais revue. C’est une partie du problème. Que ça soit arrivé ce jour-là.
Le lendemain matin, je suis parti pour l’école avec une vague angoisse mêlée
d’espoir, je me disais que je descendrais de l’autobus, que je marcherais
quelques minutes et qu’elle serait là, à m’attendre, assise sur le muret de
pierres de ce vieux bâtiment étrange qui nous faisait un peu peur parce qu’il
ne ressemblait à rien ni à une maison ni à un commerce, à quelques mètres de
l’école. Puis je me suis dit qu’elle ne serait pas là, ni ce matin ni un autre
matin, puis je me suis dit voyons, c’est impossible.» (p.57)
De
quoi traumatiser un garçon d’une douzaine d’années. Que dire des parents de la
fillette et de son entourage? Tous devront vivre avec cette absence, le doute,
leur imagination. Il y a une faille dans leur vie qu’ils ne peuvent expliquer.
«Comme
si, entre douze et quinze ans, j’avais été éteint, engourdi. Je mangeais, je
dormais, je faisais ce qu’on attendait de moi. J’avais des fourmis jusque dans
le cerveau, jusqu’au fond du cœur.» (p.110)
La survie
Le
père et la mère de Charlie s’étourdissent de paroles et d’alcool avec leurs
nombreux invités. Ils ont une autre fille, Clara, mais elle ne peut faire
oublier sa grande sœur. Elle ne peut non plus prendre sa place.
«Mes
parents m’ont faite pour remplacer ma sœur. Alors, forcément, ils sont déçus.
Depuis mon premier souffle jusqu’à ma dernière coupe de cheveux. Parce que je
ne suis pas ma sœur. Il m’arrive de les détester de m’avoir faite. Je hais ce
combat que je sens en eux tous les jours entre les sentiments qu’ils devraient
normalement avoir pour moi et ce qui se trouve en réalité dans leur cœur. Cet
espoir triste et méprisable. Méprisable parce qu’inutile.» (p.71)
Les
parents de Charlie portent une blessure qui ne peut guérir. Clara le sait, le
sent et doit s’affirmer pour être.
Scénarios
Pierre-Paul
écrit des scénarios. Avec les comédiennes et dans ses relations amoureuses, il
tente de retrouver la disparue. Son enfance ébréchée, il voudrait bien la colmater
avec ses histoires.
«J’écris
des films. J’écris des films pour Charlie. Les actrices qui sont choisies pour
jouer dans mes films sont souvent bonnes. Parfois très. Mais elles ne sont pas
Charlie. Jamais elles n’atteindront la perfection de ce mélange de fiction et
de vérité, de peau et de fantasme qui vit avec moi, là, dans ma tête. Mes
films, c’est comme si j’avais lu le livre avant. Et tout le monde sait que le
livre est toujours meilleur.» (p.141)
Comment
expliquer l’inexplicable? Tout tourne autour de cette absence, de cette
blessure sans nom.
«On
n’a jamais retrouvé Charlie vivante. On n’a jamais retrouvé Charlie morte.
Peut-être a-t-elle été engloutie, peut-être son corps a-t-il été emporté
jusqu’au fond de l’océan par une de ces vagues scélérates. Peut-être
nage-t-elle avec les sirènes. Peut-être aussi qu’un jour on la verra tourner le
coin d’une rue, toute grande, tout adulte, avec ses cheveux bouclés et ses yeux
jaunes.» (p.153)
Prendre
de l’âge c’est peut-être chercher à secouer des rêves, s’inventer des scénarios
pour faire revivre l’enfance. Reste le regret, le sentiment de culpabilité, la
honte peut-être d’être vivant et d’oublier pendant ces jours où il possible de
croire au bonheur. Des personnages terriblement séduisants.
«On ne rentre
jamais à la maison» de Stéfani Meunier est paru aux Éditions du Boréal.
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